Rythmes scolaires : et les programmes ???

 

(c) Martin Vidberg

Douze heures à peine après sa nomination, Vincent Peillon a fait sa première annonce en tant que ministre de l’Education Nationale, à la matinale de France Inter hier jeudi 17 mai : à la rentrée 2013, les 6,6 millions d’élèves de primaire vont travailler à nouveau 5 jours par semaine. La semaine de 4 jours, instaurée par Darcos en 2008, n’aura duré que l’espace d’un quinquennat.

Evidemment cette annonce est éminemment symbolique. Peillon, numéro 3 du gouvernement, veut montrer qu’il se met au travail immédiatement, suivant la feuille de route fixée par le nouveau Président, sur un sujet qui figurait dans le programme de campagne de Hollande et qui concerne l’école primaire, dont ce dernier avait dit qu’elle serait sa priorité. Un sujet, aussi, ce n’est pas anodin, qui concerne toute la communauté éducative (enfant, parent, prof) et bien au-delà (collectivités locales, associations, lobbys divers…). Une manière de mettre l’école au cœur du débat sociétal, comme prévu. L’annonce a fait grand bruit, et si l’on en juge l’activité sur les réseaux sociaux à ce sujet hier, il s’agit là d’une question qui passionne – mais après tout, cette mesure va concerner une majorité de français.

Techniquement, Peillon va être confronté à un certain nombre de difficultés, toutes relatives à l’angle selon lequel on considère cette question des rythmes scolaires. Tout le monde est à peu près d’accord pour dire que le cœur de la réflexion se situe au niveau des élèves : les journées sont trop longues, les élèves sont fatigués, la semaine de 4 jours est trop heurtée et peu satisfaisante physiologiquement (voir ici le rapport de l'Académie de Médecine sur le sujet). Revenir à la semaine de 5 jours (4 jours ½, en fait) semble donc couler de source. Reste à savoir ensuite si cela se fera le mercredi ou le samedi, et Peillon a botté en direction des collectivités locales à ce sujet : ce sera à la carte.

(c) Martin Vidberg

Les conséquences seront importantes pour la vie de chaque famille, la synchronisation avec les rythmes parentaux, avec la société du travail, mais aussi pour l’activité de chaque commune, l’aménagement de ses services publics (ramassage scolaire, cantine, centre de loisirs…), la vitalité de ses associations (sportives, culturelles, musicales, cultuelles…). Tout le monde aura à s’adapter, il y aura des ratés ici, des retouches là, de la grogne, mais rien d’insurmontable puisqu’il s’agit d’intérêt commun et supérieur. Embusqués, toujours présents lorsqu’est abordé ce thème : les lobbys du tourisme et du commerce auront leur mot à dire (rappelons pour mémoire que l’étalage des vacances sur 3 zones a été posé en 1968 pour satisfaire l’industrie des sports d’hiver, que les rythmes scolaires sont fixés depuis 1961 en accord avec le ministère du tourisme ou encore qu’un représentant de la SNCF siège de manière permanente à la commission chargée de décider des dates des vacances).

La grande majorité des enseignants semble favorable au retour de la semaine de 5 jours. En revanche, le choix du jour semble diviser les instits : il y a les partisans du mercredi, qui souhaitent garder le weekend intact, se souviennent que leur classe était loin d’être complète le samedi matin, arguent que le mercredi la plupart des élèves vont au centre de toute façon, et les partisans du samedi matin, un jour qui permet de travailler différemment, dans une ambiance détendue, de rencontrer les parents facilement, de maintenir la coupure du mercredi pour les élèves comme pour eux (mercredi = gros jour de travail pour les instits). Bref, tout le monde a ses raisons.

Les instits, dans l’ensemble, comprennent bien que la vie de famille (figurez-vous que certains même en ont une) a son importance dans cette réflexion, et que le weekend est au cœur de la vie de famille. Les instits peuvent aussi comprendre (pas tous, mais bon) que l’école s’inscrit dans la société et qu’elle ne peut se penser en dehors, donc que les économies du tourisme et des loisirs sont forcément concernées par le sujet.

Mais les instits ont un métier, ce métier est d’enseigner, et ils souhaitent le faire dans les meilleures conditions, pour eux bien sûr mais surtout pour leurs élèves (ici, ça revient à peu près au même). Or, il y a quelque chose qui réunit la plupart des instits : le sentiment de n’avoir pas assez de temps. Interrogez au hasard un instit et demandez-lui ce qu’a changé le passage à la semaine de 4 jours. Il vous répondra : soit qu’il est désormais obligé de bourrer ses journées, que chacune de ses heures de classe doit être rentabilisée, qu’il est obligé de survoler certaines parties du programme pour en voir le bout ; soit qu’il a pris le parti de coller aux difficultés de ses élèves, de les guider jusqu’à ce que compréhension s’ensuive, et donc fait le deuil d’aborder tout ce qu’il DOIT aborder durant l’année. Quadrature du cercle.

Il faut bien comprendre ce qui se passe dans la classe, concrètement : on doit aujourd’hui faire en 24 heures ce qu’on avait 26 heures pour faire avant, la suppression du samedi matin ne s’étant pas accompagnée d’un allègement des contenus. C’est donc la course continuelle, la moindre minute est précieuse, on prie pour que les élèves comprennent sans délai, on a remisé toutes les activités chronophages, réduit les travaux en groupe, les moments calmes qui permettent de repartir plus concentrés, on ne se donne plus le temps d’essayer d’autres manières, de tenter d’autres biais, on supprime une séance d’anglais par ci, une de géo par là, et tant pis pour les sciences ; les élèves doivent être concentrés quasiment tout le temps, sans répit, l’instit est en tension continue et c’est toute l’ambiance de la classe qui se raidit.

Rien de satisfaisant, sentiment d’impuissance, de frustration, d’injonction paradoxale. Sentiment de gâchis surtout, parce que les premiers à morfler sont les élèves déjà en difficultés…

Alors, au moment de réfléchir une fois de plus aux rythmes scolaires, il faut absolument qu’on comprenne enfin que la réflexion doit être menée au regard de ce qui est imposé sur une année en termes de contenus. Partant de là, que soient précisément imaginées les conséquences concrètes sur ce que sera une journée de classe, sa densité, son épaisseur, sa charge de travail, que soient anticipées les répercussions sur l’organisation des apprentissages, les modalités d’enseignement ; bref, que soient parfaitement estimée l’adéquation entre les contenus programmatiques et le volume horaire annuel. L’inverse reviendrait à se demander quel moule choisir sans considérer la quantité de gâteau à faire cuire.

Ou alors qu’on ne nous demande pas l’impossible : apprendre aux élèves à lire, écrire, compter, bien sûr, mais aussi leur enseigner la géographie, l’histoire, les sciences, le dessin, la musique, le sport, l’anglais, l’informatique, la sécurité routière, j’en oublie sûrement.

Les enseignants sont prêts à travailler 4 jours ½, ils sont prêts à travailler 5 heures par jour avec leur classe complète et une autre heure ensuite avec de petits groupes (quid de l’aide personnalisée ?) ou en aide aux devoirs, ils sont même prêts à rendre deux semaines de leurs vacances d’été sans trop les regretter : mais qu’on leur garantisse qu’ils auront le temps de faire leur métier correctement, c’est-à-dire que chaque élève aura le temps de prendre son temps, de comprendre à son rythme, de varier les approches, de progresser à son allure, dans un atmosphère détendue bien plus propice à la réussite de tous.

 

Excellentes illustrations (comme d'hab) de Martin Vidberg sur le blog du monde.fr.

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