Et la formation continue, bordel !

(Crédit MAXPPP)

La formation des enseignants devait être un des chantiers majeurs de la Refondation de l’école. Côté formation initiale, les ESPE ne font pas l’unanimité. La formation continue, elle, est la grande absente de Refondation, qui se limite le plus souvent à proposer de l’auto-formation en ligne. Or, la formation continue est un enjeu majeur pour l’enseignement de demain, ainsi que d’autres pays l’ont compris.

M@gistère, neopass@ction, eduscol : M@zette !

Le candidat Hollande le répétait à chaque meeting ou presque : « Enseigner est un métier qui s’apprend ! » ; il clamait volontiers qu’il fallait « restaurer, après le désastre de la mastérisation, une formation initiale et continue digne de ce nom ».Maintenant que la Refondation de l’école est lancée, il est frappant de constater que le ministre Peillon n’a à la bouche, quand il s’agit de formation continue, qu’un mot : « numérique ». Quel que soit le domaine abordé, le ministre propose une seule et unique modalité de formation aux enseignants en exercice : l’auto-formation à distance, via les plates-formes créées par le ministère. Exit, ou presque, la formation live. Dernier exemple en date, le plan concernant les élèves en situation de handicap lancé par le ministre. Le volet formation : une semaine de formation spécifique au handicap de l’élève, pour l’enseignant qui l’accueille ? Non, un lien vers le futur site m@gistere, qui proposera en fin d’année des modules de formation sur l’autisme, et c’est tout.

Outre m@gistere, qui proposera par ailleurs des modules de formation tels "enseigner la maîtrise de son identité numérique", "le respect d'autrui et de la différence", existe déjà néopass@ction (ils aiment bien les @, au ministère), un site plutôt destiné aux formateurs et aux enseignants se lançant dans le métier. Ces deux là sont accessibles depuis eduscol, le « portail des professionnels de l’éducation ». Le budget webdesigner a du exploser au ministère, ces derniers temps !

Bien sûr, on prend bien soin, dans la propagande ministérielle qui accompagne la présentation de ces sites, de parler de collaboration, d’échanges et de lier autant que possible leur utilisation à une formation qui se déroulerait sur le terrain, avec des formateurs réels. On comprend que le ministère veuille rendre tout ceci le plus sexy, le moins digitalo-désincarné possible : la réalité c’est que la formation continue des profs français est en train de glisser vers le virtuel. A partir de cette année, les 18 heures de formation pédagogique obligatoire sont scindées en deux : 9 heures se feront devant ordinateur.

Pourquoi l’auto-formation en ligne ne convainc pas

Les économies pour ligne de conduite

On sait comme Vincent Peillon est attaché au numérique – nous aussi, remarque, c’est juste qu’on voudrait déjà avoir des ordis dignes de ce nom à l’école ! –, mais on n’est pas dupe : si la formation continue en ligne se développe si vite, c’est qu’elle permet de fortes économies. Plus besoin de payer les formateurs, les programmes de formation, plus besoin surtout de payer le remplacement des profs qui partent en stage de formation – possibilité donc de réduire les corps de remplaçants.

Le web, tout le monde n’y est pas encore passé

Le ministre devrait venir faire un tour dans mon école. J’aime bien mes collègues, mais on ne peut pas dire de tous qu’ils sont hyper connectés ! Certains ne sont pas franchement passés à l’ordinateur, d’autres ont la souris tremblante, bref, si Peillon veut vraiment que tous les profs se forment sur Internet, il va falloir leur trouver auparavant une formation à l’utilisation de l’ordinateur. Et celle-là, je doute qu’il la propose sur le web. Sans compter qu’avec l’allongement de la durée de cotisation, il va y en avoir encore quelques temps, des instits non connectés !

Se former sur le web, merci bien on connaît

Sinon, il y a aussi des instits qui vivent avec leur temps et pour qui l’ordinateur est une seconde nature, le web un ami de longue date (soyons clair : ce critère ne saurait définir l’enseignant de qualité, et réciproquement). Pour ceux-là, l’autoformation via le web est une banalité totale : le monde enseignant est très présent sur la toile, les blogs de partage de ressources sont légion, et on a appris depuis longtemps, vu les manques de l’institution, à trouver comment progresser, se documenter, s’informer par nous même. C’est même une bonne partie du travail invisible de notre métier de fainéant.

Il va falloir que le contenu des plates-formes du ministère soit particulièrement pertinent, très axé sur le métier lui-même, plus que sur les contenus, qu’il connaisse parfaitement le web pour offrir une offre nouvelle qui nous apporte quelque chose. Sans quoi on va vite penser que l’institution entérine elle-même ses manques en se contentant d’ajouter son maigre petit ruisseau au flot du web.

Se former sur le web = sur son temps propre

Le ministère sait parfaitement le temps de travail d’un enseignant : en moyenne 44 heures par semaine (tiens, à propos, lisez ce témoignage instructif). Cela ne le gêne pourtant pas de miser sur la fibre professionnelle et le dévouement de ses troupes en imaginant qu’à ces 44 heures, les enseignants vont ajouter des heures de formation en ligne. J’espère qu’au ministère, on a entendu parler de surcharge cognitive et des conséquences que cela entraîne sur la qualité des acquisitions…

De la vie dans la formation !

Bon d’accord, il faut d’emblée confesser la piètre qualité de certaines formations auxquelles j’ai participé. Formation pourrie menée par un conseiller pédagogique planqué et paresseux, formation inadaptée mal codée sur le listing, formation juste médiocre car manifestement donnée par des formateurs peu encadrés et peu zélés, etc. Mais j’ai plusieurs fois bénéficié de formations de qualité, pertinentes, dispensées par des professionnels chevronnés et au fait des besoins des enseignants. Il doit être tout à fait possible de porter un effort conséquent sur l’encadrement des formateurs afin de maximiser la qualité de la formation live au bénéfice des meilleurs. Mais aussi, d’axer davantage la formation sur les nouveautés en matière de recherche sur l’éducation, sur ce qui marche à l’étranger, sur la classe et le fait d’enseigner plus que sur les disciplines...

Formation off

Une formation réussie, porteuse, source d’élan, de réflexion et de pistes pour l’action est souvent due à la qualité intrinsèque du formateur, au sujet abordé mais pas seulement. Il y a un off de la formation, ces discussions de cantine avec le formateur, quelques participants, où l’on prolonge et excède parfois les sujets abordés, il y a ces échanges impromptus, à la machine à café ou dans les couloirs, avec les autres enseignants, les partages d’expériences, de pratique. Là se nichent les pépites de ce temps de formation, car à la fin il n’y a que cela : le partage d’une même réalité vécue différemment et à laquelle chacun a sa réponse ou des éléments de réponse. L’observation dans d’autres classes, d’autres pratiques, et les discussions qui en découlent, voilà d’ailleurs un thème de formation porteur !

Certes les portails virtuels du ministère promettent des échanges et de la collaboration en ligne, mais… Un meetic pédagogique, vraiment ?

Décentrage

Et puis, il y a le fait de quitter sa classe, tout bêtement, sortir du train-train, casser la routine. J’ai souvent senti un mouvement invisible, un courant à peine sensible, me traverser durant ces formations sur le temps d’école : ma classe distante, moi absent à mes élèves, une sorte de décontextualisation pédagogique, de prise de hauteur me permettait de voir les choses autrement, de trouver des solutions que je ne parvenais plus même à chercher la tête dans le guidon. Mes blocs-notes utilisés lors des formations sont truffés de remarques, de commentaires, d’idées n’ayant rien à voir avec le sujet même de la formation, mais tout avec ma pratique. Simplement, la possibilité de changer mon point de vue, de prendre du recul me permettait d’accéder à d’autres sphères de pensée, de réflexion.

Ailleurs, la formation continue…

Les rapports ministériels et les études internationales indiquent pourtant très clairement que la formation continue des enseignants est un levier décisif pour la qualité de l’enseignement et la réussite des élèves. Dans les pays qui marchent fort aux évaluations internationales, la formation continue est prise très au sérieux. A Singapour, chaque enseignant est évalué annuellement sur ses forces et faiblesses, et bénéficie de 100 heures de formation professionnelle par an pour lui permettre de s’améliorer. En Finlande (où le statut de prof est équivalent à celui d’un médecin ou d’un avocat, mais aussi où les classes ont deux adultes pour 40 % d’élèves de moins qu’en France), les  formations, en lien avec la recherche, mettent l’accent sur le développement  personnel, l’aide aux nouveaux  enseignants,  le  travail de groupe et les échanges de bonnes pratiques, le bien‐être au travail…

De nombreux pays ont aussi compris la nécessité d’inciter les profs à suivre ces formations. En Norvège, Corée du Sud, Pologne, on a mis en place des mesures incitatives : les  enseignants  qui  participent  aux formations continues peuvent demander des augmentations de salaire selon leur ancienneté et la durée de la formation ou passent automatiquement un échelon. Ailleurs (Etats-Unis, Québec, Portugal, Grèce, Islande…), elles permettent d’emprunter des passerelles vers d’autres métiers de l’éducation, vers la recherche, le tutorat.

Tout ceci figure dans le rapport de synthèse sur la concertation lancée par le ministre à son arrivée. Comme pour d'autres sujets, la concertation n'aura pas été féconde...

En guise de conclusion, voici la définition de la formation continue par TALIS, l’enquête de l’OCDE sur l’enseignement et l’acquisition des connaissances : « ensemble des activités qui développent les compétences d’un individu, les connaissances et l’expertise et qui prend la forme de cours, d’ateliers, de conférences, de séminaires, de programmes de qualification, de visites d’écoles, de participation à des réseaux de professeurs, de recherche individuelle ou collaborative, de coopération entre pairs… ».

Pas mal, non ?

 

Nota : à lire, cette lettre ouverte de la GRFDE (Groupe Reconstruire la Formation Des Enseignants, qui réunit plus de 200 chercheurs et formateurs) au Président de la République sur la formation des enseignants. La critique est profonde, et le GRFDE propose une alternative.

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