Ras-le-bol enseignant : la tentation du service minimum

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Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, le moral des instits n’est pas au beau fixe. Une Refondation de l’école qui ne tient pas ses promesses, une réforme des rythmes scolaires qui ne convainc pas, un bulletin de salaire peau de chagrin, un sentiment de déclassement sans cesse confirmé, l’impression ferme d’être la 5ème roue du carrosse (de la carriole ?) éducatif français… Les instits se plaignent, donc – mais ça, on a l’habitude –, ils grognent et, se reconnaissant de moins en moins dans la ligne des syndicats, créent leurs propres collectifs, cherchent d’autres formes d’expression, de manifester leur mécontentement.

Parmi les commentaires lus ces dernières semaines sur le blog ou sur la page facebook, plusieurs proposent une autre manière de réagir : ne plus faire, dans le cadre de son métier d’enseignant, que le minimum.

« Je ne fais plus que ce qui correspond à mes strictes obligations »

Le témoignage du bien nommé peencolere est emblématique : « Enseignant depuis 15 ans en petite école rurale, directeur d'école sans décharge, j'étais très impliqué dans mon travail, mais depuis quelques années, devant si peu de considération pour mon travail, pour mes compétences, et bien moi, ça y est, je ne fais que le strict nécessaire, pas de zèle, voire parfois un peu de mauvaise volonté… Ras le bol de me faire avoir. Je ne fais plus qu'enseigner, fini le bénévolat, même les réunions de directeurs, auxquelles nous sommes "invités" et non pas convoqués car on devrait nous payer des frais de déplacements (les réunions sont à près de 30 km...). Bien sûr, pour ce qui est de la classe, je bosse, mais si je n’ai pas le temps de faire certaines choses, et bien tant pis, je privilégie ma vie de famille et je m'en porte bien mieux ! Je ne fais plus que ce qui correspond à mes strictes obligations. J'invite tous mes collègues à en faire autant... Quand on s'apercevra que l'école ne tient que par notre bonne volonté, on va peut être réagir... Après tout je suis payé comme un ouvrier spécialisé, pas comme un cadre... pourquoi m'impliquerai-je comme un cadre, pourquoi ferai-je des horaires de cadre ? ».

« A un moment il faut justement savoir dire stop »

Comme lui, Guillaume revendique la prime à sa vie personnelle, refuse de faire plus que le nécessaire, manière pour lui de protester contre le manque de reconnaissance : « Tant que certains instits resteront le soir dans leur école jusqu'à point d'heure sans broncher on n’avancera jamais niveau salaire ! J'entends beaucoup de collègues se plaindre d'être sous payés et je les vois venir le mercredi, le samedi, repartir à 20h. A un moment il faut justement savoir dire stop. Faire son boulot consciencieusement bien évidemment mais croyez-moi, ils se poseront peut-être la question de notre statut et de nos conditions de travail le jour où certains d'entre nous perdront hélas foi en ce qu'ils font...et j'estime, mais c'est très personnel, que partir de l'école à 16h30 montre que nous avons une vie à côté et ne sommes pas corvéables à merci, même si effectivement le travail à la maison est souvent nécessaire. Refuser aussi de faire des sorties à la journée, de supporter les élèves en continu pendant 8 heures sans pause et sans heures supp’ est un bon moyen de montrer au ministre et au public que nous ne sommes plus les instits du siècle dernier et que nous avons (j’espère pour la plupart d'entre nous) une vie à côté bien remplie qui ne se résume pas à l'école ! Après chacun son truc mais si on veut faire avancer les choses, il faut déjà commencer par MONTRER certaines choses ! »

Philippe pense également que ce serait une bonne manière de faire bouger les choses : « Une forte grève du zèle, ça vous tente pas ? Là ce sont les parents d’élèves qui s’y mettront et quand ceux-là bougent, au ministère ça chauffe sérieux ! ».

« Je vais enseigner et basta »

Même son de cloche chez Christophe, pour qui il y a dans ce geste un acte militant : « Ben oui, on râle. Mais l'année prochaine c'est fini. Promis ! Je ne râle plus j'agis. Il suffit d'arrêter de donner toutes ces heures bénévoles : type sortie scolaires (de 7h à 20h pour un voyage à Paris), la fête d'école le samedi (5h), la remise des prix aux élèves qui partent en 6ème (2h), préparation de l'expo d'arts visuels (3h) etc, etc... Ils comprendront peut-être. Fini ce bénévolat induit qui fait l'huile dans les rouages de la machine impersonnelle. J'aime enseigner, mais ça reste un travail, marre d'être le soutier sous-payé de l'EN. Je vais enseigner et basta. Parce que 22 ans de carrière pour 2120 euros par mois. Je ne me vois plus me décarcasser... ».

Mag Art renchérit : « C’est justement parce qu’ils savent que la plupart des instits continueront les kermesses, les classes de découverte, les fêtes ..... qu’ils prennent des largesses. J’emmène ma classe chaque année dans le cantal, la seule et unique raison que j’ai de le faire, c’est la joie de mes élèves et la mienne de vivre des instants magiques ».

Gâchis

Cette grève du zèle prônée par une minorité d’instits trouve un certain écho auprès de nombreux autres. Jusqu’à la mettre en pratique ? On sent bien que c’est le découragement, la lassitude, voire l’écœurement qui poussent ces enseignants, malgré leur dévouement et leur amour du métier, à s’en détacher, à s’en décentrer. Manière de se protéger, de ne pas « péter les plombs » aussi. Comment en est-on arrivés là ?... « Je suis franchement une belle ANDOUILLE de passer mon temps à essayer de faire toujours mieux ! », nous dit Hélène. Ce métier est abrasif, certes, il demande beaucoup et rend peu, c’est vrai, mais tout de même, quel gâchis : voir des enseignants qui aiment leur métier regretter de faire de leur mieux et cesser de s’investir…

La grève du zèle : geste militant ou illusion ?

On comprend, au fond, ce qui pousse certains à s’exprimer ainsi. On peut même se demander ce que donnerait une école où TOUS les instits adopteraient cette même ligne… Une école sans sorties, sans fête de fin d’année ni kermesse, sans journée portes ouvertes, sans classe de découverte ni classe de neige, sans exposition, sans atelier théâtre, sans visite au musée… La tentation est réelle de se dire qu’on tient là un moyen d’expression puissant : rendre l’école triste, la fonctionnariser !

Mais est-ce là ce qu’on veut ?... N’est-ce pas une impasse ? Sans même parler des conséquences obligées sur les élèves, sur l’opinion publique qui risque de ne voir que des instits conformes aux clichés dont ils souffrent, n’y a-t-il pas une illusion à croire qu’on va pouvoir continuer à enseigner a minima ?

On ne peut avancer dans ce métier à moitié, ou aux trois-quarts, pour la bonne raison qu’on enseigne avec ce qu’on est, comme on est, totalement. Comment penser qu’on va tenir la route, un pied sur l’accélérateur, un pied sur le frein ? On sent dans tous ces témoignages un réel amour du métier, exercé jusqu’ici sans compter. Les premières victimes d’une telle grève du zèle ne seront-ils pas les instits eux-mêmes ?

Heureusement, les élèves constituent encore une forte motivation. Christophe, par exemple, ajoute à la fin de son commentaire : « Je dis ça mais je sais que face aux élèves, je continuerai à donner le maximum parce que ces petits humains et citoyens du futur, eux, ont encore fraîcheur et même parfois reconnaissance, et que quand ils avancent grâce à nous (ça arrive encore, si, si!) c'est puissant ! ».

 

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