La Refondation de l'école, verre à moitié plein ou à moitié vide ?

Le rapport sur la Refondation de l’école, qui s’est tenue de juillet à septembre, a été rendu début octobre. Mardi 9, le Président Hollande tenait un discours à la Sorbonne pour présenter les premières mesures à venir. Jeudi 11 Vincent Peillon donnait une conférence de presse pour confirmer les propos du Président et donner l’agenda.

Tout reste à faire encore (les négociations jusqu’à la fin du mois, le travail interministériel et la finalisation de la loi en novembre, sa présentation en décembre, son passage devant le Parlement en janvier), mais on commence à voir ce qui va bouger – ou pas. Deux façons d’envisager les choses sont alors possibles, deux points de vue sur le verre rempli...

 

… à moitié plein

Incontestablement, les mesures annoncées vont dans le bon sens. Après plusieurs années de mise à sac de l’éducation, l’heure semble venue de la reconstruction. Comme annoncé par Hollande durant la campagne, comme confirmé depuis, les grandes priorités sont affichées et concernées par les premières mesures.

- priorité des priorités : l’école primaire est au centre de toutes les attentions. Le fameux « plus de maîtres que de classes », qui permettra de travailler avec moins d’élèves en décloisonnant les classes, est confirmé. La création d’une branche « maternelle » dans la formation est annoncée ; enfin, est-on tenté de dire, tant il est évident qu’enseigner à des Petite Section ou à des CM2 n’a pas grand-chose à voir. On ne peut que voir d’un bon œil également le fait que les devoirs soient faits à l’école : ainsi les élèves qui ne sont pas suivis par leur famille à la maison pourront travailler comme les autres, fin d’une inégalité de fait. Dans le même ordre d’idée, la limitation des redoublements est aussi une très bonne chose : il est loin le temps où l’on considérait qu’un élève qui n’avait pas le niveau devait redoubler. On sait aujourd’hui que la véritable question doit être "le redoublement sera-t-il profitable ?". Dans la plupart des cas en effet, les causes des manques et lacunes de l’élève relèvent d’autres facteurs que le scolaire pur. Accessoirement, la France se distingue des autres pays de l’OCDE par son fort taux de redoublement (et cela ne l’empêche pas d’être mal classée).

- la formation des enseignants, justement : les fameux ESPE ouvriront en septembre 2013 et rendront aux apprentis profs la formation sur le terrain et l’entrée progressive dans le métier supprimée sous Darcos. Fin du cauchemar donc, pour les jeunes profs fraîchement reçus au concours et jetés dans la fosse aux lions, avec pour conséquence un dégoût du métier et de nombreuses défections.

- les fameux rythmes scolaires seront bel et bien modifiés : retour de la semaine de 4 jours et ½, sûrement le mercredi. L’école se met ainsi au diapason de toutes les études qui montrent que la semaine de 4 jours est une aberration, et que les journées de classes des petits français sont parmi les plus chargées au monde. La journée de classe passera de 6 à 5 heures d’enseignement, mais pour autant « aucun enfant ne sera hors de l’école avant 16 h 30 », promet Peillon. L’heure supplémentaire devrait être utilisée pour les devoirs, les activités sportives, culturelles.

- moins relevée mais très importante, la création d’instances indépendantes. Le Conseil National des Programmes, d’abord, permettra de revoir les programmes en toute transparence, contrairement à se qui s’était passé en 2007-2008. Toute aussi décisive, la création d’un organe indépendant chargé de l’évaluation du système éducatif. On rompt ainsi définitivement avec les pratiques manipulatoires de l’époque Chatel, où l’évaluation du système éducatif était faite par les services même du ministère, source de dérives avérées, pendant que les rapports de la DEPP (Direction de l'Evaluation, de la Prospective et de la Performance) étaient tranquillement rangés dans les tiroirs.

- mine de rien, l’agenda semble intelligemment pensé. Peillon voit loin : “le temps de l'éducation est un temps long. […] La refondation, ce sont des réformes immédiates, une ambition de moyen terme et un profond changement dans les mentalités, qui prendra nécessairement du temps. ” Il a compris qu’il faut faire les réformes avec les enseignants, pas contre eux. Il faut échelonner les mesures : d’abord celles qui rassurent, qui redonnent confiance, qui fédèrent. Ensuite viendront les réformes plus délicates, celles qui fâchent, en espérant qu’alors elles fâcheront moins. Réformer, c’est aussi savoir hiérarchiser le changement, organiser sa réussite. Attendre, éventuellement, que les mentalités évoluent.

Un grain de sable peut tout dérégler, ainsi que l’a rappelé Hollande à Peillon mardi 9 octobre : " Une grande ambition peut être gâchée, en tous cas tourmentée, par des détails qui viennent lui nuire et parfois la limiter. Il faut avoir dans ces choses à la fois de grandes idées et aussi la passion des détails".

- de toute façon, on n’a pas les moyens. Toute la bonne volonté du monde ne suffira pas, on le sait : la crise est là, malgré la sanctuarisation budgétaire de l’EN, les moyens de la relance de l’éducation sont limités. En attendant des jours meilleurs, Peillon fait ce qu’il est possible de faire qui ne soit pas trop coûteux. Le plus onéreux est remis à plus tard. Ainsi la formation continue des enseignants, pour laquelle Peillon a confessé aux syndicats ne pas avoir les moyens de la mise en œuvre.

Verre à moitié plein, et même plus : Peillon est fidèle aux engagements de Hollande, cohérent, pertinent, stratégique et pragmatique.

 

… à moitié vide

La Refondation, une révolution qui fait pshiit ? Car enfin, les belles intentions de Hollande, les beaux discours du philosophe Peillon vont devoir être suivis de bonnes avancées bien concrètes… et ça n’en prend pas totalement le chemin. Ce qui ressort de la Refondation, du discours de Hollande et de la conf de presse de Peillon, ce sont de gros trous dans le bâti.

- trop d’impasses ou de réformes remises aux calendes grecques. Le secondaire : Sarkozy avait privilégié l’enseignement supérieur, Hollande met l’accent sur le primaire, pendant ce temps-là la situation en secondaire n’est pas folichonne. Le collège unique bat de l’aile, les voies de formation professionnelle génèrent trop de décrochage, le baccalauréat a besoin d’un bon ravalement, les liaisons primaire / collège, lycée / supérieur doivent être sacrément huilées. De tout ceci il n’est pas question encore. Plus tard peut-être. Peillon invite ainsi à une consultation approfondie sur le lycée, la Refondation n’ayant pas accouché de propositions suffisamment pertinentes selon lui.

- des mesures qui posent question. Le meilleur exemple est celui des rythmes scolaires. Sans même aborder la grande question des partenariats avec les collectivités locales, encore très floues, la question se pose de leur réelle efficacité. Leur modification est censée alléger les journées des élèves, mais dans les faits cela ne sera que moyennement le cas : d’abord parce que les élèves resteront toujours aussi longtemps à l’école chaque jour, ensuite parce que la densité des heures de classe ne risque pas, elle, de baisser si le programme reste inchangé. Il faudra faire autant en moins de temps (une heure de moins par semaine x 36 semaines = 36 heures de classe en moins sur l’année, donc moins de temps pour travailler, donc journées plus chargées), quatre ans après avoir déjà perdu 70 heures de classe avec le passage à la semaine de 4 jours (sur la réduction du temps de travail des élèves, lire cet éclairage édifiant). Autre question : l’aide aux devoirs sera-t-elle faite par les enseignants ? Que deviendra l’aide personnalisée ? Le temps d’enseignement annuel est d’un enseignant de primaire à 918 heures (largement au-dessus de la moyenne de l’OCDE), toutes ces nouveautés vont-elles entraîner des changements dans la nature même du métier, des tâches de l’enseignant, de son volume de travail ? Sous-jacente : la question particulièrement sensible de la refonte du métier…

- à trop vouloir ménager la chèvre et le chou, (“quand on change les choses, il faut le faire avec le plus de circonspection possible ”) Peillon risque de finir contre un platane : ce ne sera pas plus facile de faire passer les mesures difficiles plus tard, d’une part, et d’autre part les mesures engagées souffrent du coup d’incohérence (les rythmes scolaires, encore : leur modification n’aurait de sens réel que si on ramenait les vacances d’été à 6 semaines au lieu de 8, mais cette question est encore trop sensible). Autre exemple, Peillon a repoussé la bivalence (enseignement par un même prof de plusieurs matières pour limiter le nombre d’intervenants et faciliter le passage entre primaire et collège), qui fait grincer les dents des enseignants et leurs syndicats. Vincent Peillon choisit donc le statu quo : “Agiter le chiffon rouge de la remise en cause des identités disciplinaires à un moment où les professeurs vivent légitimement une crise de confiance, blesser les acteurs dont nous avons le plus besoin pour avancer n'a pas beaucoup de sens. ” Peillon doit bien se dire qu’il faudra bousculer à un moment ou un autre le monde enseignant pour faire bouger les choses.

- le système de gouvernance reste inchangé. Alors que le système pyramidal est mis en avant par tous les acteurs de l’éducation et notamment les enseignants comme un problème majeur de gouvernance, aucune restructuration n’est prévue. Pire, les personnes mises en place par l’administration Sarkozy aux postes clé sont toujours là.

Verre d’eau à moitié vide, peut-être plus. Peillon a minima, pas toujours cohérent, fuyant le combat, trop calculateur, trop frileux.

 

… La vérité serait-elle à mi-chemin entre le verre d’eau à moitié plein et le verre d’eau à moitié vide ?

 

 

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