« L’échec scolaire français », quel rapport ?


C’était le 7 décembre et tous les journaux en parlaient : « L’échec scolaire français ».

Je ne sais pas vous, mais moi quand on me dit que 40 % des français sont infidèles (j’invente, hein), j’aime bien savoir comment on arrive à cette conclusion. Le 7 décembre et les jours qui ont suivi j’étais en plein rush de fin de trimestre, mais depuis j’ai pris le temps d’aller à la pêche aux infos…

La source de tout ce tintouin, c’est la publication du rapport PISA 2009 début décembre. C’est ce rapport qu’il faut interroger, ce que peu de médias ont fait. C’est le fondement même de PISA, ce sur quoi repose ce programme, qu’il faut mettre en perspective.

1. PISA, kezako ?

Program for International Student Assessment est un programme mis en place par l’OCDE auprès des jeunes de 15 ans dans les pays de l’OCDE et partenaires de l’OCDE (arrivée des pays asiatiques dans le rapport 2009), tous les 3 ans depuis 2 000. Entre 4 500 et 10 000 élèves sont testés dans chaque pays, qu’ils viennent du public ou du privé.

Très bien sauf qu’à 15 ans, on n’est pas forcément au même niveau d’étude dans tous les pays, certains élèves sont dans leur 10ème année, certains dans leur 9ème : il existe nécessairement entre eux un réel écart, jamais pris en compte par PISA, qui évalue in fine une classe d’âge, pas un niveau d’étude (aller sur le site du SNUIPP pour plus de détails sur cette question).


2. L’objectif de ce programme

est d’évaluer « dans quelle mesure les élèves en fin de scolarité obligatoire ont acquis les connaissances et les compétences indispensables pour participer pleinement à la vie en société. Il présente des données sur les compétences des élèves en compréhension de l’écrit ainsi qu’en culture mathématique et scientifique, met en lumière les facteurs qui influencent le développement de ces compétences - tant à l’école qu’à la maison - et en analyse les implications pour l’action publique. »


Cette déclaration d’intention est lourde de sens. PISA ne s’en cache pas, il est une émanation d’un organisme économique et sa visée est politique ; l'idée de départ est de faire une sorte d'audit afin de fournir un indicateur statistique qui pourrait aider à ce que "les dépenses de l'état pour l'éducation répondent aux "besoins" de l'économie, entendez : qu'elles servent le mieux possible la compétitivité et le profit" (je cite cette excellente analyse).


PISA a pour mission d’évaluer, finalement, la manière dont les élèves sont préparés à être efficients économiquementdans la société qui les attend. Certes, c’est le rôle de l’école, mais est-ce le seul ? N’existe-t-il pas d’autres enseignements, moins aisément quantifiable et difficilement évaluables, qui passent, souterrains, et forment les consciences et les individus, considérés comme autres que futurs acteurs économiques ?


Avec PISA on voue un culte au résultat. Philippe Meirieu (il est parfois agaçant, mais là il a raison) note que « PISA, c’est d’abord la faillite de la pensée facile, de l’illusion technicienne, du leurre d’une gestion “objective” et purement gestionnaire des systèmes éducatifs. C’est la démonstration de l’absurdité du pilotage par les résultats. […] Les résultats de PISA nous donnent des indications sur le niveau de performance des systèmes scolaires, mais, en aucun cas, sur la nature des projets éducatifs des sociétés qui les portent, ni sur le bien fondé politique, pédagogique, éthique des méthodes qu’ils utilisent. On peut obtenir des résultats à peu près identiques et promouvoir des valeurs radicalement différentes, voire opposées ».


3. Qu’est-ce qui est évalué, comment ?

Les tests proposés aux élèves sont fondés sur un corpus commun et international autour du triptyque lecture – maths – sciences. PISA n’évalue pas la manière dont les élèves se débrouillent avec le programme de leur pays mais leurs compétences dans ces trois seules matières. Pas d’histoire, pas de géographie, pas d’art par exemple, travaillés en France mais pas dans tous les pays. Je discutais juste avant les vacances avec un père d’élève dont la femme est finlandaise (la Finlande est première partout dans les rapports PISA, un truc de malade). Il me confiait en souriant que sa femme ne comprenait pas pourquoi on s’embêtait en France à parler de paléolithique, de néolithique, ou d’histoire des arts. De fait en Finlande il n’y a que peu d’enseignement d’histoire et quasiment pas de géographie. Mais des langues, des maths, des sciences. Tout ce qu’évalue PISA.


Comme le note un observateur franco-finlandais, dans le système finlandais « Si les élèves acquièrent des savoirs en évitant les cours magistraux à l’ancienne, ils ne bénéficient pas toujours d’une ouverture culturelle riche, diversifiée, et surtout critique. Les outils qu’on leur donne sont souvent trop limités. » Entre 7 et 14 ans, les petits Finlandais passent 5 523 heures sur les bancs de l’école, contre 7 544 pour leurs homologues français. « Pendant ce supplément d’heures, les Français emmagasinent des connaissances que n’auront jamais les élèves Finlandais, assez démunis pour exprimer leur point de vue sur des œuvres ou des textes d’idées et souvent peu à l’aise avec l’histoire ou la géographie planétaire ». Les élèves seraient donc encouragés sur ce qu’ils savent, pas sur ce qu’ils pensent. Ca tombe bien, c’est ce qu’évalue PISA.


Certains programmes nationaux correspondent donc « naturellement » mieux à PISA que d’autres. Conséquence perverse : la publicité faite aux résultats de PISA a déjà incité plusieurs pays à modifier leurs programmes dans le sens de PISA, afin d’y mieux réussir et figurer. On file vers une « certaine convergence des systèmes au sein de l’OCDE », comme le note un haut fonctionnaire luxembourgeois.




4. Les enseignants, quels enseignants ?

Les enseignants sont les grands absents de PISA. Education International est le seul à s’en émouvoir. Selon Fred van Leeuwen, Secrétaire général de l'IE, « pour analyser, entre autres indicateurs, la façon dont les élèves sont préparés à affronter les défis de demain, la façon dont ils sont en mesure d'analyser et de communiquer leurs idées, ainsi que leurs possibilités d'accès aux programmes d'apprentissage tout au long de la vie, il est nécessaire que toutes les parties prenantes contribuent aux données statistiques. Continuer d'exclure les enseignants de ce rapport constitue une occasion manquée et amoindrit l'objectif du rapport PISA, consistant à orienter les politiques gouvernementales par l’information ou à utiliser les résultats pour montrer quels pays peuvent apprendre des autres afin de mettre en place et d'atteindre des objectifs mesurables ».


Heureusement en France on a l’habitude de ces rapports d’experts de l’Education où l’on ne trouve pas trace d’enseignant.


5. La France, moyenne ? Ben oui.

Si on joue le jeu de PISA, à quoi ressemble « l’échec scolaire français » ? Sur 65 pays, la France est classée 18ème en lecture (12èmeil y a 10 ans), 16ème en maths (13ème il y a dix ans), 21ème en sciences. La France se situe, c’en est presque remarquable, quasiment toujours dans la MOYENNE des pays l’OCDE ! Le système scolaire français obtient donc des résultats MOYENS. Ce n’est pas tout à fait l’échec total annoncé. Certes le système français est globalement en échec, ça ne se discute pas, mais il est emblématique que ce soit ce classement, et donc la comparaison avec d’autres systèmes, qui suscite ces titres sur « l’échec scolaire français » : une sorte de snobisme qui nous fait passer pour arrogant aux yeux de la planète nous pousse à croire que nous DEVONS être meilleur que les autres. Au nom de quoi ?


Il serait peut-être temps de voir les choses en face : la France n’est pas plus un exemple ou un pays de pointe dans l’éducation que dans de nombreux autres domaines ! De même elle n’a plus de véritable influence politique ou économique dans le « grand concert des nations ». Alors arrêtons de nous leurrer, arrêtons aussi de nous flageller, retrouvons juste un peu d’humilité et mettons le bleu de chauffe, il y a du boulot. Faisons-le correctement et on verra bien où ça nous mène.


Conclusion :

Il faut regarder et utiliser PISA pour ce qu’il est, un programme économique et politique homogénéisant et ne prenant logiquement pas en compte la diversité des pays et des systèmes, puisqu’il cherche le plus petit dénominateur commun. Toutes les particularités éducatives, notamment en ce qui concerne le contenu pédagogique, ne sont pas intégrées dans l’étude.


Par ailleurs, il faut à tout prix se dégager de la vaine tentation de vouloir copier les modèles extérieurs sur la base de PISA. Invité à comparer les mérites des systèmes français et finlandais, le proviseur adjoint au lycée franco-finlandais de Helsinki, insiste sur le fait qu’ « il faut garder à l’esprit l’extrême disparité entre les deux pays. La France compte autant d’élèves du premier degré qu’il y a d’habitants en Finlande, et encore autant dans le second degré ! La population finlandaise est très homogène financièrement, sociologiquement. Il n’y a pas d’élèves exclus ni marginalisés par manque d’argent car le matériel est fourni et la cantine est gratuite. Il n’y a pas non plus de zones « dures » telles qu’on en voit chez nous. C’est difficile de comparer avec la France ! »


Autrement dit, si on cherche, comme les hautes instances françaises le font fréquemment, à copier tel ou tel modèle sous prétexte que le pays en question obtient de bons résultats, on a de bonnes chances de se planter. C’est un modèle original, prenant en compte les spécificités françaises (ce que ne fait pas PISA), qu’il faut trouver. Voilà le travail de ceux qui nous gouvernent.


NOTA :

Pour aller plus loin sur ce dossier, quelques liens :

Par exemple ce billet, déjà mis en lien dans ce blog, qui propose une analyse pertinente du fameux échec.

http://rumeurdespace.wordpress.com/2010/12/08/51/

Une excellente analyse, notamment concernant l'idéologie et l'objectif de départ de PISA : http://www.skolo.org/spip.php?article1276


Bien sûr, les rapports PISA :

2000 : http://www.pisa.oecd.org/dataoecd/44/30/33691604.pdf

2003 : http://www.pisa.oecd.org/dataoecd/48/49/34474406.pdf

2006 : http://www.pisa.oecd.org/dataoecd/10/45/39777163.pdf

2009 : http://www.pisa.oecd.org/dataoecd/33/5/46624382.pdf


Et puis dans la presse :

Quelques-uns parmi ceux qui se contentent de relayer la synthèse présentée par PISA :

Libé : http://www.liberation.fr/societe/1201385-le-niveau-des-eleves-francais-est-en-baisse

Le Monde : http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/12/07/l-ecole-francaise-mal-classee-et-jugee-injuste_1449938_3224.html#ens_id=1399873

Les Echos : http://www.lesechos.fr/economie-politique/france/actu/020985937923-mauvaise-note-pour-la-france-championne-de-l-echec-scolaire.htm

Et parmi les rares qui tentent de prendre un peu de hauteur :

Rue89 (seul à mettre en perspective et en question les conclusions de la synthèse et à se poser la question de la pertinence de tout ceci) : http://www.rue89.com/restez-assis/2010/12/08/le-rapport-pisa-ou-leducation-a-la-performance-179736

Le Point, moins critique mais qui décortique
PISA :
http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/marie-sandrine-sgherri/l-ecole-selon-pisa-07-12-2010-1272314_301.php

… et seul à dire qu’on évite le pire : http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/marie-sandrine-sgherri/education-la-france-evite-la-catastrophe-07-12-2010-1271984_301.php

Education International demande à ce que les enseignants soient consultés par PISA :

http://www.ei-ie.org/efaids/fr/news_detail.php?id=1268&theme=educationforall&country=global

L’avis de Meirieu sur la question :

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/12/0712MeirieuPisa.aspx

Une analyse très intéressante des bons résultats coréens :

http://www.educpros.fr/detail-article/h/5a1672ec23/a/soojin-park-co-auteur-de-pisa-2009-un-enseignant-coreen-est-paye-deux-fois-plus-quun-ens.html

Et puis, instructive également, une analyse des bons résultats finlandais et une comparaison avec la France :

http://www.info-finlande.fr/societe/education/article/Enseignement_performant.html