Gouvernement Valls : un geste vers les ménages sera-t-il efficace ?

francetvinfo

Lors de son discours de politique générale devant l'Assemblée, mardi 8 avril, le Premier ministre, Manuel Valls, pourrait annoncer une diminution des cotisations sociales sur les bas salaires. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut donner la priorité aux "plus pauvres", aux "plus bas salaires", cela semble plus juste. Mais ce n’est voir qu’une partie du problème et donc de sa solution. Une redistribution à destination unique des bas salaires pourrait n’être juste qu’à court terme. On le sait, toute discrimination - même positive - reste de la discrimination, qui parfois finit par desservir la cause qu’elle entendait soutenir. Les économistes parlent à cet égard d’effets distorsifs.

Autrement dit, plusieurs éléments peuvent empêcher une telle mesure d’être pleinement efficace. Pourquoi ? Tout d’abord parce que, déficit public oblige, elle sera nécessairement limitée. Pourtant, Manuel Valls souhaite que la mesure soit visible, en réduisant les cotisations salariales, et espère un choc positif sur les bénéficiaires.

Une mesure qui vise l'électorat de prédilection de la gauche…

Pour répondre, dit-on, aux piètres résultats électoraux passés et éviter que cela ne se reproduise à l’avenir. Le calendrier électoral est chargé, très chargé, entre les européennes, les sénatoriales, les cantonales et les régionales.

Le Premier ministre recherche du soutien politique, au sens premier et au sens théorique du terme. Les mauvaises langues ne pourront pas s’empêcher d’y voir une mesure avant tout électoraliste. Pourquoi ? Comme l’a déjà démontré l'économiste américain Sam Peltzman (1976), pour obtenir un soutien politique - un renvoi d’ascenseur lors des prochaines élections -, il faut :

  • Redistribuer à destination de bénéficiaires en nombre limité, afin qu’ils y soient plus sensibles
  • Faire financer la relance par le plus grand nombre pour étaler le coût et mieux "le faire passer"
  • S’adresser de préférence à sa "clientèle captive", son électorat de prédilection : ici, les bas salaires qui votent plutôt à gauche.

Cependant, plusieurs obstacles peuvent se dresser en chemin :

  • Si les ressources sont limitées, alors l’effet multiplicateur, ou effet de levier, de la mesure risque de l’être tout autant. En effet, 50 euros de plus sur un mois – c’est la somme avancée par Le JDD -, c’est peu en termes de capacité de dépense supplémentaire. On ne remplit pas un chariot au supermarché avec 50 euros.

… mais qui risque d'être insuffisante

Pour que la mesure soit efficace et visible – au sens de la politique macro-économique keynésienne -, c’est l’équivalent d’un chariot tout entier qu’il faudrait donner ! Redistribuer environ 150 euros par mois serait plus visible, donc plus efficace. Cela représenterait environ 13% du smic net mensuel (qui est de 1128 euros net pour 35 heures hebdomadaires).

Mais la crise rend l'avenir plus incertain. Les gens sont plus prudents, de sorte que tout supplément de revenu risque d’être plutôt épargné que consommé, rendant la mesure moins efficace. Dans ces conditions, le revenu supplémentaire n’est pas près de faire repartir la croissance. A moins que l’on puisse toujours vérifier que, comme le supposait Keynes, les populations les plus précaires soient aussi celles qui ont la plus forte propension à consommer le revenu supplémentaire reçu. Mais, même en admettant que la mesure prenne et que les bénéficiaires augmentent leur consommation, que vont-ils consommer ? Il ne faudrait pas que l’on "exporte notre relance", comme on l’a trop souvent fait dans le passé. La relance française a souvent profité aux producteurs allemands. Et demain ?

Si ces hypothèses se vérifiaient, non seulement la mesure serait inefficace pour relancer la croissance, mais son coût poserait problème, en période de contrainte budgétaire forte.

Finalement, il semblerait que cette mesure ne soit pas la plus adaptée au contexte de crise que nous vivons. Il y a bien sûr d’autres dispositions dans le pacte de responsabilité-solidarité, visant à réduire la pression fiscale sur les entreprises. C’est pour compenser la baisse de 2,5 milliards d’euros de l’impôt sur les bénéfices ou la suppression de la taxe C3S (5,5 milliards d’euros) et les 10 milliards supplémentaires d’allègements d’impôts que le président et le Premier ministre souhaitent faire "un geste en faveur des bas salaires".

Pas de mesure prévue pour les classes moyennes

Cette mesure devrait concerner 9 millions de salariés. Et les autres ? Manuel Valls a pourtant déclaré dimanche, dans Le JDD, qu’il souhaitait "créer les conditions de la confiance" et s’attaquer "aux ravages de la hausse des impôts" pour "les classes moyennes et ceux qui se sont retrouvés imposables pour la première fois".

On peut apprécier que le discours sur la confiance commence à évoluer. Ainsi qu’on le soulignait dans un précédent post, croissance et confiance ne se décrètent pas. Tout au plus un gouvernement peut-il créer les conditions favorables à leur apparition. Cependant, s’agissant des classes moyennes, la communication existe, mais il semblerait qu’il n’y ait pas encore de mesures prévues. On peut aussi se demander comment va être financée la relance. La suppression de la prime pour l’emploi est-elle toujours à l’ordre du jour ? La mesure sur les bas salaires devrait à elle seule coûter 2 milliards d’euros par an, selon les sources du JDD.

Emprunter ou augmenter les impôts ?

C’est un dilemme emprunt-impôt qui risque de se poser au pays. Mais en a-t-il encore les moyens ? L’Union européenne acceptera-t-elle que la France, une de ses pièces maîtresses, ne respecte pas ses engagements ? Or, les solutions, si la crise persiste, sont limitées et consistent soit à emprunter plus, soit à augmenter les impôts pour financer la relance. Seule la première solution semble envisageable, et ce d’autant plus que, tant que les marchés financiers nous suivent (et avant eux les agences de notation), nous pouvons emprunter à des taux d’intérêts très bas (2,1% pour les taux à 10 ans). Cela durera-t-il ? Et puis n'oublions pas que les dettes d’aujourd’hui sont les impôts de demain.

Retrouver la croissance avant de redistribuer

Il reste que le gouvernement doit être crédible pour pouvoir mettre en place des mesures "actives". Avant de redistribuer, il faut retrouver la croissance et les gains de productivité. Peut-être qu’en commençant par une réduction de la dépense publique (le plan d’économies de 50 milliards d’euros sur trois ans pourrait ne pas suffire), le gouvernement serait plus efficace et plus crédible. Ainsi, il pourrait dégager une marge de manœuvre favorable à l’économie dans son ensemble. En favorisant ainsi une croissance saine, il se donnerait les moyens - demain - d’une redistribution conforme à cette idée de justice sociale dans le respect de l’efficacité économique. C’est un vrai défi, car les moyens pour y parvenir sont peu nombreux.

Le gouvernement a déjà communiqué sur son ambition de justice sociale et d’efficacité économique, il doit maintenant s’en donner les moyens. C’est à cette condition qu’il pourra optimiser les chances de réélection de la gauche.