Jusqu'où la croissance peut-elle faire réélire un président ?

AFP/ Philippe WOJAZER pour France 3 régions

François Hollande l’a bien compris, la bataille de l’opinion étant aléatoire, sa réélection en 2017 dépendra avant tout de son bilan. Il peut ensuite parier qu’à la veille de l’élection présidentielle, la situation économique ne pourra pas être pire qu’aujourd’hui et qu’il aura eu du temps pour influencer la trajectoire du taux de croissance, et donc celle du taux de chômage. En un mot, il entend bien surfer sur le "cycle économique électoral" ("Political Business Cycle"), idée que l’on doit à l’économiste américain William Nordhaus en 1975, pour optimiser ses chances de réélection. Cependant, les choses ne sont pas si simples.

Quel lien entre croissance et élections nationales ?

Si l’on remonte aux législatives de 1973 et à la présidentielle de 1974, on observe que ces deux scrutins se sont déroulés dans un contexte de croissance économique forte (5,8%) pour le premier et confortable (3%) pour le second. Ainsi, il est possible d’avancer que le sortant avait – sauf événement imprévu – toutes les chances de remporter les élections. Ce fut encore le cas pour les législatives de 1978, avec une croissance qui tentait de se rétablir, à 3,8% après un creux à -0,9% en 1975 consécutif au premier choc pétrolier. Cependant, ce rebond ne fut pas durable : anéantie par le second choc pétrolier, la croissance française plafonnait à 1,2% en 1981, ce qui entama les chances de reconduction de Valéry Giscard d’Estaing tout en favorisant l’arrivée de la gauche au pouvoir.

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2% de croissance, un seuil minimum pour être réélu ?

• Le contre-exemple de 1986-1988

En observant la chronique des élections sous la Ve République, il semblerait qu’un seuil de croissance minimum de 2% soit nécessaire à la reconduction d’un sortant. Peu ou prou, car en 1986, en dépit de 2,4%, la gauche et François Mitterrand feront l’expérience de la première cohabitation, la droite gagnant les législatives. Cependant, elle ne saura pas capitaliser sur la remontée de la croissance, le pouvoir partagé entre Mitterrand et Chirac ayant peut-être perturbé les électeurs. Qui récompenser ? Le gouvernement de droite ou le président de gauche ? Ils ont majoritairement fait le choix de François Mitterrand, faisant mentir le seuil des 2%, du point de vue des sortants de droite... Et pourtant, en 1988, la croissance s’était redressée à 4,6%. La droite aurait donc dû – sur le papier – gagner la présidentielle ceteris paribus (dans le jargon des économistes : toutes choses étant égales par ailleurs, ou encore, avec la seule référence à ces éléments), mais ce ne fut pas le cas.

• 1993-2012, ça marche

Après la crise engendrée par la première guerre du Golfe, la croissance "dévisse" et tombe à -0,9% en 1993, l’année des législatives. La gauche est alors sévèrement défaite. La cohabitation "bis" peut commencer. Lorsque Jacques Chirac remporte la présidentielle de 1995 contre le Premier ministre (et ami de 30 ans) Edouard Balladur et Lionel Jospin, la croissance est repassée à 2,1%, le seuil tout juste nécessaire. En 1997, poussé par les contraintes budgétaires du calendrier de la qualification à la monnaie unique, il fera l’erreur de stratégie électorale qui le conduira à dissoudre l’Assemblée nationale "trop tôt", amenant ainsi la troisième cohabitation. Le président n’a pas su anticiper que la croissance repartirait vigoureusement à l’extérieur, quand il dissout nous ne sommes plus qu’à 1,9%. En laissant le calendrier électoral se dérouler jusqu’à son terme, soit en 1998, Jacques Chirac aurait pu bénéficier d’une croissance à 3,4%, ce qui aurait été suffisant pour une victoire électorale.

2002, Lionel Jospin est le Premier ministre en cohabitation, il est donc à ce titre responsable du bilan économique et doit être considéré comme le "vrai" sortant, comptable de son bilan économique. Le président de droite n’est que le sortant institutionnel. Lionel Jospin pouvait encore "virtuellement" gagner si la situation de 2000, voire de 2001, restait inchangée (avec 3,8% puis 2,1% de croissance), mais il va perdre la présidentielle. C’est Jacques Chirac qui saura profiter de la décélération de la croissance, tombée à 1% en 2002, entraînant un retournement de la courbe du chômage.

En 2007, la croissance repart à 2,4%. Suffisant pour Nicolas Sarkozy, qui profite à plein de la décrue du chômage enregistrée sous Dominique de Villepin. Cependant, les  crises reviennent, obéissant à des cycles de plus en plus courts. C'est la crise financière internationale de 2008, puis celle de la dette souveraine en Europe à partir de 2010, lesquelles ont raison de la croissance. Et en 2012, en dépit d’un rebond (la croissance s’étant effondrée à -3,1% en 2009), le sortant ne peut s’appuyer que sur une croissance atone (0%). Privé de marges de manœuvre, il perd la présidentielle.

Hollande a raté une fenêtre de tir

Comme nous venons de le voir, les gains électoraux de la croissance sont fortement soumis aux caprices de la conjoncture économique et de la politique internationale. Nul n’est à la merci de chocs extérieurs aux effets récessifs (dans le jargon des économistes, on parle joliment de "chocs exogènes non contrôlés").

Or, François Hollande a peut être manqué une fenêtre de tir, ouverte entre son élection et la fin de l’année 2013, période pendant laquelle la conjoncture mondiale semblait repartir sur le chemin de la croissance. Quitte à être transitoirement impopulaire, il aurait fallu engager d’emblée la réduction des déficits et mettre en place une vraie rationalisation "économique", et non uniquement "juridique", des choix budgétaires, en un mot, des réformes de structure rendant l’Etat plus efficace. Ce qui aurait ensuite ouvert la voie aux baisses d'impôts pour les entreprises mais aussi pour les ménages. Mais aujourd’hui, à trois ans de l’échéance présidentielle, le taux de prélèvement publics obligatoires atteint le niveau le plus élevé depuis l’après-guerre (avec 46,1% du PIB), le poids de l’Etat atteint 57,1% du PIB, sans parler du déficit et de la dette, dans le collimateur de l’Union européenne.

Le président peut-il croire en sa bonne étoile en 2017 ?

Le président veut croire en sa bonne étoile et dans le retour de la croissance avant avril 2017, mais c’est un pari à la fois risqué et audacieux. Depuis que nous sommes entrés, en 1974, dans l’ère des crises, la France est en moyenne touchée par un choc extérieur tous les cinq ans, et nous sommes à peine sortis du dernier en 2012…