Vote de crise et victoires municipales en terres « gaucho-Lepénistes »

Denis Chalet/AFP francetvinfo

 
Terme provocateur inventé par le politologue Pascal Perrineau, le gaucho Lepénisme est une expression établie depuis 1995. Elle fait référence au vote de crise d’une frange d’un électorat majoritairement composé d’ouvriers et de chômeurs, qui votent sur des critères  sociaux-économiques et se détournent de la gauche pour faire le choix du FN.

Au soir du premier tour des municipales, le FN affiche des scores élevés et va même jusqu’à l’emporter à Henin-Beaumont. Sans être fort partout, le FN fait de bons scores sur d’anciennes terres communistes. Dans un article de 2003 nous avons démontré qu’il n’y a pas que cela (« A Le Pen vote function for the 2002 Presidential election : a way to reduce uncertainty », in French Politics). Le vote FN est en effet polymorphe et cela perdure aujourd’hui encore.

Volatilité du vote extrême-droite

Longtemps le score de l’extrême-droite a été difficile à appréhender, à tel point qu’on finissait par le classer au rang des inconnues permanentes de la vie politique française. Des résultats en dents de scie rajoutaient au caractère variable du phénomène. Mauvais score aux européennes de 1999 et modestes performances aux municipales de 2001, pouvaient laisser croire qu’il ne serait plus en mesure d’exercer son pouvoir de nuisance, comme ce fut le cas en 1997 lors de triangulaires souvent fatales à la droite. Puis, vint le choc de 2002, lorsque, réalisant son score le plus élevé à une présidentielle, Jean-Marie Le Pen, avec 16,86% des voix, évince Lionel Jospin du second tour. Aux législatives qui suivent le FN ne réalisera que 11,12% des voix, confirmant implicitement son statut de parti de droite non-gouvernementale.

Géographie du vote extrême-droite : une « banane bleu marine »

Le FN se singularise également par son implantation électorale régionale en vertu d’un arc de cercle partant de la haute-Normandie, passant par les régions du Nord et de la façade Est de la France et aboutissant en Languedoc-Roussillon (voir carte de 2002 qui reste vraie pour 2014). On peut parler de banane bleu-marine comme l’on parle de banane bleue par analogie avec l’arc géographique Rotterdam-Milan en commerce international.

En définitive, l’implantation électorale du FN recouvre des réalités politique, économique et sociétale, très différentes selon les régions. Nos modèles Electionscope en tiennent compte et renforcent ainsi leur pouvoir explicatif, tout en restant dans la logique politico-économique de notre démarche (http://www.electionscope.fr/).

Le vote extrême-droite : entre radicalisation politique et vote économique

Le vote FN est l’occasion de l’expression d’un vote économique, partout où l’on a des régions constituant des « zones de force » de droite ou de gauche, et un taux de chômage plus élevé que la moyenne nationale (en bleu foncé et rouge sur la carte). On peut alors parler d’un vote de crise conduisant au vote sanction des responsables au pouvoir ou des responsables locaux idéologiquement proches du pouvoir.
Mais on a aussi des zones de force FN dans des régions de droite et de gauche où le taux de chômage est inférieur à la moyenne nationale (en bleu clair et rose sur la carte). Il s’agit dans la majorité des cas de l’expression d’un vote de droite qui se radicalise à cause de valeurs sociétales qui ne sont plus assumées par la droite de gouvernement (immigration, sécurité…), et pour la Bourgogne, d’une région de gauche qui vote FN sur ces mêmes valeurs sociétales.

Carte FN CHOMAGE_4

A titre d’exemple, on a observé lors des législatives de 1997, que le FN avait provoqué 75 triangulaires qui causèrent de nombreuses pertes en sièges surtout à droite. Cette situation indique qu’une partie de l’électorat de droite ayant voté Front National au premier tour n’a pas hésité à confirmer son vote au second tour. Ce qui témoigne d’une rupture avec les pratiques antérieures consistant à faire « barrage » à la gauche lorsqu’un candidat RPR, UDF ou divers droite restait en triangulaire avec le FN. Cette radicalisation de l’électorat de droite visible au plan régional, s’est matérialisé par une déperdition en voix du « bloc des droites » aux présidentielles de 1988 et 1995, et par la perte de sièges aux législatives, là où le rapport des forces semblait favorable. Mais cela ne s’arrête pas là, ce fut aussi le cas aux municipales de 1995.

Et les municipales de 2014 : vote de dénonciation ou d’adhésion?

Les scores du FN au premier tour des municipales de 2014 confirment ces résultats. Si le FN se nourrit de la crise, en étant fort là où le chômage est élevé, il peut aussi faire de bons scores dans des régions économiquement prospères, mais aux prises avec des problèmes aigus de société. Dans ce cas précis, il s’agit souvent de régions frontalières par définitions plus « ouvertes » vers l’extérieur. Or, souvent, le vote FN cristallise la peur de l’ouverture qu’elle soit économique, culturelle ou sociale.

Radicalisation de l’électorat de droite, instrumentalisation du vote FN au motif de la crise économique, sont les justifications les plus convaincantes du vote FN.

A la veille du second tour des municipales quel sera l’effet du pouvoir de nuisance du FN en en duel ou en triangulaire ? Les enjeux économiques d’un vote sanction ou les stratégies politiques ou sociétales d’un vote de valeurs suffiront-ils pour placer le FN à la tête de nombreuses mairies, lui qui n’a pas l’image ni l’expérience d’un parti de gouvernement ? Peut-on affirmer  que le vote FN soit passé d’un vote de dénonciation à un vote  d’adhésion?

Le barrage à l’entrée de nombreux fronts républicains pourrait réduire les chances de succès du FN. Si le maintien de Jean Michel du Plaa à Béziers sonne pour beaucoup l’annonce de la victoire de Robert Ménard soutenu par le FN ;  à Perpignan Jacques Cresta (moins de 12% au premier tour) a retiré sa candidature afin de faire échec à Louis Aliot (FN) qui au premier tour a devancé l’UMP Jean-Marc Pujol de moins de 4 points. A Fréjus  la droite désunie pourrait faire le jeu du FN David Rachline et le sacrifice d’Elsa di Méo serait vain. Autre « sacrifié », à St Gilles c’est le maire sortant PS Alain Gaido qui a préféré se retirer face à Gilbert Collard (FN-RBM à 42%), alors même qu’il a fait un très honorable 23% contre 25,4 % pour l’UMP Eddy Valadier.

Finalement, il apparaît que la meilleure solution pour tout gouvernement qui souhaite contrer la montée du FN, ce soit d’abord de lutter efficacement contre la crise économique. Les bons résultats obtenus pourraient même avoir des retombées bénéfiques, en réglant une partie des problèmes de nature sociétale (la sécurité par exemple). Il resterait ensuite à envisager sereinement les choix de société qui engagent les générations futures.