La Norvège aurait ouvert récemment un service de psychiatrie proposant à ses patients une thérapeutique non médicamenteuse. Mais quelles sont les alternatives aux molécules chimiques pour traiter les troubles mentaux ?
L'occasion de ressortir ici quelques travaux de recherche issus d'une revue de littérature que j'avais rédigée en 2013 pour valider mon diplôme universitaire en analyse du comportement (Lille 3). Ces travaux de recherches tentaient d'évaluer l'effet des thérapies comportementales sur les troubles psychotiques…
Comportements verbaux inadaptés chez les personnes avec trouble psychotique : quelle place pour les thérapies comportementales ?
Il est admis aujourd’hui que les troubles psychotiques ont une origine biomédicale, caractérisée par un dysfonctionnement neurochimique ou neuroanatomique. En cohérence avec ce modèle, le traitement couramment utilisé en psychiatrie pour traiter ces troubles est la médication par psychotropes. En parallèle de ce modèle, il existe également une interprétation psychodynamique des symptômes qui fait l’hypothèse de l’existence d’un appareil psychique situé à l’intérieur de l’organisme, et doté d’un statut causal non vérifié scientifiquement. Un autre modèle explicatif des troubles psychotiques est le modèle d’analyse fonctionnel, inspiré du conditionnement opérant de Skinner (1938). Ce modèle béhavioriste ne nie pas les explications biologiques du trouble, mais s’intéresse aux variables de l’environnement qui contrôlent et maintiennent les comportements inadaptés afin de proposer un traitement modifiant ces variables.
Exemple 1 : Ayllon, T. et Haugton, E. (1964). Modification of symptomatic verbal behavior of mental patients. Behavior Research and Therapy, 2, 87-97.
Pour tester le rôle de l’attention sur le maintien du discours inadapté d’une patiente schizophrène, Ayllon et Haugton utilisent une procédure de renforcement différentiel (extinction et renforcement social). Avant l’expérience, ils procèdent à une analyse des énoncés produits par la participante. Les auteurs les divisent en deux catégories : discours inadaptés comportant des références à la famille royale anglaise (exemple : « je suis la reine »), et discours neutres adaptés aux situations (exemple : « quelle heure est-il ? »). Dans un premier temps, les soignants reçoivent pour consigne de ne porter attention qu’aux conduites vocales délirantes et notamment de les renforcer en donnant une cigarette. Les discours adaptés reçoivent quant à eux le traitement inverse. La fréquence des vocalisations inadaptées double alors rapidement et les discours neutres diminuent sensiblement par rapport à la ligne de base. Dans un second temps, les contingences sont inversées : les réponses inadaptées sont ignorées et les réponses neutres sont renforcées. L’effet est sensible sur l’accroissement de la fréquence des réponses neutres.
Exemple 2 : Liberman, R. P., Teigen, J., Patterson, R. et Baker, V. (1973). Reducing delusional speech in chronic, paranoid schizophrenics. Journal of Applied Behavior Analysis, 6, 57-64.
Deux femmes et deux hommes ayant reçu un diagnostic de schizophrénie participent à cette recherche. Trois sources de mesures des réponses sont utilisées : d’une part, des interviews quotidiens menés par les membres de l’équipe soignante, quatre fois par jour pendant 10 minutes avec guidances conversationnelles et approbation des paroles du participant toutes les 15 secondes ; d’autre part, 30 minutes de conversation informelle chaque soir avec un thérapeute lors d’un temps de restauration. Enfin, la troisième source de mesure avait lieu lors de périodes institutionnelles, en dehors des temps d’interviews et des conversations. La durée quotidienne de conversation adaptée était mesurée durant la période de ligne de base. Après cette période, les participants débutaient une première phase de traitement (phase A) consistant en l’arrêt des interviews dès la première émission d’un discours délirant et en l’aménagement d’un temps de discussion du soir proportionnel au nombre de minutes de discours adaptés accumulés durant les quatre interviews de la journée. Le traitement en phase B consistait en un estompage des procédures de renforcement. Les résultats suggèrent que le traitement réduit les discours délirants, mais temporairement et de façon incomplète. De plus, les auteurs n’ont observé aucune généralisation des effets du traitement en dehors des interviews et des conversations, c’est-à-dire lors des échanges informels entre les participants et l’équipe soignante.
Exemple 3 : Davis, J. R., Wallace, C. J., Liberman, R. P. et Finch, B. E. (1976). The use of brief isolation to suppress delusional and hallucinatory speech. Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, 7, 269-275.
Les auteurs ont cherché à diminuer les discours délirants d’une patiente psychotique de 33 ans en utilisant une procédure de time-out (les auteurs font l’hypothèse que le comportement cible est maintenu par renforcement social). Les résultats montrent que la procédure a été efficace, mais que les effets ne se sont pas généralisés au cadre institutionnel. La tentative d’estompage d’un programme de time-out à un programme intermittent a vu les verbalisations inadaptées revenir à un taux de ligne de base.
Exemple 4 : Wong, S. E., Terranova, M. D., Bowen, L., Zarate, R., Massel, H. K. et Liberman, R. P. (1987). Providing independent recreational activities to reduce stereotypic vovalizations in chronic schizophrenics. Journal of Applied Behavior Analysis, 20, 77-81.
Les auteurs ont évalué les effets d’une pratique d’activités de loisir sur les vocalisations stéréotypées de deux adultes schizophrènes. Les auteurs font l’hypothèse que l’activité de loisir est un comportement incompatible avec les stéréotypies verbales. La procédure utilisée est un DRI (renforcement différentiel de comportements incompatibles). Les auteurs ont évalué deux types de comportements chez deux patients : parler seul et marmonner. La procédure consistait à guider les patients pour qu’ils s’engagent dans une activité de loisir et à renforcer ce comportement approprié à l’aide de jetons. La procédure a permis la réduction des vocalisations stéréotypées chez un patient et a été plus efficace pour réduire les marmonnements chez l’autre patient. L’un des inconvénients de cette étude est l’absence de mesure des effets du traitement dans l’environnement institutionnel.
Exemple 5 : Dixon, M. R., Benedict, H. et Larson, T. (2001). Functional analysis and treatment of inappropriate verbal behavior. Journal of Applied Behavior Analysis, 34, 361-363.
Le participant est un homme de 25 ans ayant reçu un double diagnostic de psychose et de retard mental moyen. L’analyse fonctionnelle indique que les phrases inappropriées de la personne sont maintenues par de l’attention. Le traitement a consisté en un renforcement différentiel des paroles appropriées. Le traitement a permis de réduire efficacement le taux d’apparition du comportement cible. Les auteurs n’ont pas mesuré une généralisation de ces effets.
Exemple 6 : Arntzen, E., Tonnessen, I. R. et Brouwer, G. (2006). Reducing aberrant verbal behavior by building a repertoire of rational verbal behavior. Behavioral Interventions, 21, 177-193.
Une femme de 44 ans ayant reçu un diagnostic de schizophrénie participe à cette étude. Les auteurs définissent les comportements verbaux anormaux comme étant soit des mots ou phrases répétitives, soit des mots ou phrases non reliés à l’environnement, soit des réponses écholaliques. Les auteurs font l’hypothèse que le comportement verbal inadapté est maintenu par renforcement social. L’objectif de l’étude est de réduire le comportement verbal inadapté en appliquant une procédure d’extinction et en proposant un apprentissage d’un comportement verbal alternatif, adapté, en entraînant la participante à produire différentes classes de comportement verbal : demandes, commentaires, réponses à des questions, etc. Les réponses correctes sont renforcées socialement et par un jeton après chaque session réussie. À partir de la 33ème semaine d’enregistrement, le tabac est ajouté comme agent renforçateur. Les auteurs observent une diminution du taux de comportements inadaptés, en même temps qu’une augmentation des réponses adéquates, à partir de la 33ème semaine d’enregistrement. Néanmoins, les comportements verbaux inadaptés continuent d’être émis par la participante.
Conclusion
Le maintien et la généralisation des comportements appropriés restent problématiques après traitement, même lorsque l’ensemble de la vie institutionnelle est mise à contribution pour modifier les comportements.
Se pose également le problème de la réinsertion des personnes dans la société. L’hôpital psychiatrique traditionnel est en effet un micro-milieu où les relations entre le personnel soignant et les patients obéissent à certaines règles plus ou moins explicites (l’hôpital est davantage organisé sur le mode «paternaliste» où les personnes « saines » prennent en charge les personnes « malades »). De ce fait, les conditions de la vie hospitalière ne modèlent pas des comportements d’indépendance et de responsabilité nécessaires à une meilleure estime de soi et un retour à une vie normale.
En plus d’agir sur l’organisation générale de l’institution, certains auteurs suggèrent donc de reprogrammer également l’environnement dans lequel les personnes vont se trouver à leur sortie de l’hôpital, en insistant sur la nécessité de prendre contact avec la communauté extérieure pour préparer celle-ci à les recevoir. Et cela conduit inévitablement à un examen des conditions de vie de la société dans son ensemble.