Dans la tête du type bourré

J.M.F.84

Le Balcofène devrait bientôt recevoir une recommandation temporaire d’utilisation pour le traitement de l’alcoolo-dépendance. L’occasion ici d’illustrer les effets de l’alcool à court terme sur nos comportements :

Ma soirée démarre vers 22h chez une copine dans le nord de Paris, au cinquième étage. À mon arrivée, il y a déjà une bonne trentaine de personnes. On m’offre un premier verre, un punch, fait maison. J’en prends rapidement un deuxième, puis un troisième et un quatrième, je crois. Très vite, l’alcool est absorbé via ma muqueuse buccale, mon œsophage et mon estomac. Une fois passé dans ma circulation sanguine, l’éthanol, principal ingrédient de l’alcool, gagne mes organes les plus vascularisés, notamment mon cerveau et ses neurones. Je m’intéresse alors un peu plus aux invités avec lesquels j’engage des conversations qui me semblent beaucoup moins chiantes. On est tous du même milieu social, influencés par les mêmes références culturelles. L’interaction est d’autant plus facile. J’ai toujours un verre à la main, rempli de vin blanc et j’ai déjà fumé dix cigarettes. Tandis que la nicotine agit principalement sur le réseau de la dopamine, l’éthanol agit sur presque tout mon système neuronal : réseau de la dopamine, du glutamate et surtout du Gaba dont le rôle principal est de permettre le ralentissement de l’activité des neurones. En ciblant les récepteurs du Gaba, l’éthanol exagère donc le ralentissement de mon cerveau. C’est à cela que je dois l’effet relaxant et désinhibant qui me pousse à me resservir de rosé et à poursuivre ma conversation interminable.

Les lumières et la musique s’éteignent. On est interrompu par l’arrivée d’un gâteau, pour l’anniversaire d’un type. Le gars souffle ses bougies et rapidement on vient nous remplir nos verres avec du Crémant. En trinquant avec une fille, mon verre m’échappe et s’éclate par terre ; le ralentissement de mon activité neuronal est aussi responsable de l’amoindrissement de mes réflexes… La musique repart… Sur la piste de danse, je fais chier tout le monde à couper les chansons dont j’aime que le début. J’ai l’impression de danser bien, mais mes temps de réaction continuent à augmenter… Finalement, je ne suis pas du tout dans le rythme. Une fille me demande « tu fais quoi après ?». Ma concentration diminue encore. Elle me pose la question dix fois. Elle et ses copains veulent m’emmener dans une boîte. J’attrape une bouteille et j’appelle un taxi ; quatre fois le numéro avant de composer le bon (acuité visuelle en chute libre). On descend les cinq étages à pied, moi les escaliers deux à deux, je glisse, tombe et brise ma bouteille qui m’entaille le coude (toujours pas de réflexes et l’alcool m’empêche de bien coordonner mes mouvements). L’éthanol inhibe mon système nerveux central et soulage ma douleur : « même pas mal ».

Dans la boîte, on me refile un Gin, puis un deuxième… non, d’abord une bière entre les deux. Après le quatrième Gin, je perds le contrôle et les trous de mémoire commencent… Les neurones de mon hippocampe communiquent mal, l’alcool altère ma mémoire épisodique grâce à laquelle, le lendemain, je me rappellerai peut-être de certains détails croustillants. Black-out.

La vessie pleine, je me mets à chercher des toilettes. Je déambule dans les couloirs et les escaliers de la boîte pour finir par atterrir dans un lieu qui ressemble à une cuisine. La cuisine de la boîte ? L’alcool change ma perception, altère mes jugements et donc modifie mes comportements. Cette cuisine est un lieu parfaitement adapté pour pisser… Mais pas le temps de finir qu’un videur m’attrape l’épaule et me met dehors. Je me retrouve sur le trottoir à 5h du matin, une jambe de pantalon pleine d’urine et je n’ai plus qu’à emprunter le chemin du retour que je connais trop bien. Je choisis le vélo comme moyen de transport (jugement encore inadapté). Le seul moment du trajet dont j’ai le souvenir c’est quand un motard a voulu me doubler. Je m’empresse alors de me déporter sur le côté avec application, le motard me dépasse et j’attends longuement qu’il tende sa jambe droite pour me remercier. Mais pas de gratitude du motard ce soir-là.

La suite du trajet, je ne m’en souviens plus. Lorsque je rentre chez moi, j’ai faim. Je remplis une casserole d’eau pour me faire cuire des pâtes, prends un paquet de gruyère râpé dans le frigo et vais dans la chambre pour me déshabiller. L’éthanol, plus que jamais dans mon sang, continue à exagérer le ralentissement de mon cerveau, à tel point que j’entre en état de somnolence. Je tombe sur le lit et m’endors.

Je me réveille le lendemain vers 15h. J’ai un mal de tête atroce : l’alcool a un effet diurétique qui augmente la production d’urine et dessèche mon cerveau. Il y a aussi du fromage râpé partout sur mes draps et dans mon oreille. Soudain, j’entends la voix de ma mère… « Mais qu’est-ce qu’elle fout chez moi ?! ». Mon lit est plus haut que d’habitude, mon bureau a changé de couleur et quelqu’un a piqué mon radio-réveil. Sur les murs, des vieux stickers de Spiderman, un poster de Zinédine Zidane.

Je commence à comprendre : je suis dans mon ancienne chambre, chez ma mère…