Comment imaginer que quelques points de moins de cotisations patronales pourraient d'un seul coup améliorer nos échanges extérieurs?
François Hollande, 30-01-2012.
Le pacte de responsabilité est-il un tournant libéral?
Non. C'est une étrange perversion du langage en France que de qualifier de "politique sociale" le fait de verser des subventions pour les salariés et de "politique libérale" des subventions pour les entreprises. Dans les deux cas, il s'agit de redistribution étatique visant à orienter le fonctionnement de l'économie, ce qui n'a rien de "libéral". Une politique libérale en France signifierait un ensemble de réformes structurelles visant à accroître la concurrence sur les marchés, réduire les rentes des professions réglementées, etc. Quoi que l'on pense de l'efficacité potentielle (et de la faisabilité) de ce genre de politique, on en est bien loin avec le propos présidentiel. Le mot de concurrence n'y apparaît qu'une seule fois, assorti de l'adjectif "insupportable". Le tournant libéral, ce n'est pas franchement pour aujourd'hui. Au contraire, les dirigeants de grandes entreprises françaises savent désormais qu'il vaut mieux, pour augmenter leurs marges dans un contexte de chômage élevé, quémander des allègements fiscaux en faisant des promesses vagues sur l'emploi, plutôt que prendre des risques économiques.
Par ailleurs, il n'y a aucun changement, mais la continuité de politiques déjà mises en oeuvre. Baisser les charges, c'est l'idée du "choc de compétitivité" et du rapport Gallois, qui avaient abouti à la création dans l'improvisation du crédit d'impôt compétitivité-emploi : réduire les cotisations sociales pour favoriser l'investissement des entreprises et l'emploi. Ce genre de bonneteau fiscal est une constante des politiques françaises, de droite comme de gauche depuis des décennies.
Autre continuité : le langage boursouflé, triomphe du marketing politique sur la substance. "Pacte de responsabilité", "conseil stratégique de la dépense", des termes ronflants (il ne manque que "Grenelle" ou "plan Marshall" à la liste des clichés) pour camoufler des banalités, qui conduisent à discuter beaucoup plus du vocabulaire (libéral? Social-libéral? Social-démocrate?...) que du fond. En France, cela fonctionne à tous les coups.
30 milliards d'allègements de cotisations sociales, qui va payer?
C'est flou. Rien n'a été précisé, sinon le fait que le CICE "va s'inscrire dans le processus" ce qui laisse la possibilité de le fusionner avec cette mesure, ce qui signifierait simplement 10 milliards d'euros supplémentaires à trouver; or si les entreprises répercutent globalement cela dans leurs bénéfices, l'état récupérera environ ce solde par le biais de l'impôt sur les sociétés. Si une partie sert à l'autofinancement d'investissements, cela soutiendra l'activité. L'impact sur les finances publiques est en tout cas réduit.
Il n'est cependant pas nul, et dans ce cas, la logique voudrait qu'il soit financé par l'endettement public. Après tout, si effectivement on attend de ces allègements de cotisations sociales des effets sur l'emploi et l'activité économique, alors que les taux d'intérêt payés par le gouvernement sont ridiculement bas, on est typiquement face à une situation d'investissement public. Refuser de le financer par l'endettement serait inquiétant sur les perspectives réellement attendues de ces mesures.
Mais il est plus probable que l'on s'achemine soit vers une réduction en parallèle des dépenses de la branche famille de la sécurité sociale. En réduisant les allocations touchées par les familles nombreuses aisées, ce qui permettrait de faire passer la chose comme une mesure "de gauche". Sauf que tout ce qui réduit l'universalité des prestations sociales en réduit la légitimité. Politiquement, la politique familiale serait condamnée à brève échéance si elle apparaissait comme réservée aux familles nombreuses pauvres.
Ça peut marcher?
Les économistes considèrent en général que les allègements de cotisations sociales comme une mesure certes coûteuse, mais en général efficace pour la création d'emplois; les désaccords portent sur l'ampleur de cet effet. Certains le considèrent comme élevé, d'autres moins. C'est pour cette raison que ces allègements sont vilipendés dans l'opposition pour leur coût élevé, mais qu'on finit toujours pas y revenir une fois au pouvoir. Et que les entreprises peuvent s'attendre à ce que les allègements restent; la crainte de voir le chômage exploser si elles sont supprimées est un puissant dissuasif.Dans le contexte actuel, c'est une mesure dont on peut attendre des effets positifs.
Mais il ne faut pas se leurrer. L'économie française fait face à des vents contraires très forts. Le chômage est très élevé dans toute l'Europe, selon les prévisions de la Commission Européenne la stagnation va se poursuivre durablement, le contexte macroéconomique est très inquiétant, et à plus long terme, le retour d'une croissance durable est douteux. Bref, cela sera bien loin d'être suffisant, si tant est que cela fonctionne.
Cela dit, politiquement, les anticipations des électeurs vis à vis du gouvernement sont tellement basses que la moindre évolution moins médiocre sera très vite perçue comme très positive. Ce sont les résultats économiques 6 mois avant les élections qui comptent, pas la popularité trois ans avant.