Un fléau social
Il y a une certaine ironie macabre à appeler ce premier mai 2013 la fête du travail. Le rapport sur le chômage en Europe d'Eurostat, sorti hier, indique plutôt que c'est la fête du chômage, qui a atteint un niveau record : 12,1% pour la zone euro. 27% de chômage en Grèce, 26% en Espagne, 17% au Portugal, 11% en France. Le chômage a augmenté de 1,4 points aux Pays-Bas, pourtant auparavant épargnés. Au total, 19,2 millions de personnes en Europe sont au chômage.
Ces chiffres sont tellement élevés qu'ils en deviennent des abstractions. Les statistiques du chômage sont devenues un rituel, un marronnier journalistique mensuel. Le chômage est élevé. Nouveau record. L'opposition déclare que cela signe l'échec du gouvernement. Le gouvernement annonce qu'il est chaque instant focalisé sur le sujet, que sa politique va bientôt porter ses fruits. Et l'on passe à autre chose.
Ce premier mai pourrait être l'occasion de sortir de ce mécanisme pour estimer l'ampleur du mal que représente le chômage. Un instant d'introspection : que ressentiriez-vous si vous vous retrouviez, demain, au chômage? Pensez à la peur du lendemain, le sentiment de déclassement, les humiliations permanentes. Selon Chris Dillow, la perte de bien-être causée par un million de chômeurs est l'équivalent de 10 000 décès.
Ces effets sont bien mesurés. L'augmentation du chômage est corrélée avec la hausse de la criminalité, et la hausse des suicides. Le chômage a un effet ravageur sur les familles, est corrélé avec le divorce, l'alcoolisme, les violences conjugales, entre autres. A une époque ou l'on prétend manifester pour la famille et les enfants, le chômage devrait être la première des préoccupations.
Une catastrophe durable
Il y a pire. Plus le chômage s'installe et dure, plus il est difficile d'en sortir. Etre chômeur de longue durée - plus de 6 mois - est un terrible handicap pour retrouver un emploi. Un chercheur américain a récemment mené l'expérience, envoyant des CV fictifs aux caractéristiques variables pour répondre à des offres d'emploi, pour identifier ce qui était attrayant pour les employeurs. Il a constaté qu'être au chômage depuis plus de 6 mois écrasait toutes les autres caractéristiques. Les employeurs sont plus disposés à rappeler une personne sans la moindre expérience dans le métier considéré qu'une personne expérimentée, mais au chômage depuis plus de 6 mois.
Ce résultat confirme d'autres recherches et des anecdotes qui traduisent la difficulté pour les chômeurs de longue durée de retrouver un emploi. Pour rappel: en France, près de 2 millions de chômeurs sont des chômeurs de longue durée, et la crise en Europe dure depuis si longtemps que les proportions sont du même ordre dans les autres pays européens.
En somme, les effets du chômage se composent. Plus il dure, plus il est difficile de le réduire par la suite, et plus les personnes concernées ont de risques d'en subir indéfiniment les conséquences. Cela ne rend le problème que plus urgent.
Que faire?
Est-il possible de faire quelque chose? Malheureusement, les moyens d'action des gouvernements sont limités et il y a peu de raisons d'espérer que cela change. L'emploi est une priorité dans les discours beaucoup plus que dans les faits. La visibilité sociale et politique des chômeurs est, malheureusement pour eux, bien trop faible pour attirer autre chose que des mesurettes. Quelques points méritent cependant d'être notés.
- La responsabilité de la Banque Centrale Européenne. En 2010 le taux de chômage était le même aux USA et dans la zone Euro. Il est aujourd'hui de 4,5 points plus élevés dans la zone euro. Entretemps, la Reserve fédérale américaine a eu une politique entièrement centrée sur le soutien à l'activité, contrairement à la BCE. Taux d'intérêts à zéro, opérations importantes de rachats de titres, etc. La BCE a été bien moins agressive, au point que la zone euro se trouve au bord de la déflation. Le contexte politique de la zone euro explique cette situation, mais cela ne fait que souligner l'urgence pour les dirigeants européens de faire en sorte de lever ces difficultés. Plutôt que geindre contre l'austérité en général, il serait temps de proposer des alternatives à la fois efficaces et réalistes politiquement. Il y a urgence.
Il est vain d'espérer des résultats sans changement des politiques macroéconomiques en Europe. Mais des réformes internes permettraient aussi d'améliorer les choses. Un récent rapport du Conseil d'Analyse Economique montre que les salaires ont récemment augmenté plus vite que la productivité en France, Amplifiant les effets des difficultés macroéconomiques. Rechercher des moyens d'agir directement sur le coût du travail, en accroissant les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, serait infiniment plus efficace que le très inutile et coûteux crédit d'impôt compétitivité emploi. Selon d'autres travaux récents, une trop grande durée d'allocation chômage peut elle aussi nuire au retour à l'emploi - un élément à prendre en compte alors que les conditions d'indemnisation devraient être bientôt renégociées. Les énergies des chercheurs, les politiques publiques, devraient être entièrement focalisées sur le chômage : on en est bien loin.
illustration via the new yorker