Depuis une quarantaine d’années, la Sicile se métamorphose : les champs d’oranges et de citrons laissent peu à peu place aux cultures de bananes, de mangues et de papayes. Le grenier de l’Italie se teinte d’exotisme. Et pour cause ! Son climat se réchauffe et l’air s’humidifie. En près d’un siècle, la température moyenne de l’île a augmenté de 1,5°C, battant cet été un record historique de 48,8°C. Les pluies se montrent soudaines et diluviennes, donnant à cette terre méditerranéenne des airs équatoriaux.
À mesure que les températures augmentent, le prix des agrumes a chuté. Les agriculteurs siciliens ont alors décidé de faire contre mauvaise fortune, bon cœur et beaucoup sont ceux qui ont préféré s’adapter à de tels changements.
La flambée des fruits exotiques
La Sicile exporte chaque année 300 tonnes de fruits exotiques vers le reste de l’Italie mais aussi dans toute l’Europe, la France étant un de ses plus gros consommateurs. “En 5 ans, le nombre de producteurs a quadruplé et augmente de 20% tous les ans”, nous explique Rosolino Palazzolo. La demande se fait sans cesse croissante, avec un appétit particulier pour la mangue.
L’exploitation des Palazzolo s’étend, paisible et fertile, sur les bords de la mer Tyrrhénienne, à Terrasini, à l’ouest de Palerme. La famille s’est établie là dans les années 1960, cultivant alors les spécialités locales : aubergines, tomates et agrumes variés. Mais Rosolino s’est montré intuitif et prévoyant. Voyant les cultures traditionnelles siciliennes tomber en disgrâce, il s’est lancé, il y a une quinzaine d’années, dans l’exploitation de fruits tropicaux. Un moyen pour lui de survivre, et pas qu’un peu, face au réchauffement climatique de l’île : le kilo de citrons se vend entre 25 centimes et 2,50 euros maximum, contre 6,50 euros celui de mangue !
Son voisin, Michelangelo Gebbia et sa femme, Elisabetta, sont quant à eux pionniers en la matière. Ils ont importé, il y a quarante ans, les premiers plants de fruits exotiques et se retrouvent maintenant à la tête d’une véritable jungle tropicale, composée de 90 variétés différentes.
Les cuisiniers se prêtent aussi au jeu de l’adaptation, introduisant petit à petit ces produits dans leur cuisine. Le chef étoilé sicilien Giuseppe Costa propose un antipasto à base de mangue et un dolce fait de papaye et de cacao. Mais jusqu’à quand ce petit jeu durera ? Cette flambée exotique pourrait bel et bien partir en fumée : selon les experts, d’ici à 2100, bananes, mangues et avocats devraient céder leur place à des dunes de sable aride et la Sicile devenir une île désertique.
Camille Jayr