A la Folle Journée de Nantes, des choeurs de Schubert chantés avec coeur

A Nantes C) Samuel Hense/ Hans Lucas via AFP

En ouverture de cette 28e Folle Journée nantaise consacrée à Schubert nous avons choisi d'aller entendre des choeurs du compositeur autrichien, une partie moins connue de sa production si prolixe. En compagnie de deux ensembles, un français un... estonien.

Une ambiance si différente!

Drôle d'ambiance! C'est un début mais cela ressemble à une fin: nous qui sommes fidèle de cette Folle Journée nantaise, c'est comme si tout était déjà clos, rangé, la fête derrière nous. Plus personne dans la grande halle, à part quelques bénévoles pour indiquer leur chemin aux mélomanes -comment entrer, comment sortir, de cette Cité des Congrès où, d'habitude, l'ambiance est si joyeuse, survoltée, et qu'il faut, cette année, quitter bien vite, retrouvant la nuit froide (très froide cette année, un petit vent glacé!) et la grande avenue entourée de bâtiments pas vraiment guillerets -on est en-dehors des quartiers historiques, même s'il y a, pas loin, des petites rues paisibles où ont fleuri beaucoup de restaurants et de cafés fréquentés qui vont, cette année, pour accueillir les "fous-journeux" entre deux concerts, faire "salon de thé éphémère". Heureuse idée et qui aura du succès. Nantes a aussi son quartier "bobo", comme Paris, comme toutes les grandes villes.

Schubert et sa musique chorale. L'Ensemble vocal de Nantes. Le choeur estonien de Vox Clamantis.

A Nantes C) Samuel Hense/ Hans Lucas via AFP

L'enthousiasme des amateurs

L'Ensemble vocal de Nantes, que la Folle Journée accueille tous les ans, normal, ce sont les régionaux de l'étape, a été repris il y a quelques années par l'enthousiaste Gille Ragon, ci-devant grand chanteur baroque, et nantais! Il nous prévient d'emblée: ce sont des retrouvailles. Ce choeur amateur, d'excellent niveau comme beaucoup, a dû s'arrêter deux ans pour de complexes raisons administratives en lien, évidemment, avec le Covid. Cela se sent. Dans la Gebet (Prière) et particulièrement les interventions solistes, pour une contralto au beau timbre et un ténor vibrant (un peu incertain mais il se rattrapera largement ensuite), on entend une soprano insuffisante et une basse sans projection. Il y a dans le choeur de petits flottements aussi, des sons qui sortent mal mais un bel enthousiasme, un plaisir de (re-) chanter qui culmine dans le magnifique (de puissance, de force, de qualité musicale) Hymne à l'infini sur un texte de Schiller. Comme si Schubert, d'ailleurs, se sentait galvanisé par les grands textes des grands poètes. C'est ainsi qu'à l'inverse le Psaume 23, Dieu est mon berger, uniquement pour voix de femmes, est un peu languissant, confit dans une forme de musique "protestante" bien austère.

Un programme varié, intelligent

Gilles Ragon, dans l'enthousiasme de sa direction, les grands gestes par lesquels il soutient ses troupes (c'est aussi toujours compliqué d'inaugurer un festival comme la Folle Journée), a un côté Philippe Etchebest par l'énergie. L'intelligence du programme, c'est lui: 6 Antiphons, ces pièces très brèves sur des textes de la messe ou du temple, cette Prière qui est une prière profane, un Dieu dans la tempête plus biblique (enthousiasmant aussi par son déchaînement musical), le beau Clair de lune, bien chanté par Vincent Lièvre-Picard, le ténor. Et une pièce religieuse de Salieri au milieu, Salieri qui suivait l'évolution de Schubert, sans d'ailleurs se démener pour l'aider à faire entendre ses oeuvres.

En Estonie C) Nico Tondini/ Robert Harding Premium via AFP

Un choeur venu du Nord

Le programme de Vox Clamantis nous fait entendre aussi le Dieu est mon berger (mais dans une version à quatre voix, une par partie) et la Prière avec des interventions solistes plus ciselées. Vox Clamantis est souvent à Nantes: remarquable choeur estonien porté par le chef Jaan-Eik Turve qui étudia à Paris puis à l'abbaye de Solesmes, devenant ainsi, dans ce lointain pays du Nord, un spécialiste du chant grégorien. Il y aura d'ailleurs trois pièces de ce style musical, une pour hommes (ils sont neuf), une pour femmes (elles sont cinq), une pour la voix étrange d'une choriste qui est contralto avec des couleurs de... ténor. Homogénéité, écoute, pianiste impeccable: la grande tradition chorale de ce pays pour qui cette pratique fait partie du quotidien, au même titre que le boire et le manger. Aux deux Schubert cités viendra se joindre la plus célèbre de Franz, pour choeur d'hommes, le magnifique Chant des Esprits sur les eaux: texte de Goethe, cette fois. Confirmant ce que l'on disait de l'Hymne à l'Infini.

Des mélodies nostalgiques 

Entre Schubert et le grégorien, trois magnifiques mélodies (doit-on ainsi les appeler?) pour hommes aussi (la parité n'était pas vraiment respectée dans ce concert!) d'Eduard Tubin. Tubin, c'est le grand compositeur estonien, mais de l'époque soviétique, quand il n'était pas bien vu (et surtout sous Staline) de montrer sa nationalité -seul l'Arménien Khatchaturian s'y risqua, avec parfois des problèmes pour lui aussi: on était soviétique et c'est tout, puisque d'ailleurs Moscou décidait de tout. Il passe dans ces superbes choeurs de Tubin toute une mélancolie de la terre natale (cela s'appelle Tous les vents, Nostalgie, Chant du soir) dont on n'avait pas souvenir de l'avoir entendue aussi fortement dans des oeuvres plus traditionnelles (symphonies ou concertos) Et l'étrangeté de la langue estonienne (proche du finlandais, non des autres pays baltes) ajoute à cette beauté, au point d'avoir envie d'écouter les Vox Clamantis dans un Tout Tubin. Ou avec la (plus) jeune génération des compositeurs estoniens qu'ils ont déjà défendus à Nantes. Autour du vétéran Arvo Pärt qui a lui aussi repris sa nationalité.

La Folle Journée de Nantes: concerts de l'Ensemble vocal de Nantes, direction Gilles Ragon (Schubert et Salieri) et de Vox Clamantis, direction Jaan-Eik Tulve (Schubert, Tubin et chant grégorien) Cité des Congrès, Nantes, le 26 janvier.