Découvrez la délicieuse "Répétition d'opéra" du méconnu Albert Lortzing depuis l'opéra d'Angers-Nantes!

La Comtesse (Sophie Belloir), le Comte (Jean-Vincent Blot), Louise (Dima Bawad), Adolf (Carlos Natale) C) Jean-Marie Jagu

Voici encore une occasion de passer une heure bien agréable devant son écran: à la découverte de "La répétition d'opéra" d'Albert Lortzing, qui nous vient de l'Opéra d'Angers-Nantes, précédée qu'elle est d'une réputation discrètement féministe. Et cette découverte est aussi celle d'un compositeur qui a encore son petit succès chez nos voisins germaniques, alors que chez nous il occupe à peine trois lignes dans les histoires de la musique.

Le destin contrarié d'un compositeur

Lortzing épouse quasi exactement la première moitié du XIXe siècle, étant décédé en 1851 à un peu moins de 50 ans; et à sa mort il était dans une misère relative. Destin avec plaies et bosses pour cet enfant de la balle (parents acteurs) que l'on fait monter sur les scènes berlinoises à 11 ans. Et comme il chante plutôt bien, et qu'il joue du violoncelle...

Le duo d'Hannchen (Marie-Bénédicte Souquet) et de Johann (Marc Scoffoni) C) Jean-Marie Jagu

C'est ainsi qu'il bascule vers la musique, qu'il part avec sa femme à Leipzig où il reste douze ans, espérant le respect de ses deux collègues, Mendelssohn et Schumann, qui le battront froid: pour eux Lortzing est un "petit maître" pas assez ambitieux, pas assez talentueux. Un Offenbach, quelques décennies plus tard, subira les mêmes avanies du corps musical français. Gloire enfin: on le nomme maître de chapelle. Mais on le renvoie au bout d'un an, il part à Vienne, y est nommé aussi maître de chapelle... perd encore ce titre deux ans après. Succès et déchéance pour un homme dont certaines oeuvres (Tsar et charpentier, la plus célèbre, ou Ondine) font encore les beaux soirs des théâtres allemands.

Sa dernière oeuvre... qu'il ne verra pas

Renvoyé de Vienne il retourne à Berlin, accepte un nouveau poste de directeur musical dans un nouveau théâtre d'opérette, meurt brusquement le 21 janvier 1851, alors que la veille...

Oui, le destin aura toujours été contre ce malheureux Lortzing: la veille, à Francfort, sa nouvelle oeuvre, qu'il n'entendra jamais, La répétition d'opéra, avait connu un fort beau succès. Et cette oeuvre (Lortzing en aura composé de plus ambitieuses) semble -sans vouloir non plus en faire une question métaphysique- au coeur de ses contradictions.

Hannchen (Marie-Bénédicte Souquet) devant "son" orchestre C) Jean-Marie Jagu

Des quiproquos autour d'un mariage

Une pochade, diraient certains. On va chercher une obscure comédie française de 1733, L'impromptu de campagne, d'un certain Philippe Poisson, mêlant des intrigues (assez simplettes, les intrigues!) à la Marivaux, sans évidemment le génie psychologique de celui-ci. Intrigues et caractères, pour certains fort peu développés puisque l'affaire est pliée en une heure, pas de quoi s'attarder à fouiller les personnages. Mais résumons: au château du Comte, mélomane invétéré, se répète un opéra, sous la direction d'Hannchen, la soubrette. Mais qui sont ces deux hommes qui passent dans le parc? Le jeune Adolf von Reinthal qui s'est enfui avec son valet, Johann, pour échapper au mariage organisé par son oncle; et pour survivre dans ces lieux tout dédiés à la musique, quoi de mieux que de se faire passer pour des chanteurs ambulants? Cela tombe bien, le ténor prévu, aphone, a déclaré forfait pour l'opéra qui se prépare. Louise, la fille du comte, trouve très à son goût le plus jeune des chanteurs. Mais elle sait par Hannchen ("Qui a dit qu'écouter aux portes était une indiscrétion?") que ledit chanteur est un noble de sa condition. Et, ô miracle (attendu!), l'arrivée de l'oncle, en un final délicieux où se confondent vie réelle et théâtre, dévoile que... Louise et Adolf, qui se sont reconnus sans le savoir, étaient bien, par la décision des deux familles, promis l'un à l'autre. En même temps que les valets se font la même promesse, eux par leur libre décision.

Marivaux sans la mélancolie

Un Marivaux sans la mélancolie, parfois un peu léger -des caractères, celui de la comtesse ou de l'oncle, absolument pas "creusés", celui de Louise, jeune fille qui s'ennuie un peu, à peine davantage. Mais une musique joyeuse, jamais banale, toujours brillante et virevoltante, très joliment servie par le chef Antony Hermus: on soigne les attaques, on n'appuie jamais, on allie idéalement fougue et légèreté. Mise en scène simple, dans un joli décor XVIIIe siècle d'Orangerie (qui servait souvent de théâtre musical), où les portes claquent, avec parfois, de la part d'Eric Chevalier, quelques baisses de rythme, des placements confus, rattrapés par la vivacité bonhomme de la troupe.

... et le dirigeant C) Jean-Marie Jagu

Le modèle de Lortzing; Mozart!

On se dit parfois, devant l'invasion de petits maîtres (souvent du XVIIIe siècle): "Ah! on dirait du Haydn (Mozart, Beethoven) en moins bien -ou en très moins bien". Ce n'est pas du tout ce qu'on pense à l'écoute de Lortzing. Mais plutôt: "Ah! ça ressemble à... (les mêmes!) Mais évidemment ce n'est pas..." Sans qu'on puisse mettre un nom. Evidemment. Mais sans identifier (il faudrait peut-être écouter TOUT Lortzing) on est sûr d'une chose: Lortzing avait bon goût, qui rend dans cette Répétition d'opéra, un juste et admiratif tribut à Mozart (son dieu, à une époque où ce n'était pas le plus courant): dans le personnage du comte, plus proche, en sa bonhomie à la Philippe Noiret, de l'Almaviva de Rossini que de celui des Noces de Figaro, et Jean-Vincent Blot l'incarne à ravir. Dans le sextuor, très joliment écrit. Dans les airs des deux chanteurs, charmant pastiche galant, avec un Marc Scoffoni en Johann, baryton au timbre brillant et qui en fait autant que les valets les plus extravertis. Joli personnage, celui-là sans modèle, d'Adolf, et Carlos Natale en a et l'élégance et la voix légère à la Florez (et, parmi tous les ravissants costumes que l'on admire une heure durant, il porte le plus ravissant!)

Les parents (Jean-Vincent Blot et Sophie Belloir) et Fifille (Dima Bawad) C) Jean-Marie Jagu

Et une héroïne féministe avant l'heure...

Les autres sont tous à leur place, même si Grégory Boussaud, le serviteur Martin (rôle parlé), n'est pas tout à fait dans le ton. Gardons la maître-d'oeuvre pour la fin, cette Hannchen qui justifie, en ces temps justement féministes, la réhabilitation de l'oeuvre: c'est elle la chef d'orchestre, dans tous les sens du terme, intronisée "maître de chapelle" par Johann, ce qu'elle est : un rôle de directeur musical dans les établissements religieux ou dans la haute noblesse, kapellmeister en allemand, qui n'avait évidemment pas de féminin et n'en a toujours pas. Inventons-le donc pour Marie-Bénédicte Souquet: kapellmeisterin (maîtresse de chapelle) et aussi deus ex machina, se servant au passage - et Souquet compose une très jolie Hannchen, sachant être mélancolique dans son air Le destin est une chose extraordinaire, voix joliment placée dans tous les registres malgré un petit manque de puissance.

Johann (Marc Scoffoni) et Adolf (Carlos Natale) chantant devant Louise (Dima Bawad) et Hannchen (Marie-Bénédicte Souquet) C) Jean-Marie Jagu

Le sous-titre de cette Répétition d'opéra est Les dilettantes distingués. On ne considérera pas Lortzing comme un dilettante mais comme un homme de goût (Mozart, Rossini mais aussi Beethoven), qui a aussi l'avantage de nous donner une autre vision de nos voisins germains que celle qu'on leur attribue trop souvent -la lourdeur. Allez donc goûter la pétulance de cette "répétition d'opéra qui se transforme en fête de fiançailles"  par laquelle est passé aussi (en version féminine) notre Figaro à nous, celui de Beaumarchais.

La répétition d'opéra d'Albert Lortzing, mise en scène d'Eric  Chevalier, direction musicale d'Antony Hermus, capté au théâtre Graslin de Nantes et diffusé sur le site Facebook et sur le site You Tube de l'opéra d'Angers-Nantes, au moins jusqu'au 25 avril 2021.

En ouverture d'un festival numérique, "Avril au balcon", dont les différents épisodes sont à retrouver sur le site de l'opéra.