Les concerts ont repris sous une forme particulière à Radio-France avec les deux orchestres maison. Nous avons assisté à ceux, hebdomadaires, du "Philar'", dirigé par son chef, Mikko Franck.

Les concerts de Radio-France ont repris en diffusion

Une forme particulière, en effet: sans public mais il y a "public" dans "service public". C'est la chance des musiciens de l'Orchestre national de France et de l'Orchestre philharmonique de Radio-France d'être adossés à l'entreprise de radio. Allez, si vous n'y êtes pas encore habitués, sur France Musique le jeudi et le vendredi, c'est concert hebdomadaire, et de belle qualité. Le jeudi c'est National (et non pas raviolis), le vendredi c'est Philharmonique (et non pas spaghettis)...

Ainsi est finalement assez bien respecté le programme (on s'y est référé!) mis au point en avant-saison (que ce temps paraît lointain!) puisque, plus de public oblige et sans aucune perspective, le sacro-saint horaire aménagé, qui a réduit quelques semaines les concerts à une heure pour que les auditeurs rentrent chez eux à temps, n'a plus lieu d'être, et encore moins avec un couvre-feu à six heures qui nécessiterait presque des concerts-apéro programmés à midi. Sans apéro, puisque, donc, public interdit!

Jouer avec une telle joie de pouvoir le faire...

C'est donc à des horaires incertains mais dans l'après-midi, et en gardant une marge pour la diffusion du soir (20 heures) que, jonglant avec les incessants changements de couvre-feu, de confinement et tutti quanti, les musiciens (ceux du Philharmonique mais l'on ne doute pas qu'il en soit de même pour leurs amis du National qu'on ira entendre aussi) jouent, nous semble-t-il, avec une telle joie de pouvoir le faire qu'on en est tout heureux, et pour   eux, et pour nous. Selon cependant un rituel qui a un peu changé d'un vendredi à l'autre.

Il faut déjà préciser que Mikko Franck, le chef du Philharmonique, a mis au point (depuis l'an dernier si notre mémoire est bonne) quelque chose d'assez nouveau dans l'organisation immuable des concerts orchestraux (sur toute la planète et depuis la nuit des temps), soient ouverture-concerto-symphonie: y insérer des oeuvres de musique de chambre, ou bien jouées par le soliste invité ou bien par différents membres de l'orchestre qui peuvent ainsi montrer leur personnalité sonore, leur aptitude au jouer ensemble étant déjà connue.

Le concerto d'une femme... joué par les femmes

Mais, ce 8 janvier, respectées les contraintes du retour pour 20 heures, ce fut pour nous une frustration de ne pouvoir entendre la rare Sérénade pour vents de Richard Strauss (flûtes, hautbois et basson par deux, cors par quatre, clarinette, contrebasson et contrebasse) enregistrée plus tôt dans l'après-midi. Pour le coup le concert entendu approchait l'heure. Mais racontons.

C'est aussi une des particularités, on l'a dit, du Philharmonique, d'être un peu plus "découvreur" que son confrère, partage des tâches assumé. Son concert ouvrait par le rare Concerto pour piano de Clara Schumann que quelques pianistes (femmes...) semblent mettre à leur répertoire, de Brigitte Engerer il y a quelques années à Isata Kanneh-Mason (chronique du 6 avril dernier) et aujourd'hui à Vanessa Benelli Mosell. La pianiste italienne a les doigts, la sensibilité, un sentiment rêveur et juste dans le beau mouvement lent. Elle fait de cette oeuvre le "3e concerto" de Chopin, un Chopin dont on reconnaît parfois certains effets pianistiques même si Clara n'avait pas besoin de son exemple pour comprendre l'instrument. Le début, lui, est très mendelssohnien, d'un romantisme discret mais Benelli Mosell a tendance à donner une solennité à cette musique qui n'est pas toujours à propos.

Savoir respirer en musique

Car au milieu de jolies idées et de beaux thèmes il y a parfois des formules toutes faites et on les entend. Comme, de plus (c'est surtout sensible dans le final), la pianiste a tendance à jouer les traits de virtuosité sans respirer, avançant presque au galop, sans vraie attention au chef qui suit toutefois, on finit par n'entendre que les pirouettes au détriment de la poésie et c'est évidemment dommage.

La pianiste revient pour réenregistrer devant nous le 1er cahier des Variations sur un thème de Paganini de Brahms (le thème du dernier Caprice pour violon qu'utilisera aussi Rachmaninov dans sa propre Rhapsodie). Nous n'entendrons donc que la moitié de l'oeuvre, où la virtuosité de Benelli Mosell est sans défaut. Mais elle fait le choix d'enchaîner ses variations, là aussi sans respirer, alors que, et c'est tout le problème des recueils de variations, on a besoin d'entrer dans chacune pour que notre sensibilité comprenne à chaque fois comment le compositeur a fait évoluer le thème d'origine. La qualité d'un silence, si difficile à doser en musique... En revanche, on est bien dans le ventre de l' "ogre Brahms", avec explosion des aigus qui tournent parfois au feu d'artifice (c'est assez grisant) même si Benelli Mosell est capable de nous retenir par un sentiment poétique dans les variations lentes.

Une oeuvre de Schönberg remisée dans un tiroir

La belle découverte, où l'on retrouve l'orchestre à plein, est la 2e symphonie de chambre de Schönberg. Son opus 38 qui semble indiquer une oeuvre tardive ne doit pas tromper. Tardive elle n'est que parce que Schönberg l'avait remisée dans un tiroir avant de la reprendre en 1939 et 1940, la création ayant lieu à New-York en décembre de cette dernière année. Mais la conception date des année 1900-1910 (assez longue, la conception!) et l'on comprend peut-être pourquoi cette symphonie était restée oubliée quand on entend ce qu'en fait Mikko Franck...

Une musique qui circule d'un pupitre à l'autre

C'est que dans ces année-là Schönberg est en train de basculer complètement dans l'atonalité, le dodécaphonisme, quittant l'univers post-mahlérien de La nuit transfigurée, mais que cette symphonie s'y tient encore de manière pas si marginale. Franck, en s'appuyant sur les remarquables entités de l'orchestre (et ce sont les premiers pas aussi d'un jeune 1er violon, Julien Szulman) insiste sur la structure mélodique, la précision instrumentale, renforce les lignes qui la structurent, fait vivre un tapis sonore où certains pupitres s'expriment davantage (cor anglais, cors, cordes); puis donne tout son élan incertain à une sorte de marche à contretemps sur les pizzicatis de ces mêmes cordes.

Le second mouvement (Con fuoco) , Mikko Franck y met en place une circulation joyeuse de la musique entre les pupitres. L'austère Schönberg en deviendrait presque sentimental. Le modèle semble être le concerto pour orchestre, où chaque instrument ou groupe d'instruments est soliste, même sans atteindre l'ampleur géniale du Concerto pour orchestre de Bartok. Franck noircit le velouté des flûtes, fait parfois grincer les violons, renforce l'élégie sombre des violoncelles, avant une fin apaisante où chacun, ayant fait preuve d'excellence, se tait à son tour.

Concert de l'Orchestre philharmonique de Radio-France, direction Mikko Franck, avec Vanessa Benelli Mosell, piano : Clara Schumann (Concerto pour piano). Brahms (Variations sur un thème de Paganini, pour piano seul). Schönberg (Symphonie de chambre n° 2). Richard Strauss (Sérénade pour instruments à vents) Auditorium de Radio-France, enregistrement et diffusion sur France-Musique le 8 janvier.

Prochains concerts des orchestres de Radio-France: pour l'orchestre national de France (direction Cristian Macelaru) César Franck (Le chasseur maudit), Pascal Zavaro (Concerto pour violon en création mondiale avec Julia Fischer), Antonin Dvorak (Symphonie n° 7) Diffusion jeudi 21 janvier sur France Musique.

Pour l'orchestre philharmonique de Radio-France (direction Santtu-Matias Rouvali) Sibelius (Symphonie n° 6), Bryce Dessner (Wires, pour guitare électrique et orchestre, avec Bryce Dessner), Tchaïkovsky (Symphonie n° 6 "Pathétique") Diffusion vendredi 22 janvier sur France-Musique