A la Seine musicale l'éclaircie Mozart (par Laurence Equilbey) dans un temps post-covid encore bien orageux

Les spectateurs face à l'écran devant la Seine Musicale C) CD92/Julia Brechler

Les concerts reprennent peu à peu. Il y a quelques jours à la Seine musicale (île Seguin, Boulogne, Hauts-de-Seine) un beau concert Mozart remettait de la joie au coeur des spectateurs présents dedans et dehors. Laurence Equilbey en était l'instigatrice, dirigeant la crème du jeune chant français.

La stricte parité des chanteurs

Et ce sera un Cd qui paraîtra à la mi-septembre chez Warner Classics Erato: un choix des plus beaux airs de Mozart, qui est finalement une idée si simple qu'on se demande pourquoi elle n'est pas plus répandue. Autour de Laurence Equilbey trois hommes, trois femmes. Eux, Florian Sempey, Stanislas de Barbeyrac, Loïc Félix. Elles, Sandrine Piau, Jodie Devos, Lea Desandre. La fine fleur du jeune chant français auprès d'une marraine, Sandrine Piau, à peine plus âgée, au point de lui confier les airs de la Comtesse des Noces de Figaro quand Desandre sera le jeune Chérubin. Mais Piau est aussi Pamina, la fille de la Reine de la Nuit, alias Jodie Devos. Miracle des rôles, qui transcendent les générations. L'important étant la joie de chanter devant nous pour ce groupe heureux et complice.

Laurence Equilbey en action C) CD92/Julia Brechler.

Une expérience post-Covid

Ces concerts (on l'a expérimenté à l'Opéra-Comique) sont aussi des expériences: comment remplir une salle à l'heure du Covid, quelle distance respecter -le plus souvent, comme dans les cinémas, un siège sur deux? Suffisant sans doute. Rentable, c'est une autre question, malgré la taille de telles institutions. La tentative Mozart-Equilbey part de l'idée de récupérer ce qu'on perd dans le grand Auditorium de la Seine Musicale grâce à des transats disposés à l'extérieur devant un écran géant retransmettant le concert -ce qu'autorise l'agora qui s'étend devant le bâtiment. Problème cependant: l'averse qui s'abattit quelques minutes avant la représentation mais, au final, la grâce mozartienne rendit le ciel indulgent. Autre problème, auquel personne ne préférera penser: que se passerait-il si c'était décembre?

Equilbey de dos dirigeant Florian Sempey C) CD 92/ Julia Brechler

Les mesures-barrière étaient aussi sur scène, et Laurence Equilbey s'en expliqua, ses musiciens n'étant pas plus à l'abri de la maladie. D'où, pour l'Insula Orchestra en formation de chambre (largement suffisante pour accompagner les airs de Mozart), nécessité de se répandre sur tout l'espace de scène, éloignant en particulier plus qu'à l'habitude cuivres et percussion de la cheffe, et aussi les musiciens les uns des autres, de sorte que l'écoute entre eux était aussi plus délicate. Quelques décalages en résultaient, presque obligés, rencontrant notre indulgence...

Cette fois, Jodie Devos C) CD 92/Julia Brechler

Orchestre de talent pour un peu trop d'énergie

Indulgence d'autant que l'on aura trouvé l'ensemble d'une belle qualité, cordes rondes de son et de cohésion, bois ravissants: la flûte d'Alexis Kossenko dans le deuxième air de Tamino, le hautbois de Jean-Marc Philippe accompagnant Jodie Devos sur des pizzicati des cordes dans l'air de concert peu connu Vorrei spiegarvi.  La réactivité de chaque pupitre fait plaisir, grâce au travail d'une Laurence Equilbey qui tient serrées ses troupes. Elle met dans ce Mozart-là une énergie considérable, gommant systématiquement son côté gracieux et c'est sans doute le reproche qu'on peut lui faire: si son Wolfgang a de la puissance et de la grandeur, si elle met très en avant la vigueur des attaques, il y a un peu trop de systématisme dans une direction impérieuse, sombre et presque rageuse qui peut convenir à Don Giovanni, qui peut convenir aussi à une ouverture des Noces de Figaro fouettée comme l'introduction à une "journée folle", bien moins à celle d'un Enlèvement au sérail d'esprit plus amoureux ou à certains airs plus intimes où, d'ailleurs Equilbey semble plus effacée, se contentant, ce qui est déjà bien, d'un accompagnement attentif. Nous verrons ce qui en ressortira au disque et cela n'enlève que peu au plaisir du programme.

Stanislas de Barbeyrac se glissant derrière le pianoforte de Benoît Hartoin C) CD 92/Julia Brechler

La bonhomie de Sempey, l'émotion de Barbeyrac

Programme axé d'abord sur La flûte enchantéesix airs au total, suivie des Noces de Figaro, cinq airs plus l'ouverture. De La flûte enchantée on a des "tubes", hommes et femmes confondus: deux de Tamino, un (l'Oiseleur) de Papageno, Papageno qu'on retrouve en duo avec Pamina puis dans le fameux "Pa-Pa-Pa-Pa" qu'il partage avec Papagena. Florian Sempey, dont la voix ne cesse de prendre ampleur et assurance, s'amuse avec une vraie bonhomie (sans mettre à son Papageno une forme de naïveté très "papagenienne"), et réussit très bien aussi ses duos avec Sandrine Piau, à la fois, de sa si belle voix parfaitement placée et projetée, Pamina et Papagena.

A pleine voix Sempey, Desandre, Devos et Piau C) CD 92/ Julia Brechler

Stanislas de Barbeyrac, dans les deux airs de Tamino, a encore accentué le rayonnement solaire de son timbre et aussi sa puissance, donnant à son personnage en si peu de temps une force douloureuse qui gomme la personnalité un peu fade d'un jeune amant. Reste Jodie Devos, Reine de la Nuit juvénile mais qui a encore un peu de mal dans quelques super-aigus tendus et avec la virtuosité de certains passages. Nul doute que, quelques années encore (mois peut-être) et elle sera une très belle Reine de la nuit. On la préfère dans ce très bel air, Vorrei spiegarvi, qu'elle enlève avec art.

Le charme d'un beau florilège

Les airs des Noces sont exclusivement féminins: première fois, nous vante Equilbey, que sa compère Sandrine Piau chante les airs de la Comtesse, Porgi amor et Dove sono: elle le fait très bien mais avec moins de rayonnement que dans d'autres rôles. En revanche on est immédiatement séduit par la tendresse joliment naïve et le charme vocal de Lea Desandre, qui met les sentiments qu'il faut aussi bien en Chérubin (Voi che sapete et Non so piu) qu'en Barberine (L'ho perduta)

Aux saluts, de gauche à droite, Loïc Félix, Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey, Lea Desandre, Jodie Devos, Sandrine Piau C) CD 92/ Julia Brechler

D'autres jolies moments dans ce florilège, certains des chanteurs mieux servis que d'autres comme Sempey (dans Don Giovanni et dans l'air amusant Diggi Daggi du Bastien et Bastienne d'un compositeur de douze ans): le duel peu connu de La Finta semplice ("Cospeton, cospetonaccio") par Sempey encore, en pleutre, et l'excellent Loïc Félix, le merveilleux trio de Cosi fan tutte, Soave il vento -mais quelques décalages. Et des intermèdes d'un Pantalon et Colombine dont on ne savait rien et dont on ne sait pas plus! Enfin le final des Noces de Figaro en... final, et les remerciements de Laurence Equilbey pour ce qui était peut-être une expérience mais qui était surtout pour nous un vrai concert, beau et émouvant, comme si le magasin aux friandises avait enfin rouvert et que le talent intact des confiseurs nous en eût naturellement rendu le désir.

Gala Mozart, airs et ouvertures de Mozart: Sandrine Piau et Jodie Devos, sopranos, Lea Desandre, mezzo, Stanislas de Barbeyrac et Loïc Félix, ténors, Florian Sempey, baryton. Insula Orchestra, direction Laurence Equilbey. La Seine Musicale (dedans et dehors), Boulogne-Billancourt, le 26 juin.   

Les chanteurs et la cheffe avec un jeune public très content C) CD 92/Julia Brechler