Folle Journée de Nantes 2020: la surprenante rencontre de Beethoven et du groupe britannique Coldplay

Steve Hackman C) Marc Roger

Dans le programme on lit exactement (ce qui suppose une lutte): Beethoven versus (contre) Coldplay. Et quand on arrive dans la salle de 2.000 places, très remplie, on découvre que l'objet de cette joute est la 3e symphonie "Eroica". La plus longue après la 9e, 50 minutes. Et un orchestre très classique pour la jouer, le Sinfonia Varsovia, grand habitué des Folles Journées...

Beethoven et Coldplay ont-ils des points communs?

Cette étrange idée est venue à un garçon qu'on ne connaissait pas, Steve Hackman, Américain, Californien même, qu'on nous présente comme un "musicien visionnaire aux dons incomparables"  (un costume peut-être lourd à porter) et qui, comme beaucoup d'Américains, n'a pas d'oeillères, vit et respire donc en la musique, en toutes les musiques...

Et le voici, grand garçon aux cheveux bouclés, allure mince de surfeur, qui nous dit deux mots de français (Bonyour Naaantes) et passe aussitôt à l'anglais, d'où il ressort que Beethoven et Coldplay (que Chris Martin, son chanteur, qualifie de "soft rock") ont des points communs, sauf qu'on ne les comprend pas très bien, et la traductrice ne comprend  pas non plus. On se demande où on est tombé, on voit entrer trois chanteurs, deux garçons, une fille (un peu forte, tendance Beth Dito), comme sur un plateau de la BBC; et Hackman lève sa baguette.

Chris Martin, le chanteur de Coldplay dans un concert au Brésil (2017)  (c) JF Diorio / Agencia Estado

Audition de TOUTE la symphonie

Eh! bien c'est remarquable.

De plus c'est quasi une première, en tout cas en-dehors des Etats-Unis, nous dit le chef et (remarquable) arrangeur. Le truc est tout bête et très gonflé: à des moments stratégiques de la Symphonie Eroica, les trois chanteurs, souvent en même temps, se mettent à chanter du Coldplay...

Dit comme ça, cela peut hérisser le poil des mélomanes, des fanas de Beethoven et aussi de Coldplay puisqu'on n'entend jamais une chanson complète, seulement des bouts, des phrases. Mais la première qualité de ce pari fou (pour une Folle Journée qui aime les expériences, mais à condition de ne pas abandonner son ADN, le classique) est qu'on entend TOUTE la 3e symphonie dont il ne manque aucune mesure, aucun trait d'orchestre. La deuxième qualité tient à Steve Hackman lui-même qui se révèle un amoureux de Beethoven autant que de Coldplay mais aussi un remarquable technicien de la musique doublé d'un imaginatif -l'idéal de l'artiste, qui met ses connaissances au service de son inspiration.

Les chanteurs Malia Civetz, Ben Jones, Bill Prokopow. Derrière, Steve Hackman  C) B. Renard

Des bribes de Coldplay

Ainsi c'est comme si Beethoven avait composé une autre symphonie avec solistes, à coup de passages ou d'extraits dont on imagine que les connaisseurs de Chris Martin et de ses amis se délectent. Steve Hackman a d'ailleurs su puiser des chansons qui épousent les rythmes particuliers de l' Eroica. Ne faisant pas partie des connaisseurs, et ne mémorisant le groupe que par ce qu'en passent les radios, j'ai entendu des bribes, "Take me back to the stars"  ou "Once upon a time on the same side"  (j'espère que j'ai bien transcrit) qui colle de mieux en mieux à l'opus beethovénien plus la symphonie avance. Autre qualité de Steve Hackman: laisser s'installer dans notre oreille les thèmes, superbes et nombreux, de Beethoven, avant d'y insérer Coldplay. Il y a ainsi, sur la marche funèbre du 2e mouvement, un "Nobody says" extrêmement émouvant, avec ce lyrisme si particulier propre à la pop anglaise.

Un chef précis et élégant

En outre Steve Hackman est un chef élégant, précis, impérieux dans le geste et la rythmique, mais à la belle main gauche souple et ondoyante, un peu dispersé parfois, laissant cependant ses solistes en liberté -solistes impeccables qu'il faut citer, Malia Civetz, Ben Jones, Bill Prokopow, qui viennent plutôt de la variété, même si Civetz a créé d'autres oeuvres d' Hackman.

Et il pleut encore sur Nantes, chère Barbara C) B. Renard, France Info Culture

La fin est vraiment très surprenante, où l'on croirait cette fois Beethoven inventant Coldplay comme s'il avait écrit un hymne pour eux. Le seul défaut tient à la configuration de la salle: très bien placé comme je l'étais, j'avais les chanteurs devant moi qui, sonorisés, me cachaient souvent le son de l'orchestre. Il faudrait entendre cette oeuvre avec un équilibre des balances sonores, c'est-à-dire en Cd ou Dvd. Car quand le son des uns et des autres se réduit, l'osmose est vraiment surprenante et cependant Beethoven n'est jamais trahi. Tous reçoivent d'ailleurs, d'un public très mélangé mais attentif, une juste ovation. En lisant la bio de Steve Hackman on découvre qu'il a fait le même travail avec Björk et Bartok, avec Tchaïkovsky et le rappeur Drake. On serait heureux d'entendre ces rencontres-là. Mais s'il vous plaît, cher Steve Hackman, pas Debussy et Booba...

Beethoven: Symphonie n° 3 "Eroica" avec des chansons de Coldplay. Malia Civetz, Ben Jones, Bill Prokopow, Orchestre Sinfonia Varsova, composition et direction de Steve Hackman. Folle Journée de Nantes le 1er février.