Une jolie soirée de rentrée par deux solistes composant un charmant duo. L'occasion aussi de voir une Vannina Santoni, star montante du chant français, apte à remplir un si beau théâtre et à y séduire un public au final fort content. (Les photos qui illustrent cet article ont été prises en répétition)
On retrouve le duo de Traviata
Ce public qui se souvenait avoir applaudi les deux interprètes dans Traviata, c'était en décembre 2018 une mise en scène de Deborah Warner dans ce même théâtre, j'en avais fait état (chronique du 1.12.2018). Le programme de ce soir était très bien composé, Mozart, l'incontournable, puis le bel canto, l'opéra français et enfin le vérisme avec Puccini en apothéose et, à chaque fois, un duo pour clore chaque chapitre. Quelques airs solistes au milieu, et des morceaux d'orchestre joués par celui de l'Opéra de Wallonie, qui ouvrait le bal, dirigé par Paolo Arrivabeni: une ouverture de Cosi fan tutte tourné vers le dramatisme et qui était surtout brutale, avec des bois très sollicités qui peinaient à s'y mettre (ils s'amélioreront ensuite)
Pas de bel canto dans Mozart!
Vannina Santoni a conquis ses galons avec cette Traviata où elle était très émouvante comme elle fut, il y a quelques semaines, une très belle Comtesse dans Les noces de Figaro (chronique du 28.11.2019) Je me souviens moins de Pirgu face à elle, qui est un ténor de qualité, brillant, mais il y en a beaucoup de son talent et on peut les confondre, ce n'est ni Alagna ni Kaufmann ni même, dans un autre style, un Barbeyrac. Avec ses faux airs de Rolando Villazon (qu'on suppose perdu pour le chant depuis qu'il histrionnise sur Radio Classique), Pirgu offre en premier air celui de Don Ottavio ("Il mio tesoro") dans Don Giovanni en résistant à peu près à la tentation d'en faire du Verdi même s'il anime son Ottavio d'un peu trop de fureur. On reviendra à Cosi fan tutte avec le duo de Ferrando et Fiordiligi ("Fra gli amplessi") très élégamment chanté par notre duo dont on goûte déjà la complicité.
La complicité du chant
Cette complicité, ils la montreront souvent, y compris dans la manière dont lui la fait entrer d'un joli geste, dont elle le remercie avec grâce en quittant la scène. Complicité aussi avec un chef attentif, qui montera en puissance ainsi que l'orchestre, dans les morceaux véristes en particulier où l'on découvrira chez nos amis belges un beau pupitre des cordes (et surtout des cordes graves, altos compris). Mais d'abord, là où l'on attend Santoni: le grand air (l'enfilade d'airs!) de Traviata, "E strano" et "Sempre libera".
On se cale dans notre fauteuil avec volupté, on sait, parce qu'on en a le souvenir, que Santoni y sera forcément très bien. Rien à dire de ce long passage parmi les plus difficiles: que du bonheur, à part quelques aigus pris par en-dessous, un peu criés (tendance que Santoni aura pendant tout le récital mais c'est la difficulté de l'exercice, changer de style, de registre, d'écriture, sans avoir le temps de s'installer vraiment dans un personnage)
Délicieux Donizetti
Après une curieuse ouverture de Roberto Devereux de Donizetti, où l'on entend un God save the Queen anachronique puisqu'il n'existait pas encore sous Elisabeth Ie, époque de l'opéra, la suite sera pour Pirgu. L'élixir d'amour, ce bijou du même Donizetti, et l'incontournable Una furtiva lagrima: là encore, Pirgu en fait un peu trop dans le genre "chanteur italien", oubliant que Nemorino est un petit paysan et qu'il faut chanter ce "tube" comme le fit Alagna, avec retenue, en faisant confiance aux notes. Après un charmant Per me sei libero de Santoni en Anina, Pirgu s'amuse comme un petit fou, Nemorino qui a trop bu d'élixir (en fait une infâme piquette qui l'a rendu saoûl!), c'est le duo Exulti per la barbara et c'est un bonheur.
Charmante Juliette, français perfectible
On aura cependant noté un défaut sur lequel Vannina Santoni doit encore travailler, sa prononciation de l'italien où les consonnes sont trop souvent mâchées et cela ne s'améliore pas vraiment avec un français pas très audible dans le célèbre Je veux vivre du Roméo et Juliette de Gounod, enlevé pourtant du point de vue musicale avec une grâce délicieuse. A quoi succède le Pourquoi me réveiller? du Werther de Massenet auquel Pirgu confère un juste désespoir (en étant toujours tenté par le bel canto, notes tenues ou coups de glotte). Le duo (de Romeo et Juliette encore), Nuit d'hyménée, retrouve la belle complicité, l'union des deux voix, comme si chaque partie du programme allait vers cette convergence des deux chanteurs, les airs et morceaux musicaux n'étant qu'un hors-d'oeuvre (réussi)
Pirgu émouvant berger
Le plus beau sera d'ailleurs à la fin, car le plus inattendu. Au milieu le bel "Intermezzo" du Paillasse de Leoncavallo, très soigneusement articulé par Arrivabeni qui nous avait proposé auparavant l'ouverture de L'Arlésienne de Francisco Cilea: une très belle pièce, triste et rêveuse, à l'orchestration élégante et légère, et peu connue chez nous (de Cilea, on joue encore, dans nos opéras, Adrienne Lecouvreur). Suivra l'air de Federico (cette Arlésienne en italien reprend l'histoire de Daudet et Bizet), E la solita storia del pastore, air auquel Saïmir Pirgu donne exactement le ton qu'il faut, la sincère amertume, le désespoir, d'une voix parfaitement en place et qui sait se montrer éclatante quand il le faut: c'est le plus beau moment du chanteur dans ce morceau de rôle qui lança Caruso.
L'apothéose amoureuse de La Bohème
L'apothéose sera La Bohème de Puccini. Pas la tragédie mais l'amour heureux de Rodolfo et Mimi (au premier acte), quand il prend sa main gelée (Che gelida manina), quand elle lui dit son nom (Mi chiamano Mimi), chacun chantant seul en scène (alors que, dans le "vrai" opéra, ils sont face à face). Pour mieux se retrouver dans ce duo final (O soave fanciulla), quand elle lui prend le bras pour aller au café Momus et qu'ils sortent en chantant (dans l'extrême aigu): "Amor! Amor! Amor!". A ce moment-là, on fond, sans faire même attention à la prononciation de l'italien! Ils reviennent, acclamés, nous chantent le Libiamo de Traviata et comme le public en demande encore et qu'ils n'ont pas pensé à préparer autre chose ils reprennent Mimi et Rodolfo. Ces nouveaux "Amor!" suffisent à nous réchauffer le coeur, en ce début de janvier lugubre et humide, on en oubliera même que cet amour-là finira si mal.
Airs et duos d'amour de Mozart, Verdi, Donizetti, Gounod, Massenet, Cilea, Leoncavallo, Puccini: Vannina Santoni (soprano), Saïmir Pirgu (ténor), Orchestre de l'Opéra royal de Wallonie-Liège, direction Paolo Arrivabeni. Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 7 janvier.