Le juste hommage du Philharmonique de Radio-France à Poulenc et au groupe des 6

Antoine Tamestit C) Julien Mignot

Juste et assez complet, et à renouveler. Et si l'on met en lumière plutôt le Philharmonique de Radio-France, c'est que trois sur quatre des concerts de l'hommage rendu le furent par lui. Le National ayant officié une fois le 11 octobre. La "grande maison" ayant aussi accueilli le samedi 5 pour petits et grands, dans l'Auditorium, L'Histoire de Babar de Francis Poulenc...

Ils sont six: trois plus célèbres et trois méconnus

Et malgré mes voeux je n'ai pu assister qu'à un seul de ces concerts, le dernier. Une précision encore: le concert de l'orchestre National était "Groupe des six" en partie puisqu'à l'unique Poulenc (musicien-phare du groupe) étaient joints Fauré et Dutilleux. La qualité n'étant donc pas en cause.

Les trois concerts du "Philhar'" ne réunissaient pas à chaque fois les six membres -c'était peut-être dommage. Résumons: le 4 octobre les trois plus célèbres, Poulenc, Honegger et Milhaud. Le 9 octobre (le programme le plus passionnant!) les trois méconnus, Tailleferre, Auric et Durey, avec encore Poulenc en "tête de gondole" -j'aurai raté ainsi et l'occasion d'entendre son ravissant et peu joué Concerto pour piano et le toucher de Maroussia Gentet, pianiste dont on parle de plus en plus.

Tailleferre: c'est ravissant. Milhaud: un peu moins

Des trois méconnus, dans le programme final du samedi 12, ne sera restée que la dame du sextuor, Germaine Tailleferre, avec une Petite suite pour orchestre de seulement cinq minutes, ravissante d'élégance et de raffinement, qui commence par des notes tenues à la harpe et aux cordes , chant d'un été immobile et chaud. Avant une mélodie populaire aux bois précédant une Sicilienne au rythme balancé, lointains échos à Fauré ou Bizet, échos plus proches à ces compositeurs très français qu'on ne joue plus, Sauguet, Barraud ou Tomasi.

Mikko Franck C) Radio-France, Christophe Abramowitz

Cela n'empêchait pas le reste du concert d'être passionnant car nous régalant d'oeuvres assez rares (pour ne pas dire plus) défendues d'abord par l'excellent altiste Antoine Tamestit, heureux sans doute de montrer que le répertoire de son instrument n'est pas si limité. On a pourtant été parfois déconcerté par le Concerto pour alto n° 1 de Milhaud, qui n'est pas toujours de la plus haute inspiration. Un premier mouvement un peu ingrat, où l'alto s'escrime dans le registre haut, un beau nocturne, un scherzo en forme d'air français, un final qui regarde vers Stravinsky et son Concerto pour violon -même contre-rythmes avec de beaux "pouets pouets" des cuivres.

Pas de chance avec les altos

Le plus amusant étant les commentaires de la veuve du compositeur (rapportés par François-Xavier Szymczak dans le programme): le concerto était écrit pour Paul Hindemith, altiste autant que compositeur, mais jouant, disait Madeleine Milhaud "de l'alto plutôt comme un compositeur". La création eut lieu à Amsterdam en 1929, avec l'orchestre du Concertgebouw; et Pierre Monteux, qui dirigeait, se retourna vers Hindemith après la répétition générale: "Et maintenant allez travailler. Vraiment!"

On apprendra ainsi que beaucoup des compositeurs du XXe siècle pratiquaient l'alto- Britten aussi, ou Vaughan Williams. Pas Honegger, qui jouait du violon, Milhaud jouant violon ET alto. Mais "pas très bien" Madeleine Milhaud toujours: "Je me souviens d'un concert, vers 1920 , avec la Sonate pour deux violons d'Honegger, jouée par Honegger et Milhaud. Ils ont joué si mal qu'ils ont décidé d'arrêter pour toujours!"

La belle affiche dun beau concert D.R.

Une découverte d'Honegger, un groupe de bons camarades

Tamestit joue, lui, très bien. Il est plus à l'aise dans la Sonate pour alto et piano d'Honegger, oeuvre inconnue et remarquable; il bénéficie de la complicité d'un accompagnateur de luxe, Franck Braley, qui vient ce soir seulement pour cette oeuvre. Complicité, élégance, charme, au service d'une oeuvre austère et heureuse, bref très Honegger, où l'on va d'un esprit jazz à des passages mystiques à la Messiaen, de longues phrases mélancoliques (dans le mouvement lent) à une fin énigmatique et suspendue. Inutile de dire que nos deux amis y sont remarquables, avec le plaisir sensible chez eux de la découverte.

On rappellera que ce "groupe des 6" s'était réuni autour du scandale de Parade, pour défendre Satie attaqué par la critique, ainsi que Cocteau et Picasso. C'est Henri Collet qui leur donna ce nom en 1920, en référence au fameux "groupe des 5" de Russie. Mais les styles des uns et des autres étaient très différents, même si, écrivit Milhaud, "nous nous connaissions et nous étions bons camarades et nous figurions aux mêmes programmes sans se soucier de nos natures dissemblables. Auric et Poulenc se rattachaient aux idées de Cocteau (qui était un peu leur mentor), Honegger au romantisme allemand et moi au lyrisme méditerranéen... L'article de Collet eut un tel retentissement mondial que le "groupe des 6" était constitué et j'en faisais partie, que je le veuille ou non"

Les belles sonates pour vents de monsieur Poulenc

La deuxième partie du concert était consacrée à Poulenc, le plus célèbre de tous aujourd'hui, le plus joué: la Sonate pour clarinette et piano pour commencer. Les deux précédents concerts avaient mis à l'honneur deux autres sonates pour vents, celle pour flûte, celle pour hautbois, jouées par les solistes du Philharmonique, ce soir c'était la clarinette de Nicolas Baldeyrou, avec Catherine Cournot au piano. On rêverait d'une nouvelle intégrale de toute cette musique de chambre autour des vents (Trio pour piano, hautbois et basson, sonate pour deux clarinettes, sonate pour cor, trombone et trompette) qui remplacerait celle du temps de Poulenc (la Sonate pour violon était jouée par Yehudi Menuhin); on y verrait bien la "bande à Capuçon" après leur si belle intégrale de Fauré.

Le jeune Poulenc  (21 ans) par Jacques-Emile Blanche au musée des Beaux-Arts de Tours C) Josse/ Leemage

La Sonate pour clarinette est une oeuvre énergique et mélancolique, ramassée (12 minutes) où Baldeyrou et Cournot n'osent pas assez l'extraversion ensoleillée dans les mouvements rapides. C'est un peu trop sage;  ils sont plus à l'aise dans la belle et tendre "Romanza" centrale de cette sonate qui fut écrite pour Benny Goodman. Goodman la créa après la mort de Poulenc, au Carnegie Hall de New-York, avec, excusez du peu, Leonard Bernstein au piano.

Un "Gloria" de moine-voyou

On finit par le Gloria, oeuvre aussi de la fin à qui l'on reprocha des passages trop profanes. Ce n'est pas profane, c'est joyeux, ou voyou ("Poulenc, moine et voyou"), le voyou Poulenc qui entre dans une chapelle et est saisi par la grâce. Direction très en place, très respectueuse, de Mikko Franck, orchestre affûté, choeur bien préparé...: là aussi, dans cette maîtrise parfaite, on rêverait d'un peu de cette folie qu'y mettait forcément le créateur de l'oeuvre, Charles Munch (en 1961, à Boston) Quant à la soprano, l'Américaine Lauren Michelle, on dira qu'elle s'en tire. Avec précaution dans le "Dominus Deus"  où d'autres qu'elle (une Patricia Petibon) se sont cassé la figure. Le registre est impossible, cet "aigu chaud mais pianissimo" que demandait Poulenc, qui l'oblige à commencer "inaudible" pour monter le son dans la phrase. Le reste est bien mieux, avec de jolis moments poétiques et un "Amen" final réussi.

Beau concert cependant, un peu hétéroclite mais le groupe des 6 ne l'était-il pas, sinon lié par cet esprit si français auquel Radio-France rendait un juste hommage?

Orchestre Philharmonique de Radio-France, direction Mikko Franck: Tailleferre (Petite suite), Milhaud (Concerto pour alto n° 1 avec Antoine Tamestit), Poulenc (Gloria, avec Lauren Michelle, soprano et le choeur de Radio-France, direction Martina Batic) Et aussi la Sonate pour alto et piano d'Honegger par Antoine Tamestit et Franck Braley; et la Sonate pour clarinette et piano de Poulenc par Nicolas Baldeyrou et Catherine Cournot. Auditorium de Radio-France, Paris, le 12 octobre