C'est, à la fondation Vuitton, la cinquième session de masterclasses pilotée par Gautier Capuçon sur une saison entière. La promotion 2018-2019 (six jeunes gens) était en représentation il y a une semaine, concert compris... où Gautier Capuçon faisait maître de cérémonie. Entretien avec lui quelques jours plus tard.
MASTERCLASSES DU WEEK-END
J'avais assisté à la "dernière" de la session 2016-2017 (voir mes chroniques du 21 et du 23 juin 2017) Cette fois nous sommes encore en début d'année (deuxième séance, il y en aura six) selon le principe suivant: des masterclasses publiques un week-end par mois ou tous les deux mois, suivies d'un concert le dimanche après-midi. Les masterclasses sont gratuites et libres d'accès, le concert payant et... vite rempli. Les prochaines masterclasses auront lieu en janvier, avril, mai et juin.
Voilà pour les détails pratiques. L'intitulé exact de l'opération étant "classe d'excellence de violoncelle". Une idée sans doute collective, que la Fondation Vuitton avait dans ses projets dès son ouverture (2014) et qui correspondait à une envie de Capuçon lui-même: les deux se sont rencontrés.
UNE INTERVENTION A UN MOMENT-CLE
Gautier Capuçon, 32 ans à l'époque, en était à un moment de sa vie où, la vraie maturité venant, il pouvait avoir envie de transmettre. Mais quand on est un soliste aussi réclamé (je ne vous raconte pas le programme dont il m'a confié la teneur pour le prochain mois de janvier!), il serait déraisonnable et surtout "irrespectueux pour les élèves" de prendre, par exemple, une classe dans un conservatoire. L'envie était d'ailleurs un peu différente: "proposer, justement, quelque chose de différent, intervenir à ce moment-clé de fin d'études (les jeunes violoncellistes retenus viennent de finir leur cycle ou sont en train de le finir) où l'on se retrouve livré à soi-même: on a déjà quelques expériences, on fait quelques concerts, on ne sait pas toujours quelle direction prendre, on se pose beaucoup de questions, avec beaucoup de choses à régler. Mais, pour les régler, pas besoin non plus de voir quelqu'un toutes les semaines".
VIE EN COMMUN PENDANT LA SESSION
Et donc, posant ce principe d'une rencontre sur un week-end à intervalles réguliers, définis, mais rencontre évidemment intensive et pleine d'un travail joyeux. "Et d'une vie en commun aussi pendant la session. Parce qu'on les loge ensemble, en tout cas les étrangers (cette année un coréen, un espagnol, un italien, un suédois et deux français), qu'ils mangent ensemble et avec moi, qu'ils s'apportent des choses, qu'ils m'en apportent aussi bien sûr. Qu'on parle de beaucoup d'autre chose que de musique. De la relation aux autres arts, des à-côtés essentiels à notre métier, comment gérer le stress par exemple et déjà comment l'aborder"
Je suis arrivé en retard à la première masterclasse de ce dimanche. Je n'aurai donc entendu Kanghyun Lee, 24 ans, que le soir, dans "Adagio et Allegro" de Schumann: beau son, sensibilité, et plus encore, un violoncelle d'une couleur magnifique, chocolat avec des reflets rose rouge de framboise. Jérémy Garbarg, 23 ans, Français, dont on nous présente le jeu comme "bouleversant et généreux", ouvre le bal dans l'Allemande (mouvement lent) de la "Sixième suite" de Bach. Passages de cordes pas toujours bien négociés, on le sent un peu désarçonné de commencer avec cet Himalaya du violoncelle. Il sera très bien dans un pièce de caractère, "A la fontaine", d'un certain Davidov, violoncelliste virtuose du XIXe siècle: le morceau est agréable et Garbarg y met infiniment de chic.
FRANCK EN VERSION FRANCO-SUEDOISE
Alejandro Viana, Espagnol de 22 ans, hérite du "Pezzo Capriccioso" de Tchaïkovsky: beaucoup de fougue, une volonté de faire chanter le violoncelle, un peu trop peut-être, le morceau, qui est d'un romantisme très... romantique, n'a pas besoin de tant de lyrisme. La "Sonate" de César Franck (transcription par le compositeur de la "Sonate pour violon et piano") est partagée entre le Suédois Fred Lindberg, 23 ans et le Français Florian Pons, 24 ans. Avantage au Suédois, qui est un peu précautionneux au début, jouant trop "la note" sans se lâcher mais il y a une volonté de rendre le sens de la musique, et de beaux aigus. Pons est plus placide, beaux graves et instrument bien chantant mais pas assez de violence, d'emportement, de profondeur dans une oeuvre qui demande qu'on s'y abandonne. L'excellent Samuel Parent, le complice pianiste, est toujours impeccable mais la virtuosité de l'oeuvre de Franck parfois le désarçonne.
UN JEUNE ITALIEN TRES DOUE
Le sixième candidat est Luca Giovannini, tout jeune et frêle Italien de 18 ans: "Je l'ai pris parce qu'entre ce qu'il nous avait proposé l'an dernier (il était déjà candidat) et cette année, il y a eu une évolution incroyable. En un an c'est hallucinant. Une maturité nouvelle, une progression qui, s'il continue comme ça, va en faire un des grands de demain" C'est lui que j'aurai entendu en masterclasse dans les deux derniers mouvements de la "Sonate Arpeggione" de Schubert dont il jouera le 1er mouvement lors du concert. Durant la masterclasse, est-ce l'enjeu? le son reste trop souvent d'une intimité exagérée, les phrases pas assez tenues (avec quelques notes aiguës qui lui échappent) mais le thème viennois du final est d'une belle sensibilité et le son, en général, est plein et généreux... quand il est bien projeté.
"DANS CETTE PHRASE, QUE VEUX-TU EXPRIMER?"
La précision pédagogique de Gautier se fait jour. Il pose des questions pour faire prendre conscience à ses jeunes élèves de ce qu'ils font ou plutôt... de ce qu'ils n'ont pas pensé à faire: "Dans cette phrase, que veux-tu dire? Que vas-tu exprimer?" La réponse n'est pas toujours claire mais la question oblige à y réfléchir. Retour à l'entretien: "Je veux les armer pour le jour où, seuls, ils seront face à l'oeuvre: se poser les bonnes questions. Qu'est-ce que le compositeur veut dire? Qu'est-ce que je veux lui faire dire? Quel est le sentiment? Comment est-ce que j'articule? Ils n'auront peut-être pas la réponse tout de suite mais plus tard, bien plus tard... sans même se souvenir de qui leur a posé la question!" Remarque à Giovannini: "Tu sembles avoir peur de mettre de la tendresse dans ton jeu" Tant il est vrai que tous ces jeunes musiciens se réfugient si souvent dans la technique, qui est après tout ce qu'ils connaissent le mieux. "Mais, ajoute Gautier, c'est parfois par la technique qu'on trouve les réponses" ("This music, dit-il de Schubert, is very simple. That's why it's so difficult" C'est ce que l'on dit aussi de Mozart mais Mozart n'a jamais écrit pour le violoncelle et tous les violoncellistes du monde brûlent son effigie chaque soir, comme un reproche)
UNE PSYCHANALYSE OU UN RETOUR SUR SOI
Un Gautier Capuçon de 32 ans (il en a 37 aujourd'hui), avec déjà tant d'années derrière lui ('j'ai enregistré mon premier disque à 20 ans"), sort-il changé de ces expériences qui ont déjà la durée d'un lustre? "Evidemment. Je ne peux même pas dire à quel point cela m'a fait grandir, évoluer. J'ai tellement appris aussi avec eux. Je ne suis finalement que quelqu'un qui a un peu plus d'expérience, comme un miroir de toutes ces erreurs qu'on peut faire (peut-être pas que... pensai-je en l'écoutant) et comment aussi s'épanouir, s'envoler. Comment creuser mon propre rapport à la musique. Résoudre des problèmes, qu'on appréhende mieux à plusieurs mais au concert on est tout seul. Oui,cela ressemble à une psychanalyse"
Et de modèle musical dont il s'est rendu compte un jour qu'il avait été le sien. "Quand je suis parti me perfectionner à Vienne avec Heinrich Schiff, j'avais 20 ans, je donnais déjà pas mal de concerts. En fait mes séjours à Vienne se réduisaient à trois ou quatre jours par mois. Evidemment Schiff aurait bien voulu que j'y passe plus de temps. Ces rendez-vous-là, mensuels et intenses, je les reproduis durant ces classes d'excellence. C'est une forme de retour sur moi-même"
2e séance de la "Promotion 5" de la Classe d'Excellence de Violoncelle de Gautier Capuçon: oeuvres de Bach, Schubert, Schumann, Tchaïkovsky, Davidov, Franck, par Jérémy Garbarg, Luca Giovannini, Kanghyun Lee, Alejandro Viana, Fred Lindberg, Florian Pons. Fondation Louis-Vuitton, Paris, le 16 décembre.
Prochaine masterclasse le 20 janvier 2019 (avec l'orchestre du CNSMDP) autour des deux concertos de Haydn (attention les masterclasses sont en français OU en anglais. Celle de Giovannini par exemple était en anglais)