Le Parc Floral accueille Henri Demarquette et Rachmaninov dans le désert musical de l'été

Vanessa Benelli Mosell et Henri Demarquette C) JL Elan

 

C'étaient le week-end dernier les premiers concerts de "Classique au vert" au Parc Floral du bois de Vincennes. Un festival qui a une vingtaine d'années, un des rares rendez-vous de musique classique et musical tout court en ce creux du mois d'août parisien. Et rendez-vous menacé qui plus est! En attendant, Henri Demarquette et sa partenaire Vanessa Benelli Mosell faisaient vibrer l'auditorium de plein air où l'on refusait du monde.

Une foule à l'entrée d'un parc

Un auditorium en forme de conque de béton, dont a dû s'inspirer un certain festival de piano, celui de La Roque-d'Anthéron. Dimanche après-midi, pour les Parisiens à peine sortis de la canicule, il faisait une température délicieuse, et beaucoup trop chaude pour moi, à peine revenu de Normandie. A l'entrée du parc se pressait déjà une foule inhabituelle qui avait cheminé le long des remparts du donjon de Vincennes, admirant au passage la chapelle royale, avant d'acquitter un droit d'entrée dérisoire, le prix d'entrée du parc, les concerts, eux, étant gratuits.

Pourquoi conserver quelque chose qui marche si bien?

Auditorium rempli, donc. On se battait même pour occuper les places "réservées" et demeurées inoccupées, places assez nombreuses: on ne saura jamais qui étaient les attendus, peut-être nos édiles qui semblent fort interrogatifs sur la pérennité de ce festival (la subvention de cette année déjà sérieusement amputée) On comprend lesdits édiles: pourquoi maintenir quelque chose qui marche si bien alors que le but d'une politique est de continuer à soutenir vent debout ce qui ne marche pas? Et l'on n'aura même pas la faiblesse de mettre en relief le mépris souverain que montrent nos élus envers la musique classique, musique prétendue de "vieux", à l'heure (le savent-ils?) où les conservatoires de France explosent sous les demandes d'instrumentistes en herbe.

Cela n'enlevait rien au plaisir de ce concert. Le ternissait un peu, simplement.

Blondeur, jupe rose et stilettos

Et si l'entrée d'Henri Demarquette et de son beau violoncelle semblait ravir le public, c'est sa camarade, la (très) belle et blonde pianiste italienne Vanessa Benelli Mosell qui, dans sa robe rose, provoquait quelques "oh!" d'admiration. Jupe rose, plutôt, courte par-devant, longue par-derrière, double matière, une stricte une vaporeuse, on aurait voulu étudier la construction de la tenue, bravo au (ou à la) styliste, et à Benelli pour les stilettos argentés qui illustraient son bon goût (du doré eût été insondablement tapageur)

Icônes de la mode

On s'attarde peut-être, au détriment, trouveront certains d'entre vous, du contenu, de la musique. Oui mais c'est plus important qu'il n'y paraît. Une Buniatishvili, une Wang, sont désormais des icônes de la mode, comme un Ghraichy, un Lang Lang, pour les garçons, et l'on ne sait plus, dans cette arme à double tranchant qu'est l'allure physique (et la beauté dans le cas de Benelli, de Buniatishvili, de Wang, de Berthollet, de Gastinel, de Mutter), si ce nouveau public conquis par l'apparence avant d'aller à l'essentiel (espérons-le) ne détourne pas une partie de l'ancien qui, a contrario, va être d'un a priori défavorable avant d'entendre la moindre note.

V. Benelli Mosell et H. Demarquette D.R.

Une pianiste (parfois) trop discrète

Benelli Mosell a commencé le piano à l'âge de trois ans, elle n'a donc rien à prouver à personne. Elle se comporte en vraie accompagnatrice, toujours à l'écoute de son partenaire dans ce programme violoncelle-piano fait souvent de transcriptions. Cette discrétion, cette volonté de ne pas "manger" sur la prééminence du violoncelle, a ses vertus mais parfois trop de neutralité. Benelli Mosell ne va pas chercher le son dans la profondeur du piano, les notes manquent de présence dans les graves, ce qui est dommage car la pianiste est capable de très belles choses quand elle est à nu, élégance de la ligne musicale, ravissants aigus, sens poétique.

Rachmaninov ou la nostalgie

Cela est sensible dans le morceau de bravoure du concert, la "Sonate pour violoncelle et piano opus 19" de Rachmaninov, oeuvre ambitieuse d'un homme de 28 ans, composée juste après le célébrissime "2e concerto pour piano". Oeuvre aussi de même facture "neurasthénique", commençant par un thème immense et élégiaque, du pur Rachmaninov qui donne envie de pleurer devant la Volga. On apprécie que nos deux interprètes jouent strictement ce qui est écrit, n'en rajoutent pas dans le sentimental.

Ce n'est d'ailleurs pas le genre de Demarquette dont on note, concert après concert, la belle progression de son registre grave, profond, superbe. Benelli Mosell est dans l'esprit de l'oeuvre. L'étrange "Allegro scherzando", qui ressemble à des coups de boutoir, trouve peu à peu sa sombre lumière. L' "Andante" fendrait l'âme d'un androïde. Au point que le final, comme souvent quand les mouvements lents sont sublimes, en paraît presque superflu. Il est d'ailleurs d'une inspiration moindre.

Glass, beau et... répétitif

Autour de cette sonate, dont on devine que Rachmaninov a voulu y rendre hommage à Chopin, son dieu  (la "sonate pour violoncelle opus 65" est l'unique oeuvre que Chopin a dédié à un autre instrument que son piano), un choix heureux, où Demarquette le réservé se montre de plus en plus vibrionnant et Benelli Mosell une partenaire pleine de ressources. Deux pièces de Philip Glass entourent la "Sonate": "Glassworks" et "The hours" (musique du film avec Meryl Streep, Nicole Kidman et Julianne Moore). Ce sont deux très belles mélodies, très mélancoliques, mais l'inconvénient de la musique de Phil Glass, pionnier de la musique répétitive, c'est qu'elle est... répétitive; et "Glassworks" en devient interminable.

Les heures espagnoles et argentines

Une magnifique "Habanera" de Ravel, en forme de musique de nuit où tous les chats sont gris flamenco: écriture de piano si ravélienne, et si raffinée sous les doigts de Benelli Mosell. Mystérieux violoncelle, qui se déchaîne dans "La vie brève" (première danse) de Falla, tremblement de la corde, pizzicati, frottements...

Et l'incontournable Piazzolla! Deux mouvements de la "Suite pour deux guitares" et avec Piazzolla, même quand ce n'est pas un tango... c'est un tango. Joué comme tel par nos deux artistes, dans une transcription d' Alejandro Schwarz, dont ils proposent en "bis" une composition originale, le "Tango (un vrai, cette fois!) de la boiteuse": le violoncelle claudique, la pianiste s'agrippe à l'archet. Le ton redevient enfin déchirant avec la "Vocalise" de Rachmaninov qui met en joie le public. Il fait chaud, l'orage menace...

Il n'éclatera pas.

Récital Henri Demarquette (violoncelle) et Vanessa Benelli Mosell (piano): oeuvres de Glass, Rachmaninov, Ravel, Falla, Piazzolla et Schwarz. Parc Floral de Paris, au bois de Vincennes, le dimanche 12 août.

Dans le cadre de "Classique au Vert", encore six concerts au même lieu, les samedis et dimanches jusqu'au 2 septembre. J'ai relevé par exemple David Lively dans un programme de piano américain (Gershwin, Scott Joplin, Copland) le 18 août, Jacky Terrasson jouant... Debussy le 25, Didier Sandre récitant de l' "Histoire du soldat" le 26 ou, le 1er septembre, l'orchestre de chambre de Paris dans un beau programme Ravel-Sibelius-Berlioz (les "Nuits d'été")

Tous ces concerts à 16 heures. A noter aussi aux mêmes jours et au même endroit mais à 12 heures une carte blanche donnée à de jeunes musiciens encore inconnus, pianistes, trios, quatuors ou flûtistes. Pour pouvoir dire, s'ils deviennent des "stars": "Quand elle (ou il) a commencé, j'y étais!"