A quelques jours du premier tour des élections municipales, les états-majors politiques affutent déjà leurs arguments pour faire face aux résultats qui tomberont dimanche 23 mars au soir. Vague, vaguelette, décrue, raz-de-marée, tsunami, étiage... Tous les termes maritimes ont été stockés pour commenter cette première consultation nationale depuis les législatives de juin 2012. Jusqu'ici, il n'y a eu que des "partielles".
Les élections partielles les plus médiatisées qui se sont déroulées en 2013 étaient la conséquence d'annulations de résultats de législatives prononcées par le Conseil constitutionnel. A l'exception d'un seul seul à Wallis et Futuna (Océan Pacifique), tous ces scrutins ont été défavorables au Parti socialiste qui y laissé des plumes. Son recul a été parfois imposant et dans deux cas il a été éliminé dès le premier tour laissant s'opposer l'UMP et le FN dans un duel singulier au second.
Ce scenario s'est produit dans la 2e circonscription de l'Oise en mars et dans la 3e du Lot-et-Garonne en juin, après la démission de Jérôme Cahuzac : le ministre du budget avait renoncé à reprendre son siège de député qu'il retrouvait automatiquement après son départ du gouvernement pour cause d'aveu de fraude fiscale. Ces deux consultations ont fait l'objet d'une étude de Carine Marcé, du département "Stratégies d'opinion" de TNS Sofres. Celle-ci est publiée dans "L'état de l'opinion 2014", un recueil annuel de l'institut édité depuis 1987 par les éditions du Seuil.
"Un très fort turn over entre les deux tours"
Cette étude est d'autant plus intéressante, à la veille d'une consultation qui concerne tout le pays, qu'elle porte sur le comportement de l'électorat socialiste dans le cas de duels entre le premier parti de l'opposition et l'extrême droite. Cette dernière présente un nombre de listes sensiblement équivalent à celui des municipales de 1995 - elles sont 422 dans les villes de plus de 9.000 habitants contre 444, selon un recensement de l'Ifop - et elle va probablement provoquer un très grand nombre de triangulaires.
Au terme du second tour dans l'Oise, en 2013, rappelle Carine Marcé, "un modèle statistique universitaire" avait évalué à 43% le pourcentage d'électeurs socialistes du premier tour qui auraient voté pour le FN au second. Ce taux de report de la gauche sur l'extrême droite avait provoqué un véritable choc au PS et il avait bien évidemment fait couler beaucoup d'encre et susciter un flot de commentaires. Ainsi s'installait, malgré le démenti d'autres analyses, l'idée que l'électorat socialiste pouvait voter massivement pour le FN contre la droite au second tour, envoyant ainsi le "front républicain" aux oubliettes.
Mais il se trouve que le résultat avancé par le "modèle statistique universitaire" est faux, selon Carine Marcé qui s'appuie sur plusieurs "instruments" pour faire sa démonstration. Elle dispose de l'analyse des listes d'émargement reprise dans une note de la Fondation Jean-Jaurès, d'un sondage post-électoral réalisé par TNS Sofres et des travaux d'estimation d'un chercheur réputé du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), Jean Chiche.
Le retour du "front républicain" aux municipales ?
La première observation est qu'il y a "un très fort turn over entre les deux tours" : il provoque un important renouvellement de l'électorat avec de nouveaux votants. Ceci est valable tant dans l'Oise que dans le Lot-et-Garonne. Ce blog avait eu l'occasion de mettre le doigt sur cette donnée, en juin 2013, en se demandant, à l'occasion de ces deux scrutins, si le Front national puisait ses réserves électorales parmi les abstentionnistes.
Dans l'Oise, l'analyse des listes d'émargement montre que 19,8% des électeurs du premier tour ont boudé le second, 13% des abstentionnistes du premier sont venus au second. Résultat : les nouveaux électeurs représentaient 21% des votants du second tour. Pour le Lot-et-Garonne, le sondage post-électoral indique que 13% des abstentionnistes du premier tour ont voté UMP au second et que 15% d'entre eux ont choisi le FN, ce qui représente 6.000 électeurs sur les 40.675 abstentionnistes.
Enfin, l'analyse des transferts de voix révèle que, dans le Lot-et-Garonne, la majorité des électeurs du candidat socialiste s'abstiennent ou votent blanc au second tour. Un sur trois donne sa voix au candidat UMP et un sur dix à celui du FN. En se fondant sur les travaux de Jean Chiche, Carine Marcé aboutit à "un flux de 12% d'électeurs socialistes qui se reportent sur le candidat du Front national" dans la législative partielle de l'Oise.
Loin de choisir massivement l'extrême droite face à l'UMP dans un duel de second tour dont leur sensibilité politique est exclue, les électeurs socialistes optent plutôt pour l'abstention. En 2002, ils avaient voté à plus de 80% pour Jacques Chirac au second tour de la présidentielle qui l'opposait à Jean-Marie Le Pen. En douze ans, le "front républicain" a beaucoup reculé. Et pas seulement à droite. La stratégie d'accord avec la droite dans quelques villes jugées stratégiques par Marine Le Pen aux municipales de 2014 lui portera-t-elle un coup fatal ? Ou remettra-t-elle cette notion au goût du jour ?