Le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (Charente) dévoilera le 27 janvier le palmarès de cette 45e édition. Chez Pop Up’, on a lu quasiment tous les albums de la sélection officielle et, fatalement, on a une idée assez précise des albums que l'on verrait bien récompensés. Un mélange de fantasme, de croisement de doigts et de Madame Irma plus tard, voici, comme l'an passé, nos prédictions pour les prix les plus emblématiques.
Fauve d’or – Prix du meilleur album
Récompense suprême, le Fauve d’or distingue le meilleur album publié en langue française l’année écoulée, sans distinction de genre, de style ou d’origine géographique. Il est décerné par un jury, présidé cette année par le Français Guillaume Bouzard (Jolly Jumper ne répond plus), parmi une sélection (toujours plus fournie) de quarante-cinq albums, réduite à une short list de dix titres pour le Fauve d'or. L’an dernier, le prestigieux prix a été attribué, à la surprise générale, à Paysage après la bataille (éd. Frémok / Actes sud) des Belges Eric Lambé et Philippe de Pierpont.
- Qui mérite de gagner ? La Saga de Grimr de Jérémie Moreau (éd. Delcourt)
Il y aurait une certaine logique à couronner Jérémie Moreau. L'auteur, encore gamin pour la profession, a enchaîné le prix de la BD scolaire en 2008, le prix Jeune talent et celui de la meilleure BD francophone en 2012. Mis à part le Fauve d'or, plus grand-chose ne manque pour décorer sa cheminée. En plus, sa Saga de Grimr coche encore une fois toutes les cases pour mériter une récompense : scénario porté sur le conte d'une grande finesse, dessins à couper le souffle, cadre porteur, et en plus l'Islande est synonyme de win depuis l'Euro de foot.
Pour ne rien gâcher, cela ferait du bien au neuvième art de couronner un auteur âgé de 30 ans à peine, histoire de gommer l'image un rien poussiéreuse que le grand public peut avoir des auteurs. Ce qui en ferait le lauréat le plus jeune depuis vingt ans et Nicolas Dumontheuil, couronné en 1997 pour le formidable Qui a tué l'idiot ?
- Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? La Terre des fils de Gipi (éd. Futuropolis)
Ça n'aura échappé à personne, La Terre des fils a déjà quasiment tout gagné cette année. Le prix Ouest France - Quai des bulles 2017, le Grand Prix RTL de la BD 2017, le Grand Prix de la critique ACBD 2018 et le prix Utopiales BD. Bref, le dernier album de Gian Alfonso Pacinotti alias Gipi n'a plus rien à prouver et, dans ce contexte, le consacrer à Angoulême reviendrait à reconnaître une certaine uniformité dans le paysage de la BD, comme le souligne le site spécialisé du9. Donc, même si l'on reconnaît des qualités à ce sombre récit post-apocalyptique dans lequel le dessinateur et scénariste italien nous entraîne, on aimerait bien que le jury de cette 45e édition du FIBD fasse preuve d'un peu d'originalité. D'autant que Gipi a déjà remporté le Prix du meilleur album à Angoulême en 2006 avec Notes pour une histoire de guerre (qui vient d'être réédité chez Futuropolis).
- Qui va gagner ? Dans la combi de Thomas Pesquet de Marion Montaigne (éd. Dargaud)
Pour la première fois, le jury de la sélection officielle est, cette année, majoritairement féminin (quatre femmes et trois hommes). Une composition qui pourrait avoir des conséquences directes sur le choix des lauréats, majoritairement masculins dans l'histoire du festival. Du coup, on verrait bien Marion Montaigne devenir la sixième auteure récompensée au FIBD pour un meilleur album, la dernière ayant été Marjane Satrapi pour son Poulet aux prunes en... 2005.
Chouchoute de Guillaume Bouzard (le président du jury la cite volontiers parmi les auteurs dont il "adore le travail, avec un humour bien particulier") et du public qui l'a découverte, il y a dix ans, à travers son blog aujourd'hui décliné en album et en série animée, Tu mourras moins bête, Marion Montaigne devrait mettre le jury d'accord avec son récit drôlissime et passionnant autour de l'astronaute préféré des Français, Thomas Pesquet. D'autant qu'après Ici en 2016 et Paysage après la bataille en 2017, le jury pourrait choisir de récompenser cette année une BD plus accessible.
Fauve d’Angoulême – Prix spécial du jury
Comme le précise le règlement, le Prix spécial du jury récompense un ouvrage "sur lequel le jury a particulièrement souhaité attirer l’attention du public, pour ses qualités narratives, graphiques et/ou l’originalité de ses choix". C’est souvent un très bon album qui n’a rien remporté dans les autres catégories qui est récompensé, un peu comme le Grand prix décerné au festival de Cannes. L’an passé, c’est l’album de Martin Veyron, Ce qu’il faut de terre à l’homme (éd. Dargaud), qui l'a décroché. Compte tenu de ces critères assez vagues, on part là-dessus :
- Qui mérite de gagner ? Charlie Chan Hock Chye, une vie dessinée de Sonny Liew (éd. Urban Comics)
Gros coup de cœur de Pop Up' en 2017, cette biographie - totalement fictive - d'un auteur de BD singapourien a tout pour bluffer le jury. Car au-delà de l'impressionnant exercice de style réalisé par Sonny Liew, Charlie Chan Hock Chye, une vie dessinée est un ouvrage-somme qui compile tout ce que peut être la bande dessinée. Tantôt récit historique, tantôt journal intime, mêlant photographies, croquis, dessins, etc., l'album, malgré son ambition vertigineuse, ne perd jamais son lecteur. Après l'avoir bluffé en lui faisant croire qu'il découvrait la vie d'un obscur dessinateur, il l'éclaire sur la difficulté du statut d'auteur de BD, trop souvent fantasmé. Remarquable et indispensable.
- Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Scalp, la funèbre chevauchée de John Glanton et de ses compagnons de carnage de Hugues Micol (éd. Futuropolis)
Sur le papier, Scalp fait figure de candidat idéal à un prix récompensant l'originalité. C'est à un véritable bain de sang plutôt qu'à un western que nous convie Hugues Micol. Et cette fureur graphique déteint sur les pages de l'album, avec parfois des compositions à la Goya décrivant de gigantesques massacres, bien loin des clichés proprets des canons du Far West à la John Wayne. Mais si le traitement graphique de l'histoire est à tomber par terre, la narration demeure très linéaire. Micol prend le parti de ne pas juger et se contente de décrire les faits (qui se passent de commentaires, cela dit). Ce qui le place une longueur derrière ses concurrents.
- Qui va gagner ? Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien de Ulli Lust (éd. Ça et Là)
De retour en sélection officielle à Angoulême après son Fauve Révélation en 2011 pour Trop n'est pas assez, Ulli Lust pourrait bien décrocher cette fois-ci le Prix spécial du jury (à défaut d'un Fauve d'or). Toujours autobiographique, Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien revient sur les années de galère de l'Autrichienne. Tout en bichromie rose et noir, son roman graphique narre l'émancipation d'une jeune femme au début des années 1990. Sans complaisance aucune, elle y raconte son drôle de ménage à trois avec un homme plus âgé qu'elle et un réfugié nigérian, la difficulté à assumer un statut de mère lorsque l'on a déjà de la peine à se sentir adulte et ses déboires professionnels. Un récit sincère et incroyablement dans l'air du temps.
Fauve d’Angoulême – Prix de la série
Ce prix récompense "une œuvre développée sur au moins trois volumes". Seuls sept albums répondent à ce critère, ce qui réduit considérablement les hypothèses. En 2017, c’est l’excellent manga Chiisakobé (éd. Le Lézard noir) de Minetaro Mochizuki qui a été primé.
- Qui mérite de gagner ? Urban, tome 4 de Luc Brunschwig et Roberto Ricci (éd. Futuropolis)
Voir apparaître Urban dans cette catégorie rend justice au talent du dessinateur Roberto Ricci et à l'imagination féconde du scénariste Luc Brunschwig. L'album relate l'apogée et (on suppose car la série prendra fin au tome 5) la chute de Monplaisir, cité de papier glacé où les salariés du monde entier se voient octroyer quelques jours avant de revenir dans leur train-train quotidien, gérée d'une main de fer par l'intelligence artificielle A.L.I.C.E et le dictateur-G.O. Springy Fool. C'est probablement à cause de ce thème que la série va se voir souffler la récompense : que ce soit en cinéma, en littérature ou en BD, la science-fiction est bien souvent oubliée au moment de la remise des prix. Le jury se distinguerait en brisant cette règle non écrite.
- Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Megg, Mogg & Owl, Happy Fucking Birthday de Simon Hanselmann (éd. Misma)
Toujours aussi déjanté, ce quatrième volume des aventures de Megg, une sorcière dépressive et junkie, Mogg, son amant (qui est accessoirement un chat totalement obsédé par le cul) et Owl, leur colocataire souffre-douleur (qui est une chouette), confirme tout le bien que l'on pensait de son auteur, Simon Hanselmann. Directement inspiré de sa jeunesse passée sur l'île de Tasmanie, entouré de personnes "bipolaires, alcooliques ou fumeuses de weed – voire les trois à la fois", Megg, Mogg & Owl, Happy Fucking Birthday plonge une fois encore le lecteur dans un long tunnel de défonce quotidienne, où l'on vomit presque plus que l'on ne mange. C'est tellement trash, malgré des dessins tout mignons et de jolies couleurs acidulées, que l'on s'interdit presque de sourire devant tant de malaise. Trop peut-être pour figurer dans le palmarès du FIBD (c'est sa troisième nomination en sélection officielle...) ?
- Qui va gagner ? Demon, vol. 3 de Jason Shiga (éd. Cambourakis)
Jason Shiga est un génie. Fou de puzzles et d'énigmes qui font mal à la tête, l'auteur a mis deux ans à élaborer son webcomic édité en quatre volumes en France aux éditions Cambourakis. L'histoire de Jimmy Lee, un professeur de mathématiques qui se révèle être un démon immortel capable de se réincarner à l'infini dans le corps de la personne la plus proche de lui lorsqu'il "meurt". Un pitch prétexte à un scénario qui multiplie les rebondissements, tous plus tordus les uns que les autres. Une BD digne des meilleurs polars, dont le dernier tome, à paraître au printemps prochain, devrait contenir pas moins de 21 fins différentes. Vertigineux.
Fauve d’Angoulême – Prix révélation
Ce prix distingue l’œuvre d’un auteur en début de parcours artistique. Pour ce prix, ce sont souvent de petites maisons d’édition qui sont récompensées. L’an passé, c’est la Sud-Coréenne Ancco qui avait marqué le jury avec son Mauvaises filles (éd. Cornelius).
- Qui mérite de gagner ? Les Cent nuits de Héro d’Isabel Greenberg (éd. Casterman) 2e album
Isabel Greenberg aurait déjà mérité le prix en 2015 pour son premier album, sa merveilleuse Encyclopédie des débuts de la Terre. L'auteure anglaise récidive avec une variation féministe et jubilatoire sur le thème des Mille et une nuits, où Héro, la servante, doit aider sa maîtresse Cherry à rester chaste face aux avances de Manfred, qui a parié avec le mari de Cherry qu'il parviendrait à séduire la jeune femme. Dans ce petit chef d'œuvre, Isabel Greenberg parvient à tenir en haleine son lecteur sur près de 200 pages en reprenant une histoire vieille comme le monde (ou presque). Cette année sera celle de la révélation, et on parie que le prochain album de la jeune Anglaise sera celui de la consécration.
- Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? L’Enfant et le Maudit, tome 3 de Nagabe (éd. Komikku)
Pour honorer cette 45e édition tournée vers le Japon, on a très envie que les jurés récompensent ce manga de Nagabe. Véritable ovni graphique, ce conte à l'ambiance singulière nous plonge dans un monde contrasté divisé en deux : "l'intérieur", qui abrite les populations qui se protègent des créatures qui peuplent "l'extérieur". C'est là que vit pourtant Sheeva, une minuscule petite fille blonde au visage angélique au côté d'une drôle de créature élancée aux formes monstrueuses. Pourquoi ? Comment ? Nagabe - dont c'est seulement le deuxième manga - distille au compte-gouttes les éléments de réponse pour laisser au lecteur le temps de profiter le plus possible de cette ambiance fantastique. LA révélation manga de 2017 que l'on doit aux éditions Komikku.
- Qui va gagner ? Ces jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher (éd. Glénat)
Passé à côté du palmarès en 2012 avec Skins Party, son premier album, Timothé Le Boucher revient cette année avec Ces jours qui disparaissent. L'album de la maturité, selon l'expression consacrée, d'autant plus à propos qu'il traite métaphoriquement du passage à l'âge adulte. Avec son scénario malin et son dessin aussi bien influencé par les œuvres de Jiro Taniguchi (Quartier lointain, L'Homme qui marche) que les Lastman de Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville, Timothé Le Boucher entre dans la cour des grands de la BD. Le prix révélation serait un minimum, amplement mérité pour ce jeune homme, pas encore trentenaire.
Fauve d’Angoulême – Prix jeunesse
Ce prix récompense une œuvre plus particulièrement destinée au jeune public. Cette année, douze albums sont en compétition dans cette sélection et seront départagés par un jury composé d'enfants de 8 à 12 ans. L'an passé, c'est La Jeunesse de Mickey de Tébo qui avait le plus enthousiasmé les jeunes jurés.
- Qui mérite de gagner ? Imbattable, tome 1 : Justice et légumes frais de Pascal Jousselin (éd. Dupuis)
"Les Français ne savent pas faire des histoires de super-héros, gnagnagna, les comics c'est quand même autre chose que Tintin, Astérix et compagnie gnagnagna..." Stooooppp ! Oubliez tous vos clichés sur les super-héros franchouillards clones de Superdupont. Pascal Jousselin nous offre une variation très originale sur le thème récurrent des super-pouvoirs en slip, avec un héros qui se joue des codes de la BD pour neutraliser les méchants. Que cela passe par sauter d'une page à l'autre ou faire un trou dans la page, c'est diablement intelligent. Une finesse justement récompensée par une pluie de prix (le prix Jeunesse ACBD, le meilleur album jeunesse distingué par BDGest...). Pourquoi s'arrêter en si bon chemin alors qu'un second tome est annoncé pour le printemps ?
- Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Hanada le garnement, tome 1 de Makoto Isshiki (éd. Ki-oon)
Sorti au Japon au début des années 1990, Hanada le garnement est enfin disponible en France. Bonne nouvelle, les histoires de cette petite terreur de 9 ans, obligée de rendre service à des fantômes au lieu de terroriser la terre entière, n'ont pas pris une ride. C’est drôle et touchant à la fois et Makoto Isshiki prend un malin plaisir à croquer ses personnages avec des tronches pas possibles qui, on peut parier, feront mourir de rire les enfants (et les plus grands). Un de nos coups de cœur de la rentrée - confirmé depuis par un deuxième tome tout aussi (sinon plus) hilarant -, Hanada le garnement pourrait bien devenir le premier manga primé dans la catégorie jeunesse. Une décision qui serait cohérente avec la mise à l'honneur du Japon pour cette 45e édition du FIBD.
- Qui va gagner ? La Guerre de Catherine de Julia Billet et Claire Fauvel (éd. Rue de Sèvres)
Un album à mettre entre toutes les mains, vraiment. Pourtant, le sujet choisi par Claire Fauvel, adaptant le roman de Julia Billet, n'est pas des plus faciles. Catherine - enfin, Rachel avant le début de la seconde guerre mondiale - est une ado passionnée de photo. Son Rolleiflex ne la quittera pas pendant son périple pour fuir l'occupant nazi, toujours plus loin en zone libre. Sur ce thème délicat, le traitement des auteures est incroyable de justesse. Julia Billet raconte avec pudeur l'histoire (romancée) de sa mère, quand le trait tout en rondeur et en poésie de Claire Fauvel atténue le contexte pesant de ces heures sombres de notre histoire. C'est aussi ça ce qu'on peut attendre d'un prix jeunesse d'Angoulême.
Fauve Polar SNCF
A Angoulême, c'est un jury de personnalités qui désignera, parmi cette sélection de cinq albums, le meilleur polar en bande dessinée (original ou adapté d’une œuvre littéraire).
- Qui mérite de gagner ? Jean Doux et le mystère de la disquette molle de Philippe Valette (éd. Delcourt)
Comme son nom l'indique, Jean Doux et le mystère de la disquette molle est un faux polar qui pourrait se situer dans les Messages à caractère informatif de Canal + tant c'est avant tout une parodie de la vie de bureau dans une entreprise ennuyeuse au possible (Privatek, fabricant de broyeuses à papier depuis 1976). C'est l'histoire de Jean Doux, flanqué de ses collègues Jeanne-France et Jean-Pierre qui se lancent dans un improbable remake d'Indiana Jones au milieu des classeurs et des conduits d'aération pour sauver leur entreprise d'une OPA hostile qui mettrait tous les salariés sur le carreau.
Si l'histoire fera sourire quiconque a déjà dû retirer un formulaire B512 à la compta pour acheter une boîte de trombones, on se demande un peu ce que fait l'album dans une sélection de polars. Remarquez, l'absurde Zaï Zaï Zaï de Fabcaro a bien décroché la timbale en 2016 alors que l'intrigue était à mille lieues du polar classique. Pourquoi pas Jean Doux dans ce cas-là, mon cher Watson ?
- Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? La Cité des trois saints de Vincenzo Bizzarri et Stefano Nardella (éd. Sarbacane)
Amateurs de polars, en voilà un vrai. Avec tous les codes du genre du récit sur la mafia : le repenti qui vend des paninis dans un food-truck, le petit jeune qui veut se faire remarquer des parrains, les hommes de main serviles qui rivalisent de cruauté pour imposer leur "protection" aux commerçants, la police qui est toujours en retard, les témoins qui n'ont jamais rien vu... Stefano Nardella, qui écrivait jusque-là pour le cinéma, s'associe au dessinateur Vicenzo Bizzarri pour un récit qui fait forcément écho au Parrain ou à Gomorra. C'est plaisant, haletant, mais presque trop classique au regard du palmarès du prix.
- Qui va gagner ? The Private Eye de Brian K. Vaughan et Marcos Martin (éd. Urban Comics)
Après quatre nominations (et zéro récompense) avec sa série Saga, pourtant multiprimée outre-Atlantique, Brian K. Vaughan tente sa chance cette année au festival d'Angoulême avec The Private Eye. Ce one-shot, prépublié sur internet, imagine qu'en 2076, le monde est désormais privé d'internet. Mieux, c'est la presse qui remplace désormais la police et tout le monde ou presque se promène caché derrière un masque. Bourré d'idées géniales, ce polar d'anticipation interroge sur nos vies plus vraiment privées et pointe du doigt les dérives de notre société ultraconnectée. C'est malin, ça a remporté les prix Eisner et Harvey de la meilleure bande dessinée en ligne en 2015 et il serait temps que le FIBD arrête d'ignorer cet auteur de comics incontournable.
Fauve d'Angoulême - Prix du public Cultura
Ce prix est remis (sous ce nom et dans cette version) depuis 2013 à la suite d'un vote du public parmi des BD sélectionnées d'abord par le Festival puis parmi les ouvrages retenus par les libraires de l'enseigne Cultura. Cette année, douze albums ont été soumis au vote en ligne du public invité à désigner son préféré. L’an passé, c’est L’homme qui tua Lucky Luke de Matthieu Bonhomme (éd. Dargaud), un des succès de l'année en librairie (l'album a été tiré à 105 000 exemplaires en 2016) que le public a plébiscité.
- Qui mérite de gagner ? Opération Copperhead de Jean Harambat (éd. Dargaud)
Demandez aux lecteurs de BD comme aux libraires : il y a les années avec un Blake et Mortimer et les années sans. 2017 a forcé bon nombre d'aficionados du duo créé par Edgar P. Jacobs à rouvrir pour la 200e fois La Marque jaune pour combler le manque. Ou alors à se précipiter toutes affaires cessantes sur Opération Copperhead, la fantaisie au goût d'After Eight de Jean Harambat, qui raconte l'improbable cours d'Actor's Studio délivré par David Niven et Peter Ustinov à un troufion qui a le malheur de ressembler au général Montgomery, commandant en chef des forces alliées. Une histoire trop incroyable pour être vraie (et pourtant !) racontée avec un sens très british de l'understatement par l'auteur landais. Bonus : on y voit Winston Churchill dans une robe de chambre à pois du plus bel effet.
- Qui pourrait gagner (mais on n'y croit pas trop) ? Black Hammer, tome 1 : Origines secrètes de Jeff Lemire, Dean Ormston et Dave Stewart (éd. Urban Comics)
Objectivement, Black Hammer a tous les arguments pour séduire. C'est du Jeff Lemire, ce qui se fait de mieux en matière de BD outre-Atlantique, ça cause de super-héros mystérieusement débarqués dans un petit village paumé du Midwest (mais qui cherchent à partir), ça plaît aux lecteurs de comics, et même à ceux qui considèrent que Marvel et DC ont trop tiré sur la corde (comme Mike Mignola, l'auteur de Hellboy, excusez du peu). Mais c'est le public qui vote, et celui des comics demeure très limité en France (le premier tome du formidable Descender du même Jeff Lemire - associé à Dustin Nguyen - ne s'est vendu qu'à 10 000 exemplaires). On le voit mal rivaliser avec des productions locales qui ont mieux marché.
- Qui va gagner ? Une sœur de Bastien Vivès (éd. Casterman)
Prix révélation en 2009 pour Le Goût du chlore, puis Prix de la série en compagnie de Balak et Michaël Sanlaville pour Lastman en 2015, Bastien Vivès pourrait bien se faufiler à nouveau cette année dans le palmarès du FIBD, et cette fois, grâce à son public. Avec Une sœur, un roman graphique qui explore les émois adolescents et célèbre la vie dans ce qu'elle a de plus simple et de plus beau, Vivès confirme son talent monstre. Une sœur est son album le plus touchant en dépit (grâce à ?) d'une économie drastique de mots et d'un trait incroyablement épuré. Une ode à la mélancolie et aux premières fois.
Enfin, parmi nos autres coups de cœur qu'on aimerait voir primés (sans trop d'espoir), Epiphania, tome 1, l'épatant thriller fantastique du Français Ludovic Debeurme (éd. Casterman), et Emma G. Wilford d’Edith et Zidrou (éd. Soleil), qui remporterait haut la main le prix de la plus belle édition s'il existait. On citera également côté manga le très loufoque premier tome de Tokyo Alien Bros. de Shinzo Keigo, qui sera présent à Angoulême pour dédicacer sa série publiée au Lézard noir. Du côté des comics, Black Dogs, les rêves de Paul Nash de Dave McKean (éd. Glénat) constitue un exercice de style remarquable autour du peintre anglais, rentré traumatisé de la première guerre mondiale, qui gagnerait à être encore plus remarqué.
Tous ces prix (ainsi que le prix du Patrimoine) seront remis lors d'une cérémonie, samedi 27 janvier, à Angoulême.