Inconnu en France, le Japonais Nagabe, tout jeune venu dans le manga, débarque chez l'éditeur Komikku avec L'Enfant et le Maudit, une fable inquiétante qui balade lentement son lecteur à travers des planches au graphisme contrasté et ultra nerveux. La révélation de cette année 2017.
De quoi ça parle ?
"Si tu entres en contact avec nous, tu seras maudite." L’avertissement proféré par la créature est destiné à Sheeva, une minuscule petite fille blonde au visage angélique. Elle forme avec cet immense monstre noir un tandem incongru qui vit isolé, entre une sombre forêt et un village déserté par ses habitants.
Sheeva a donc l’interdiction formelle de toucher celui qu’elle appelle Professeur, ainsi que les autres créatures qu’elle est susceptible de rencontrer. Mais quand le morne quotidien se résume à aller chercher de quoi se nourrir et attendre une tante qui ne vient pas, comment ne pas désobéir ?
Pourquoi on adore ?
Dans le premier tome de L’Enfant et le Maudit sorti en France en mars dernier, on découvrait un peu ahuri ces deux étranges protagonistes que tout semble opposer. Leur créateur, Nagabe, nous présentait succinctement ses héros et nous laissait avec toutes nos questions à l'issue de la lecture. Que font ensemble cette jeune humaine toute de blanc vêtue et cette créature sans nom qui arbore un long bec et d’immenses cornes ? Comment Sheeva s’est-elle retrouvée à "l’extérieur", là où les monstres rôdent, isolée des humains de "l’intérieur" par une forêt ? Pourquoi le Professeur protège-t-il avec autant de soin la fillette ? Et quelle est cette malédiction qui rôde et dont on ne sait rien ?
Les réponses viendront sûrement plus tard, mais la magie a déjà opéré. Car L’Enfant et le Maudit, c’est avant tout une ambiance. On pense avoir affaire à un vieux conte médiéval, mais rapidement, le récit prend une autre tournure. C’est une fable plus contemporaine qu’il n’y paraît qui se joue sous nos yeux ébaubis. L’Enfant et le Maudit pourrait bien être un récit sur la différence et la peur de l’autre, bref le portrait d’un monde pas si éloigné de celui dans lequel nous vivons. Car, on le comprend rapidement, les habitants de "l’intérieur" ne savent pas vraiment pourquoi ils doivent se méfier de ceux de "l’extérieur". Et ce drôle de Professeur qui prépare le thé et qui sait cuisiner semble bien trop civilisé pour être dangereux.
Porté par le trait fin et nerveux, presque esquissé, de Nagabe, un tout jeune mangaka traduit pour la première fois en français, L’Enfant et le Maudit joue sur la dualité de ces deux êtres en osant le contraste entre des noirs très noirs et des blancs purs. Ça donne des planches sublimes, qui se passent souvent de texte tant elles suintent l'angoisse.
Rythmés par d'intenses cliffhangers, les deux tomes déjà disponibles distillent de très maigres indices avant de laisser le lecteur fou de frustration. Seule alternative possible : relire encore et encore pour extraire des dessins leur substantifique moelle.
C’est pour vous si…
Vous aimez les contes fantastiques et tendres, les belles histoires qui font un peu peur et que pour vous, manga ne rime pas forcément avec des héros aux grands yeux (ceux de Sheeva sont de simples points noirs rehaussés de sourcils). Bref, si vous aimez que l’on vous promène hors des sentiers balisés, car L'Enfant et le Maudit est un manga exigeant qui, à l'instar des grandes séries télévisées (The Leftovers, Twin Peaks, etc.), se délecte à cultiver le mystère.
L’Enfant et le Maudit, tomes 1 et 2 (trois tomes en cours au Japon) de Nagabe, éd. Komikku, environ 200 p. et 8 euros le tome.