Chaque année à la même époque, les passages chez votre libraire préféré se compliquent. Beaucoup trop de choix parmi les bandes dessinées proposées à la vente entre la fin du mois d'août et le début du mois de novembre. Pour vous donner une idée, entre le 1er septembre et le 31 octobre 2016, 842 nouveautés sont venues compléter une offre d'albums déjà dense. Chez Pop Up', on n'a pas la prétention de vous dire qu’on a lu toutes les nouveautés, mais faites-nous confiance quand on vous dit que ces onze-là devraient rejoindre prochainement votre PAL ("pile à lire").
Si vous aimez les contes venus du froid : "La Saga de Grimr" de Jérémie Moreau
Comme Shangri-La de Mathieu Bablet l’an passé, le gros coup de cœur de cette rentrée nous vient d’un jeune auteur. Précocement repéré à Angoulême (il y a décroché le prix de la BD scolaire en 2008), Jérémie Moreau ne cesse depuis de confirmer son talent. Après un début de carrière dans l’animation puis quelques albums de bandes dessinées remarqués (Le Singe de Hartlepool avec Wilfrid Lupano puis le diptyque Max Winson aux éd. Delcourt et Tempête au haras aux éd. Rue de Sèvres, un album jeunesse avec Christophe Donner), il se consacre désormais entièrement au 9e art et fait une rentrée remarquée avec La Saga de Grimr.
Dans l’Islande de la fin du XVIIIe siècle, Grimr se retrouve orphelin après qu’une éruption volcanique a englouti la moitié de la population. C’est d’autant plus malheureux que, dans ce pays, on n’est personne si l'on n'a pas de lignée. Sans famille, on est dépossédé de son nom, on n'a plus le droit d'acquérir des terres, etc. Mais, loin de se laisser abattre, le jeune garçon va tout de même tenter de se faire une place dans cette société prise en étau entre ses traditions séculaires et le joug du Danemark. Fils de personne mais doté d’une force herculéenne, il va, par tous les moyens, se forger ce que les Scandinaves nomment une saga et que nous autres appelons légende. Bref, il va devenir un héros.
Au milieu de paysages à couper le souffle, Jérémie Moreau invente le destin hors du commun d'un gamin borné et peu attachant de prime abord. Un conte sublime qui finira par tirer des larmes au lecteur. Beau et âpre comme cette île pleine de contrastes.
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La Saga de Grimr de Jérémie Moreau, éd. Delcourt, déjà disponible, 232 p., environ 25 euros.
Si vous n'êtes pas contre un bon lifting : "Valerian vu par… - Shingouzlooz inc." de Wilfrid Lupano et Mathieu Lauffray
On ne va pas se mentir, Valerian et Laureline méritaient beaucoup mieux que l’adaptation ciné balourde de Luc Besson. Preuve ultime qu’on peut piocher dans l’œuvre de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin en la modernisant avec pertinence et humour : Shingouzlooz inc., la version 2017 de ce célèbre binôme de l’espace imaginée par Wilfrid Lupano (Les Vieux Fourneaux) et dessinée par Mathieu Lauffray (Long John Silver).
Rien ne va plus dans la galaxie depuis que les Shingouz ont perdu la Terre en la jouant aux cartes. Une sombre histoire de sonde galactique plantée en remontant dans le temps il y a quelques millions d’années et voici que notre planète est désormais aux mains de Sha-oo, alias "l’Assoiffeur du monde". Une mission parfaite pour nos agents spatio-temporels, que Lupano prend à malin plaisir à dépoussiérer. Valerian n’en sort pas grandi (quel benêt !) et heureusement, Laureline a pris les choses en main. So 2017 !
Valerian vu par… - Shingouzlooz inc. de Wilfrid Lupano et Mathieu Lauffray, éd. Dargaud, disponible à partir du 22 septembre, 56 p., environ 14 euros.
Si vous aimez les super-héros mal dans leur peau : "100% Marvel – Jessica Jones, tome 1" de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos
Jusqu’à présent, les aventures de Jessica Jones se trouvaient dans deux arcs narratifs distincts scénarisés par l'Américain Brian Michael Bendis. Alias, publié entre 2001 et 2004, puis The Pulse, entre 2004 et 2006. Fort du succès de la série produite par Netflix qui adaptait Alias en la renommant du nom de son héroïne, Jessica Jones, Bendis et les éditions Marvel ont décidé de lui donner une nouvelle vie.
On retrouve une Jessica Jones quelques années après The Pulse. Danielle, la petite fille qu’elle a eue avec Luke Cage, a bien grandi et sa mère sort à peine de prison qu’elle reprend déjà du service et se retrouve mêlée à une sombre histoire de disparition. Bendis applique avec soin sa formule. La détective privée portée sur la bouteille est toujours aussi larguée et cynique, l’ambiance générale franchement sombre et le noir domine largement les dessins de Gaydos. Mieux, l’univers fait le lien avec Secret Wars et s’intègre parfaitement dans le multivers de Marvel. Du très bon boulot.
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100% Marvel - Jessica Jones, tome 1 de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos, éd. Panini Comics, déjà disponible, 112 p., environ 15 euros.
Si vous avez des pulsions castratrices : l’intégrale "Lady Snowblood" de Kazuo Kamimura et Kazuo Koike
Du très lourd, voici ce que nous propose l’éditeur Kana pour cette rentrée. Lady Snowblood, l’œuvre culte de Kazuo Kamimura, l’un des plus grands dessinateurs japonais, est publiée en France pour la première fois sous forme d’une splendide intégrale de plus de 1 400 pages. L’occasion parfaite pour (re)découvrir l’histoire de Yuki, la tueuse à gages qui a inspiré à Quentin Tarantino le personnage d'O-Ren Ishii incarné par Lucy Liu dans Kill Bill.
Paru au début des années 70, ce portrait d’une princesse de neige et de sang transformée par sa mère en machine à tuer assoiffée de vengeance n’a pas pris une ride. Comme dans Le Club des divorcées, Maria ou Lorsque nous vivions ensemble, Kamimura place une fois encore la femme au cœur de son récit et livre une radioscopie fouillée de son pays, perpétuellement tiraillé entre ses traditions ancestrales et ses envies de modernité. Indispensable.
Les 150 premières pages de Lady Snowblood sont à découvrir ici pour les abonnés au site lemonde.fr.
Lady Snowblood de Kazuo Kamimura et Kazuo Koike, éd. Kana, déjà disponible, 1 408 p., environ 30 euros.
Si vous avez du mal à grandir : "Ces jours qui disparaissent" de Timothé Le Boucher
Encore réticent à devenir un adulte ordonné et responsable, Lubin Maréchal se partage entre un boulot alimentaire dans un supermarché et sa bande de potes, avec laquelle il monte un spectacle vivant où il joue les acrobates. Après une mauvaise chute lors d'une représentation, Lubin découvre à son réveil qu'une journée entière s'est écoulée depuis qu'il s'est endormi. Désormais contraint à ne plus vivre sa vie qu'un jour sur deux, Lubin réalise qu'une autre personnalité que la sienne occupe son corps pendant ses absences. Un autre jeune homme, plus méticuleux et mâture que lui. Au fil des jours, Lubin réalise que cet autre lui avec lequel il communique via des vidéos phagocyte progressivement sa vie. Mais comment conserver une vie sociale, amoureuse et professionnelle lorsqu'on est présent un jour sur deux et qu'un autre s'emploie à défaire ce que vous tentez désespérément de construire ?
Avec ce pitch original et fou à la fois, le jeune Timothé Le Boucher, 28 ans, signe déjà, avec Ces jours qui disparaissent, son troisième album. Au travers d'un récit fantastique remarquablement maîtrisé, il construit une réflexion sur l'identité et le difficile passage à l'âge adulte. Côté dessins, on comprend dès les premières cases muettes que le jeune homme est un passionné de mangas et de cinéma. Un trait fin et souple, sorte de mélange entre les œuvres de Jiro Taniguchi (Quartier lointain, L'Homme qui marche) et le Lastman de Bastien Vivès, Balak et Michaël Sanlaville. Le tout baigné par des tonalités douces, parfaites pour adoucir la violence de son propos sur le deuil d'une jeunesse perdue. Remarquable.
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Ces jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher, coll. 1 000 feuilles aux éd. Glénat, 192 p., environ 22 euros.
Si vous croyez aux fantômes : "Hanada le garnement, tome 1" de Makoto Isshiki
Ichiro Hanada n’a que neuf ans mais il est déjà la terreur de son village. En plus de sa mère, à qui il n’hésite pas à jeter des pétards au visage, et sa sœur qu’il surnomme "la groche", astucieux mot-valise signifiant grosse et moche, Ichiro martyrise les animaux et tout ce qu'il croise. Bref, il est ingérable et dès les premières pages, on rêve de reprendre en main l’éducation de ce jeune garnement qui ne craint pas grand-chose, à part les fantômes. Mais après s’être fait renverser par une camionnette, Ichiro découvre qu’il peut désormais voir les morts qui se pressent pour lui demander de l’aide. A contre-cœur, il va devenir le messager de ces drôles d’esprit afin de leur permettre de partir en paix.
Sorti au Japon au début des années 90, Hanada le garnement débarque enfin en France. Bonne nouvelle, ça n’a pas pris une ride. C’est drôle et touchant à la fois et Makoto Isshiki prend un malin plaisir à croquer ses personnages avec des tronches pas possibles. Certes, l’histoire n’est pas des plus originales mais la galerie de personnages vaut à elle seule la lecture de ce premier tome. Notez qu'Hanada le garnement paraît dans une nouvelle collection chez Ki-oon, Kizuna, destinée aux lecteurs de tous âges. L'éditeur se détache donc doucement de la segmentation japonaise (shonen, seinen, shojo, etc.) et c’est une excellente nouvelle tant elle est souvent trop arbitraire et segmentante.
Hanada le garnement de Makoto Isshiki, coll. Kizuna aux éd. Ki-oon, déjà disponible, 224 p., environ 8 euros. Le tome 2 (sur cinq) sortira le 26 octobre.
Si vous êtes un féru de fantasy : "La Horde du contrevent, tome 1" d'Eric Henninot
C'est certainement l'album le plus attendu de cette rentrée. L'adaptation en bande dessinée du roman de fantasy français vénéré par ses lecteurs, La Horde du contrevent d'Alain Damasio. Un pari fou sur lequel travaille depuis des années Eric Henninot, ancien ingénieur passé rapidement au dessin (Fils du soleil avec Fabien Nury, Carthago avec Christophe Bec) qui signe pour la première fois un album en solo. Prévu en cinq tomes, La Horde du contrevent raconte l'histoire d'un groupe de 23 hommes et femmes qui part à la recherche de l'origine du vent violent qui balaie perpétuellement leur planète. Ils sont la 34e "horde du contrevent" à se lancer dans cette aventure et personne avant eux n'est jamais revenu vivant de ce périple. La Horde du contrevent raconte, mètre par mètre, la progression de ces explorateurs de l'extrême bravant une tempête de plus en plus violente.
Les croquis et les premières planches dévoilés au compte-gouttes sur Twitter donnent déjà une idée du style graphique adopté par Eric Henninot. Notez qu'une version en noir et blanc sera également disponible le jour de sa sortie. Il ne reste plus qu'à patienter encore un peu.
La Horde du contrevent, tome 1 d'Eric Henninot , éd. Delcourt, disponible le 18 octobre, 80 p., environ 17 euros.
Si vous êtes branché "chanson de geste" un rien paillarde : "Chevalier Brayard" de Zidrou et Francis Porcel
Le scénariste Zidrou a comme point commun avec Lupano (à qui on doit le Valerian de cette rentrée dont on vous parlait plus haut, en plus du tome 4 des Vieux Fourneaux) que les amateurs de BD finissent par acheter les yeux fermés quand ils voient son nom sur la couverture. Bien leur en prend pour ce Chevalier Brayard, qui passe à la moulinette les chansons de geste, les superstitions médiévales, Chrétien de Troyes et la légende de Richard Cœur de Lion. L’histoire s’attarde sur un trio improbable composé du chevalier Brayard, aussi bon bretteur que piètre chanteur, avec un penchant pour les rimes salaces, un moine aux chastes oreilles et une pseudo-princesse maure à ramener dans son pays. Un canevas classique – un road movie qui effectuer une quête – qui vaut par ses personnages bien campés et l’ironie qui se dégage de chaque page. Une nouvelle réussite pour le duo à qui l’on doit le poignant Folies Bergère et l’intrigant Bouffon.
Chevalier Brayard de Zidrou et Francis Porcel, éd. Dargaud, déjà disponible, 80 p., environ 15 euros.
Si vous êtes en manque de "Prison Break" : "On Mars, tome 1 : Un monde nouveau" de Sylvain Runberg et Grun
Planète Mars, 2132. La Terre est surpeuplée, décision a été prise de "terraformer" Mars pour la rendre viable et y exfiltrer le surplus de population. Main d’œuvre choisie : les prisonniers du monde entier, enfermés sur cette prison à ciel ouvert. Le travail est rude, la discipline inflexible, le danger peut venir de partout, les clans se forment et une religion syncrétique, incarnée par un pasteur lui aussi déporté sur la planète rouge, fait de plus en plus d’adeptes. Jasmine Stanford en a pris pour vingt ans d’esclavage. Quand elle débarque sur Mars, ses codétenus ignorent qu’elle est une ex-policière condamnée au trou pour une bavure. Mais son secret finit par être éventé…
Sylvain Runberg signe un emballant tome d’introduction à cette trilogie carcérale plus que martienne. Le traitement du thème de la religion y ajoute une touche d’originalité bienvenue. Quant à Grun, il conforte son statut d’auteur de SF à part après l’excellent Métronom. Le cahier graphique joint en fin d’album – d’habitude un gadget pour collectionneurs – vaut cette fois pleinement le détour.
On Mars, tome 1 : Un monde nouveau de Sylvain Runberg et Grun, éd. Galerie Daniel Maghen, déjà disponible, 80 p. environ 16 euros.
Si vous êtes tombé dans la potion magique quand vous étiez petit : "Astérix et la Transitalique" de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad
Passage obligé de la rentrée BD, le nouvel Astérix suscite une attente réelle. Les deux auteurs avaient tâtonné pour la reprise du personnage dans Astérix chez les Pictes, commençaient à trouver leur ton dans Le Papyrus de César... On attend donc l’album de la confirmation avec cette Transitalique qui verra nos deux héros explorer l’Italie, ce qu’ils avaient négligé de faire à part Rome. Comme d’habitude, le secret a été bien gardé autour de l’album. Tout juste sait-on que le caractère d’Obélix va s’affirmer de manière inattendue et que les auteurs vont profiter du mois passé ensemble pour la promotion de l’album pour discuter du prochain, qui sortira dans deux ans.
Astérix et la Transitalique de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, éd. Albert-René, disponible le 19 octobre, 48 p.
Si vous avez l'âme d'un chevalier noir : "Batman : The Dark Prince Charming, tome 1" d'Enrico Marini
Là non plus, on ne sait pas grand-chose, mais ce Dark Prince Charming annoncé en fanfare au début de l’été fait saliver plus d’un amateur de comics et de franco-belge. Enrico Marini, c’est l’auteur du Scorpion, sa série historico-ésotérique dans la Rome du XVIIe siècle. Le Suisse a fait preuve de sa maîtrise dans Les Aigles de Rome, où il endosse aussi le rôle de scénariste. C’est en auteur complet qu’il apporte son écot à l’univers de Batman.
Les quelques visuels disponibles sont somptueux. Il fallait bien ça pour succéder à Jean Giraud et à Milo Manara, les rares auteurs européens qui ont repris des personnages cultes outre-Atlantique (le Surfeur d’Argent et les X-Men, respectivement). Pour vous faire une idée, les vingt premières planches sont visibles sur le site de 9ème art.
Batman : The Dark Prince Charming d'Enrico Marini, éd. Dargaud, disponible le 3 novembre.
Sélection réalisée par Elodie Drouard et Pierre Godon, journalistes à franceinfo.