Paris, nouvelle terre de Far West, pour les policiers?

Le 14 Août dernier, à Paris, un policier, âgé de 23 ans, a fait usage de son arme, au cœur de Paris, sur un automobiliste qu'il avait pris en chasse, monté sur le scooter d'un particulier, après un refus d’obtempérer de l'automobiliste. Précision étant faite que, d'après ce qu'a relayé, à ce jour, la presse, le coup de feu serait intervenu alors que le véhicule faisait une marche arrière sur un scooter, le mettant en danger. La précision est utile, j'y reviendrais.

On l'apprendra plus tard, la victime conduisant un véhicule alors que son permis était annulé. On peut imaginer que c'est ce qui l'a conduit à se soustraire au contrôle.

De son côté, le policier, placé en garde à vue dès le début de l'enquête, a été mis en examen des faits de "violences volontaires avec arme, ayant entraîné la mort sans intention de la donner", et placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction d'exercer sa profession.

Cette intervention pose de nombreuses questions, distinctes. Encore une fois, il ne s'agit pas de faire le travail de la justice, laquelle est la seule disposant de tous les éléments. Ce qui n'empêche pas de s’intéresser à la réglementation générale, relative à ces questions.

Réquisitionner un véhicule particulier pour aider à la poursuite: est-ce légal?

Aucun texte ne parle de ce cas de figure, en réalité. Un vide juridique? Peut-être. Dans le jargon usité par la presse, il est question de ce que le policier aurait "réquisitionné" le véhicule, ainsi que son conducteur, afin de poursuivre l'auteur du refus d'obtempérer. Le terme "réquisition judiciaire" est tiré de l'article 60-1 du code de procédure pénale, selon lequel:

Le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des informations intéressant l'enquête, y compris celles issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-5, la remise des informations ne peut intervenir qu'avec leur accord.

On le constate bien dans le texte, le terme de réquisition est utilisé dans le cadre d'un acte d'enquête; de fait, il ne me semble pas applicable dans le cadre d'une intervention.

Alors oui, cela se pratique; il m'est arrivé, moi-même, d'avoir recours à un conducteur de véhicule dans le cadre d'une filature. On imagine une situation où le policier, à pieds, voit partir son objectif. Fonction de la circonstance, il peut s'avérer absolument nécessaire pour l'enquête, de poursuivre. Il n'y a alors d'autre choix.

Et si le conducteur refuse? Eh bien le temps de se poser la question, l'objectif sera parti. Et alors? Rien. De fait, le conducteur n'a pas d'obligation d’accéder à la demande du fonctionnaire.

Il me semble que, d'une manière générale, cela relève donc du pouvoir d'appréciation du policier, eu égard aux circonstances. Dans le cas présent, le policier a donc "ordonné" au conducteur d'un scooter de poursuivre un fuyard. Très clairement, cela m’apparaît disproportionné. En agissant de la sorte, il a mis en danger la vie du conducteur du scooter, en lui faisant prendre des risques au cœur de la circulation. Et, lorsque l'on sait que, en deux roues, les risques sont multipliés.... Ensuite, il a aussi pris des risques inconsidérés pour lui. Il demande à un conducteur de prendre des risques. Il le met en état de stress. S'il ne le maîtrise pas, le risque de chute est multiplié. Donc, pour le chauffeur et pour le policier; lequel n'était probablement pas casqué, d'ailleurs. Le risque s'est aussi imposé à la population environnante.

Quelles sont les conditions de poursuite d'un véhicule, pour les policiers?

A partir du moment où un policier décide de procéder au contrôle d'un véhicule, ce dernier a obligation de s'y soumettre. S'il s'y soustrait, il caractérise l'infraction de "refus d'obtempérer", laquelle est prévue par l'article L233-1 du Code de la Route. ( l'article 434-10 du code pénal faisant état du délit de fuite, après un accident). Il s'agit donc d'une obligation de se soumettre à ce contrôle. Obligation qui pèse sur le conducteur, et non sur les passagers (eux ne peuvent rentrer en compte que dans le cadre du contrôle d'identité prévu à l'article 78-2 du code de procédure pénale).

J'ai plusieurs fois vu passer l'argument selon lequel "Il suffit de relever la plaque et de convoquer le propriétaire". Si c'était si simple, les policiers feraient ça tout le temps. Et pourtant, dans un très grand nombre de cas, le véhicule n'est pas pourvu de la bonne immatriculation. Soit il s'agit de ce que l'on appelle une "doublette", c'est à dire une immatriculation prise à partir d'un autre véhicule.

Je fais une petite aparté: lorsque vous mettez un véhicule en vente sur un site internet, floutez l'immatriculation. C'est très souvent un moyen utilisé par les voyous pour trouver une "doublette parfaite", c'est à dire le même véhicule que celui dont ils disposent. Cela vous évitera bien des désagréments, et notamment celui de recevoir des contraventions pour des infractions que vous n'avez pas commises.

Dans ce cas de figure, donc, si le policier ne fait que relever l'immatriculation, il sera vite renvoyé vers le titulaire légitime de l'immatriculation, lequel ne saura absolument pas de quoi il est question.

Ensuite, en admettant que l'immatriculation soit la bonne, le propriétaire du véhicule aura tôt fait de dire aux policiers qu'il n'était pas le conducteur du véhicule. Et en l'absence de reconnaissance formelle du conducteur, associée à celle de la personne qui leur fait face, rien ne permettra de relier l'infraction au conducteur.

De fait, pour les policiers, l'enquête s'arrête là. Raison pour laquelle ils ont donc tout intérêt à attraper le conducteur du véhicule.

Pour autant, lorsqu'une chasse est annoncée sur les fréquences radio de la police, celle-ci est relayée par l'opérateur radio qui coordonne les mouvements des véhicules dont il dispose. Et à ce titre, le chef de salle peut décider de faire cesser la chasse. Auquel cas les effectifs doivent se soumettre à cette injonction. Il semblerait qu'en l'espèce, le policier n'ai pas obéi à cet ordre.

Enfin, pour ce qui est des "chasses", dans les circonscriptions de police ou un peu plus largement les directions départementales, il existe des notes de service, locales, lesquelles précisent les circonstances dans lesquelles les policiers peuvent poursuivre un véhicule.

D'une manière générale, ce droit est proportionnel à l'infraction, et aux risques causés à autrui.

"Tirer pour un refus d’obtempérer" ?

Jusqu'à une loi du 27 février 2017, l'usage de l'arme, pour les policiers, était circonscrit aux règles de la légitime défense. Ce texte de loi, ayant donné lieu à l'article 435-1 du Code de la Sécurité Intérieure, en a étendu l'usage. Je vous en avais déjà parlé ici. Dans le cas qui nous occupe ici, nous sommes, typiquement dans le cas suivant:

L'immobilisation d'un véhicule

  • le conducteur n'obtempère pas à l'ordre d'arrêt
  • le conducteur refuse de répondre aux injonctions qui lui sont faites de s'arrêter
  • l'usage de l'arme est l'unique moyen d'immobiliser le véhicule
  • les occupants du véhicule sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique

Les magistrats et policiers en charge de cette enquête devront donc répondre à ces quatre interrogations, afin de savoir si le tir était légitime. Des informations qui nous sont accessibles, via la presse, au moins le premier point semble acquis. Le conducteur n'a pas obtempéré. Des injonctions ont-elles été faites? L'usage de l'arme était-il le seul moyen d'immobiliser le véhicule? Mais surtout, à mon sens, la question principale: l'occupant était-il susceptible de perpétrer, dans sa fuite, des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique d'autrui? Il semblerait, des déclarations faites par l'avocat du policier, Laurent Franck Liénard, que cela soit la ligne de défense qu'il adopte, estimant que le conducteur du scooter a été mise en péril, ainsi que "de nombreux passants".

Des suggestions ont émergé sur les réseaux sociaux, et notamment celle qui consisterait à tirer dans les pneus. Plusieurs remarques à ce sujet. D'ores et déjà, c'est une solution proscrite dans le cadre de la formation des policiers. Pourquoi? Tout d'abord parce que le calibre utilisé par les forces de l'ordre n'a pas nécessairement un impact sur le pneu. De fait, l'ogive peut tout aussi bien rebondir, avec, alors, un risque évident pour tout l'environnement. Et même si, dans certaines conditions, le pneu devait être perforé, cela rendrait le véhicule dangereux, puisque son conducteur pourrait en perdre le contrôle. Là encore, cela engendrerait un danger pour l'environnement immédiat.

Précision, s'il est utile, non, il ne vaut pas mieux tuer le conducteur. Il est très réducteur de d'avoir cette vision binaire.

Enfin, eu égard aux circonstances, il est en fait absurde de dire qu'un policier a tué pour un refus d'obtempérer. Si ça avait été le cas, il n'aurait pas tenté de poursuivre le conducteur au moment du refus, et aurait tiré sur l'instant.

54%; le chiffre qui fait peur

C'est l'augmentation du nombre de coups de feu dont les policiers sont à l'origine. C'est ce qu'il ressort d'un rapport émanant de l'Inspection Générale de la Police Nationale. Ainsi, il y en aurait eu, en 2017, 400 situations de tir. Pourquoi une telle augmentation?

Avant tout, parce que la loi est venue, en quelque sorte, assouplir, le régime de l'usage des armes à feu par les policiers, en 2016. C'est une conséquence directe.

Il faut bien comprendre que cette loi est venue rééquilibrer les choses, dans la mesure où nombre de policiers, par peur d'être poursuivis par la justice en faisant suite à une action professionnelle, de perdre un emploi, de mettre en danger leur famille, se mettaient dès lors en danger physique, eux-même ou autrui, d'ailleurs, en n'utilisant pas leur arme lorsqu'ils auraient pu le faire. S'il est naturel qu'un policier se pose des questions quant à l'usage de son arme, il doit pouvoir le faire, lorsque c'est utile, en toute sérénité, en ayant l'assurance de ne pas être ennuyé par la suite. Oui, c'est un équilibre très difficile que celui de ne pas se croire au far-west tout en pouvant user d'une arme en cas de difficulté sérieuse.

Aussi, derrière ce chiffre "qui fait peur", il serait bon de connaître l'issue judiciaire de ces affaires. Dans quelles proportions l'usage de l'arme a-t-il été jugé normal ou, au contraire, infondé? Sans ce chiffre, la statistique ne veut pas, il me semble, dire grand chose.

En résumé:

  • est-ce qu'il était raisonnable de chasser un véhicule, pour un refus d'obtempérer, monté sur un scooter conduit par un particulier? NON
  • le policier aurait-il pu le faire à bord de son véhicule de service? s'il ne l'a pas fait, c'est qu'il ne le pouvait pas. Néanmoins, cela peut donc se faire; jusqu'à ce que l'ordre de mettre fin à la poursuite soit donné
  • l'usage de l'arme était-il légitime? C'est à la justice de répondre à cette question qui est centrale.

Ce qui est certain, et tout le monde s'accordera là-dessus, c'est qu'il est tout à fait déplorable que l'on meurt pour s'être soustrait à un contrôle de police. Qui plus est lorsque le motif de la fuite est un défaut de permis. C'est quelque chose qui est très clair.

Pour conclure, une dernière réflexion: je l'ai dit au début de ce billet, le policier auteur du tir mortel est âgé de... 23 ans. Donc avec très peu d’expérience... Et, forcément, soumis à une situation de stress, dans un effet tunnel (selon moi), on peut en arriver là.

Aussi, derrière la décision de justice qui sera rendue dans le cadre de cette affaire, il doit aussi y avoir des réflexions de fond dans les services de police. Celles de la formation (au tir, à la gestion du stress) et de l'encadrement, qui participe de la formation continue et de l'acquisition d'expérience. Et là, je me permet de vous renvoyer au billet publié récemment, sur ce blog, par un jeune policier, lequel fait un constat assez amer de la situation des effectifs en sécurité publique.