L'été se poursuit. Et, d'ici quelques jours, de nombreux policiers prendront leurs nouvelles fonctions. C'est le cas de @matricule17, un policier qui, lui, va quitter son service. Celui-là même qu'il avait connu dès sa sortie d'école. Parce qu'il n'y a pas que la Police Judiciaire et l'investigation, coup de projecteur, regard en arrière, sur ce qu'est la Sécurité Publique. La vie d'un flic, en tenue, au Commissariat.
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J'écris ses lignes pris par l'émotion. Ce fut une matinée particulière pour moi. Je viens de rendre mon petit matériel administratif et de faire le petit tour du commissariat en allant de bureau en bureau signer des papiers. J'ai dis au revoir aux copains. J'en reverrai certains, d'autres pas. C'est comme lorsqu'arrivent les grandes vacances au collège. J'ai un petit pincement au cœur car aujourd'hui je dis au revoir à un peu plus de 3 années passées sur mon arrondissement. Ma première affection.
Nous étions 12 à arriver sur l'arrondissement. Notre premier choix de poste à la sortie d'école. Parmi les 12, nous étions trois potes. Originaires de la même ville, adjoints de sécurité dans la même ville et en école de Police ensemble. À Nîmes. 27 ans. Jeunes. Fougueux. Soif de terrain. Je me souviens de ma prise de service. Janvier 2015, pendant l'attaque de Charlie Hebdo. Nous faisions notre premier tir sur Paris quand nous avons vu les collègues descendre en urgence s'armer de fusils mitrailleurs et de gilets lourd et partir sur l'attaque. "Bienvenue à Paris les gamins".
Je me rappelle très bien de mon premier entretien avec le capitaine en charge de l'arrondissement; il m'a dit cette phrase qui reste encore gravée en moi
" six mois sur cet arrondissement équivaut à deux ans sur un autre arrondissement Parisien."
Et il avait raison. Je suis arrivé sur l'arrondissement en intégrant "Police Secours", une chance, selon moi. Certains arrivent directement aux plaintes. J'ai en mémoire cette collègue affectée aux plaintes puis dans un service traitant du judiciaire. Elle aurait aimé continuer dans un service de procédure mais voulait, avant, découvrir le terrain. La hiérarchie lui a fait comprendre que si elle partait sur le terrain, elle ne reviendrait pas au SAIP (Service d'Accueil et d’Investigation de Proximité). Devant le manque d'effectif, les places sont chères et tout le monde veut garder ses effectifs.
Nous sommes donc arrivé pendant les attaques de Charlie Hebdo. C'était un peu la confusion sur Paris, tout le monde voyait des hommes armés partout et nous patrouillions alors en véhicule avec notre arme sur les genoux, doigt le long du pontet. Nous n'avions même pas une semaine sur Paris. C'était une période très particulière. Il faut dire que ce genre de fonctionnement n'est pas du tout habituel, bien évidemment. Mais cela montre la tension qui régnait alors dans la capitale.
Depuis mon arrivée, j'ai été confronté à une multitude de missions ou de doléances très différentes; il s'agit là précisément du rôle des brigades de Police Secours. Il y a tout d'abord les missions de TNPS (TN étant un indicatif radio, PS étant celui de la police secours), c'est à dire les interventions sur un appel 17. Avec son lot de différents familiaux, les cambriolages, les violences conjugales, les agressions sexuelles, les décès, les accidents de la route ou encore les chiens abandonnés sur la voie publique. La liste est loin d'être exhaustive.
Comment fonctionne le "17"?
En composant ces deux chiffres, intervient un premier interlocuteur. Il prend les informations nécessaires, puis les répercute à la station directrice du district ( sur Paris il y en a 3) lequel va, lui-même, les répercuter auprès de l'arrondissement concerné par l'intervention. Cela peut expliquer, en partie, pourquoi parfois les policiers mettent un peu de temps à intervenir. L'autre raison étant que, les brigades sont submergées par les interventions; et, dans la mesure où les effectifs sont ce qu'ils sont, nous devons les prioriser. Un différent familial sera prioritaire sur un cambriolage consommé. Une agression sexuelle sur un différent familial. Alors je comprends que parfois lorsque nous arrivons une heure après l'appel, le requérant ne soit pas satisfait. Mais il faut avoir conscience de nos réalités.
À côté de ça, lorsque nous n'avons pas de mission particulière, nous faisons de l'initiative. L'arrondissement dans lequel j'étais affecté est réputé pour les vols; "à la tire" (vol par la fenêtre de la voiture, éventuellement avec violences), a l'arrache (sur des piétons) ou roulotte (le vol dans un véhicule en stationnement). Dans les missions qui incombent aux brigades de "Police Secours", il y a aussi des servitudes auxquelles doivent faire face tous les commissariats. La sécurisation des commissariats, l'accueil du public au sens large du terme ( victime qui vient déposer plainte, touriste qui vient pour un renseignement, des témoins souhaitant signaler un fait, un avocat qui se présente pour une affaire en cours...), et la gestion du "poste" en charge du bon fonctionnement du commissariat et la surveillance/gestion des gardés à vue. Par exemple dans cet arrondissement, il faut, en permanence, six policiers chargés de la sécurité du commissariat. Quatre qui font le planton ( ils alternent toutes les heures, deux dehors et deux en intérieur) qui sécurisent les lieux et qui contrôlent les personnes y rentrant. Puis 4 (dont 2 qui viennent, en rotation, du planton) à l'intérieur qui ont en charge l'accueil et la gestion des gardés à vue. Il faut leur donner à manger, les emmener aux toilettes, les sortir pour que les collègues puissent les auditionner etc.. Trois policiers ne sont, en général, pas de trop. Et puis il y a des spécificités liées à l'arrondissement en lui-même, sa criminalité (au sens large du terme). En l’occurrence ce que l'on appelle "les sauvette", les migrants et les "MIM", à savoir "mineurs isolés marocains". Cela sans compter qu'en été, par exemple, une cellule est mise en place pour une vigilance accrue sur les monuments parisiens. Ils sont là pour détecter la présence de vendeurs sauvette qui agissent sur les points touristiques de la capitale. L'objectif est alors d'intervenir pour qu'ils quittent les lieux et laissent les touristes tranquilles. Les migrants et les MIM sont des sujets sensibles et, à ce jour, personne n'a encore de solution afin d'y y faire face.
Vous l'aurez compris, il est demandé à un flic de "police secours" d'être polyvalent et de savoir tout traiter. Ainsi, je pouvais intervenir, lors d'une même vacation, sur une personne décédée dans son lit, puis enchaîner sur un accident corporel de la circulation pour ensuite finir sur la gestion d'un colis suspect. Cette polyvalence est, de fait, très formatrice. Aussi, lorsque l'on arrive au sein de la brigade, nous sommes des "bitos"; comprendre "sac de sable", qui ne servent à pas grand chose. On se tait, on suit le mouvement, on écoute et on apprend. Et puis arrive le jour où on prend de plus en plus de responsabilités. Il s'agit alors de gérer un équipage en étant celui vers qui les nouveaux se tournent. Je suis persuadé que tous les policiers, en sortie d'école, devraient passer par la brigade.
J'ai ensuite eu la chance d'incorporer, toujours dans cet arrondissement, un service un peu plus spécialisé dans le "flagrant délit". Toujours entre jeunes, trois groupes de huit, nous recherchions le flag; c'est à dire surprendre l'auteur de délits dits "de voie publique". Les vols à la tire ou les transactions de stupéfiants. C'était grisant.
Mon arrondissement a beaucoup évolué; certains diront dans le bon sens. Sûrement. Il a, je crois, évolué en fonction de la succession des chefs de service placés à sa tête, mais surtout, il me semble, des doléances et servitudes de plus en plus nombreuses, et qui parfois sont loin de nos principales missions. Ou encore de l'évolution de la technologie; je pense, en l'occurrence, aux caméras dites "PVPP", c'est à dire du Plan de Vidéo-Protection de la Ville de Paris.
Aujourd'hui, je fais un constat; il y a 4 ans, lorsque je suis arrivé, restaient encore énormément d'anciens; c'est à dire des policiers titulaires ayant au moins 6 années d'ancienneté, pour encadrer les nouveaux comme moi, un peu "tête brûlée". Aujourd'hui, c'est moi l'ancien, alors que je n'ai que 3 ans de service, depuis ma sortie d'école. Je n'ai malheureusement que peu de légitimité pour encadrer les nouveaux qui sortent d'école, ayant moi-même encore beaucoup de choses à apprendre. Avec le temps, l'arrondissement a donc perdu en quantité, mais surtout en qualité. J'ai vu des policiers ayant plus de dix ans d'ancienneté quitter leur "arrondissement de toujours" à cause de la pression hiérarchique. Il y a encore 10 ans, ces brigades étaient composées de 80 policiers chacune. Aujourd'hui nous sommes moins de 40. C'est triste, et je crois que cela ne va pas en s'arrangent.
Mon souvenir le plus marquant, vous l'imaginez aisément, reste ce que l'on appelle désormais les attentats du 13 novembre. Ce soir-là, j'étais de garde au poste de police. Aux alentours de 21h00, nous avions, en fond, le match de football France-Allemagne, que nous écoutions distraitement. En parallèle, les fréquences radio "police". Vers 21h10 nous avons entendu les premiers messages émis par les collègues intervenants sur la tuerie des terrasses. Au début nous pensions à un règlement de compte; mais nous avons rapidement compris que c'était bien plus grave. Nous étions "à l'écoute", quelque peu impuissants. A 22h00 nous avons été relevé par les collègues de la brigade de nuit. En quittant le SAIP, nous sommes retournés au commissariat central, puis avons attendu les instructions. Silencieux. Le patron adjoint de l'arrondissement est arrivé au poste demandant à ce que deux policiers l'accompagnent afin de sécuriser la place de la République. Tout le monde s'est regardé et voyant qu'aucun collègue de la nuit ne se dévouait, je me suis proposé ainsi qu'un autre collègue. Nous voilà embarqués à toute allure vers République a bord d'un véhicule des ASVP. Sur place, le chef de service adjoint a pris le commandement du secteur. Avec les autres policiers déjà sur place, il nous a alors été demandé d'évacuer la place et les restaurants l'entourant. Ceci fait, nous avons attendu que les services spécialisés donnent l'assaut et puis nous sommes allés à l’entrée du Bataclan réceptionner les otages. Les collègues du RAID et de la BRI étaient blancs, les otages étaient en pleurs. Quant à nous, nous étions là, tous démunis. En fin de service, mon collègue et moi sommes rentrés en Velib. Nous avons traversé tout Paris à 4 heures du matin. Sur le moment, nous n'avions pas réalisé l'ampleur de la chose. Elle m'a sauté "à la gueule" deux jours plus tard.
Sur les 12 policiers arrivés en même temps que moi, seuls 6 sont encore sur l'arrondissement. Les autres sont partis dans un service un peu plus spécialisé, toujours sur Paris.
Au final, je peux dire que ces trois années passées dans cet arrondissement m'ont forgé, m'ont appris beaucoup, mais aussi épuisé. Aujourd’hui je suis usé. Je me dois d'être honnête, depuis que j'ai eu connaissance de ma mutation, en janvier dernier, je suis devenu un fonctionnaire de Police reléguant le policier motivé au vestiaire. J'ai vu trop de collègues être embêtés et risquer leur carrière; ça ne vaut pas le coup. Interpeller toujours les même individus pour les même faits va un temps. À un moment lorsque l'on constate qu'aucune solution ne se dessine, on se lasse.
Alors ce midi je suis heureux de quitter mon arrondissement. Soulagé. Je serai toujours fier d'y avoir travaillé. Cet arrondissement est, comme je l'ai dit, formateur, à mon sens le meilleur de Paris. Mais il est temps pour moi, après bientôt 4 ans ici, de voir autre chose. Et surtout de reprendre goût à ce travail.