Pourquoi je manifeste

Une fois n’est pas coutume, de nombreux syndicats policiers appellent à manifester, mercredi 14 octobre, place Vendôme, devant le ministère de la Justice et devant les tribunaux des grandes villes françaises. Certes, ils ne le font pas à l’unisson, chacun mettant en avant des arguments différents. Mais ils le font.

Les syndicats citent, pêle-mêle, les conditions de travail, des décisions de justice "inacceptables", la "banalisation" des agressions de policiers liée à "l'inadaptation de la prise en compte de la montée de violence". Ils seront tous (ou presque) là, représentant tous les corps de la police nationale, des gardiens de la paix aux commissaires de police. Certes, les arguments diffèrent quelque peu, mais, nul doute, l’exaspération est bien là. Et ce rassemblement des bannières syndicales, très rare, en est la démonstration.

Trois décisions de justice qui ont provoqué l'émoi chez les policiers

Cela fait déjà quelques mois que l’on sent poindre le mécontentement, mais les événements survenus la semaine passée à Saint-Denis apparaissent comme une goutte susceptible de faire déborder le vase. Une semaine après les faits, un policier est toujours dans un état très critique, victime de coups de feu tirés par un malfaiteur qui venait de commettre, avec son complice, un vol à main armée. Malfaiteur qui s’est avéré rapidement être un évadé. Il s’était vu accorder une permission de sortie de quelques heures, au mois de mai dernier, et n’avait pas réintégré son établissement pénitentiaire. Il était donc en fuite. Ce qui a justifié la mise en place d’une fiche de recherche judiciaire. S’ajoute à cela une fiche, dite "S", certains éléments laissant penser que l’individu s’était radicalisé.

Il y a quelques jours, la presse se faisait l’écho de la libération d’un homme condamné par une cour d’assises pour avoir abattu un policier, en 2009 à Bobigny ; en cause, les délais jugés déraisonnables entre le jugement de première instance et l’appel, dont la date n’a même pas été arrêtée. Cinq ans après la première condamnation. Je ne ferais qu’évoquer, également, cette décision, similaire, ayant conduit à la libération de celle que la presse a surnommée "la veuve noire de l’Isère", dans les mêmes circonstances, pour des questions de délais d’audiencement.

Enfin, c’est une décision de la cour d’appel de Paris, au début du mois de septembre, qui a ému nombre de policiers. Décision par laquelle cette cour a décidé du renvoi devant les assises d’un homme ayant tué deux policiers, en février 2013, sur le périphérique parisien, en percutant leur véhicule avec son 4x4 Range Rover. Certes, l’homme sera jugé devant une cour d’assises, mais pas pour homicide volontaire, ce qu’avait demandé le parquet de Paris.

Trois décisions. Chacune indépendante de l’autre, certes ; des dossiers distincts qui requièrent chacun une appréciation individuelle, c’est certain. Mais trois dossiers dans lesquels les policiers prennent de plein fouet des décisions qui les touchent, et qui semblent, bout à bout, les défier. Ajoutez à cela un climat dans lequel les violences sur les policiers s’accumulent. Un début d’année marqué par les attentats, qui, on le sait, mettent à rude épreuve les services. Le fait que les policiers se savent être une cible pour les terroristes. Prenez un zeste de manque d’effectifs et de matériel, une poignée de mesures indemnitaires d’économie qui pointent le bout du nez, et une procédure qui se complexifie chaque jour un peu plus. Laissez mijoter, et vous obtenez un appel à manifester des trois plus importants syndicats policiers.

Manque de moyens ? Oui… mais pas seulement

Pointer des décisions de justice "aberrantes" sans en chercher l’explication me paraît trop rapide pour tirer des conclusions. C'est un fait : comme la police, la justice manque de moyens, avec un budget parmi les plus faibles d'Europe, rapporté au nombre d’administrés et à l’activité de ses tribunaux. Et c’est le regret que j’ai lorsque je lis les différents tracts syndicaux : aucun n’en fait mention, comme s’il fallait, à tout prix, cibler, trouver le coupable. Mais les choses ne peuvent être aussi simples. Pourtant, ce manque de moyens, s’il explique de grosses difficultés, notamment celles qui conduisent à des délais déraisonnables pour réunir une formation de jugement, n’explique pas tout. Et il n’est pas question, là, de juger des contraventions ou de petits délits quotidiens. On parle de meurtres. On parle d’individus que l’on suspecte d’être les auteurs des crimes les plus graves de nos sociétés contemporaines : avoir ôté la vie à un tiers, volontairement.

Le manque de moyens, donc, très certainement. Mais, pour autant, peut-on tout cacher sous ce grand tapis ? C’est une vraie question. L’Etat doit faire de gros efforts quant à l’attention qu’il porte aux profils dangereux, comme le sont, notamment, les braqueurs, ou ceux qui ont fait preuve de violence, notamment face aux forces de l’ordre.Ceux qui sont très clairement ancrés dans la délinquance.

Certains détenus ne devraient pas bénéficier de permissions

Chaque jour, des juges d’application des peines prennent des décisions, pour autoriser une absence, ou aménager telle peine. Clairement, il ne s’agit pas de remettre en cause un système ; selon les chiffres apparus dans la presse, en 2013, plus de 55 000 permissions de sortie ont été accordées ; 295 cas d’évasion ont été recensés. Evidemment, la très grande majorité de ces permissions se sont soldées par des retours dans les temps. Mais il faut quand même s'occuper des cas où cela ne se passe pas bien. Et il faut aussi affirmer que certains détenus ne devraient pas bénéficier d'une telle confiance. Je pense aux multirécidivistes (ou réitérants), à ceux qui se sont déjà évadés, à ceux qui sont incarcérés pour des faits particulièrement violents. Je pointe également ceux qui trompent très clairement la justice en jurant leurs grands dieux qu'ils ne recommenceront pas, et qu'on revoit très rapidement dans les mailles du filet. Il en va de même pour les libérations anticipées.

J’entends les avocats, ou même certains magistrats, parler de réinsertion. Je veux bien comprendre que les sorties dites "sèches" sont facteurs de récidive. Mais il est un autre fait. Aujourd’hui, les malfaiteurs raisonnent avec un ratio "risque sur gain possible". Et tant que le premier est faible par rapport au second, rien ne les empêchera de passer à l’acte ; on parle donc de prévention. Aujourd’hui, un délinquant condamné à 10 ans fait déjà ses calculs en se disant qu’au bout de 6 ans il sera dehors, par le simple fait qu’il a été "gentil". J’exagère, c’est vrai, mais je ne suis pas très loin. De fait, non aux sorties sèches qui laissent les ex-détenus dans la nature sans accompagnement, sans projet de réinsertion. Mais non, également, aux sorties prématurées sans que les bénéficiaires aient fait montre d’une réelle volonté de réinsertion. On y revient toujours. Il faut des moyens pour vérifier la réalité de ces réinsertions.

Une fois n'est pas coutume, mercredi, je serai au nombre des manifestants de la place Vendôme, sur mon temps de repos. A titre personnel, non pas pour réclamer une tête, mais plus pour dire et faire connaître les difficultés qui sont les nôtres au quotidien. N'oublions pas, en ce qui concerne le fait tragique de la semaine dernière, que le seul responsable direct demeure celui qui avait l'arme à la main, et qui a fait feu. Police et justice sont, chacune, le maillon d'une même chaîne; elles doivent, à mon sens, bien plus communiquer. Chacune doit connaître et comprendre les contraintes de l'autre. Tout le monde en sortira grandi.

L'Etat va devoir s'attaquer, à un moment ou un autre, à une réforme en profondeur de la justice. Réduire les délais de réponse pénale, adapter le statut du parquet aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme, faire en sorte que nos prisons ne soient plus des écoles du crime. Voilà quelques-uns des chantiers auxquels il va falloir s'atteler.

Un dernier mot pour notre collègue, à ce jour gravement blessé. L'on ne peut que souhaiter qu'il se rétablisse et rejoigne les siens.