Par Hélène Pédech
C’est un métier émergeant, le « Chief happiness officer » ou « Happiness Manager » a pour rôle de veiller à l’épanouissement des salariés au travail. Avec quelle efficacité ? Et dans quel but ?
Assis sur un pouf, un jeune homme travaille un ordinateur portable sur les genoux apparemment indifférent aux cris de ses collègues qui disputent sous son nez une partie de baby-foot endiablée. Sur une étagère, des jeux de société s’empilent. À l’autre bout du couloir, dans un open-space, trois collègues discutent en se lançant une balle tandis qu’un autre signe un ballon de basket avant de le glisser dans une boîte. Dans cette start-up, installée à Saint-Grégoire près de Rennes (35), spécialiste du développement digital, les espaces de travail prennent parfois des allures de cours de récréation.
L’entreprise emploie aujourd’hui 180 salariés dont la moyenne d’âge est de 31 ans, accueille chaque année une cinquantaine de nouveaux collaborateurs, et depuis deux ans, c’est Brunehilde Thako qui est en charge de leur bonheur. Diplômée en communication, la jeune-femme occupe le poste de « Happiness Manager », l’un des tous premiers en Bretagne.
Originaires des Etats-Unis, ces métiers sont en plein essor en France.
Les 3 missions du « Happiness Manager »
Pour Brunehilde Thako, son travail consiste à :
– favoriser les échanges entre salariés en les incitants à mieux se connaître. Chaque mois, par exemple, des petits-déjeuners sont organisés pour présenter les nouveaux venus ;
– évaluer le bien-être dans l’entreprise à travers, notamment, un questionnaire-baromètre que chaque salarié est invité à remplir chaque vendredi soir ;
– trouver des solutions aux problèmes identifiés. Par exemple faire venir des food-trucks au pied de l’entreprise, mettre en place une cantine connectée ou encore proposer une appli santé qui permet au collaborateur de prendre un avis médical depuis son bureau.
Ce matin-là, Brunehilde Thako a commencé par faire le tour des bureaux en distribuant à certains salariés de mystérieux petits papiers. Le principe : proposer aux collaborateurs de faire faire un gage à un collègue nouvellement embauché histoire de lier connaissance. Un peu gêné, Nicolas nous confie qu’il est supposé récupérer le numéro de téléphone d’une jeune-femme à laquelle il n’a encore jamais adressé la parole. « Je ne sais vraiment pas comment m’y prendre. C’est assez délicat ».
« On est ni dans un centre aéré, ni chez les bisounours. Ne nous voilons pas la face, l’objectif est d’avoir des collaborateurs bien dans leurs baskets, animés d’un bon esprit d’équipe et efficaces avec les clients ».Olivier Méril, le président du groupe Médiaveille .
Séduire et fidéliser les jeunes talents
Dans ce secteur, où le turn-over de salariés tourne généralement autour de 30% par an, Mediaveille affiche un taux de remplacement de 2%, selon son dirigeant.
« Avant de venir, j’avais déjà entendu parler de la bonne ambiance et c’est vrai que cela a compté dans ma décision de travailler ici », admet Charlotte, salariée de Mediaveille depuis un an.
« Notre activité nous amène à échanger beaucoup avec les collègues d’autres bureaux. Du coup, les rapports sont facilités si on a eu l’occasion de se retrouver pour une partie de baby-foot », assure Orlane Gilet, un an et demi d’ancienneté.
Fidéliser les collaborateurs, favoriser l’émulation et, au final, augmenter la productivité…
Le bonheur au travail passe-t-il donc désormais par le Happiness Manager ?
« L’épanouissement au travail est conditionné à deux critères essentiels, souligne Blandine Cléré, psychologue du travail à Rennes. Le sentiment du travail bien fait. Malheureusement, bien des entreprises ont remplacé la qualité du travail par la valeur financière. Le collectif en favorisant les échanges constructifs au sein d’une équipe. »
« Il ne faut pas confondre les conditions de travail et l’organisation du travail, poursuit-elle. Or, il me semble que ces nouveaux responsables de l’épanouissement au travail s’attachent davantage aux conditions. Je dirais que, dans une entreprise où les conditions de travail sont saines, le Happiness officer est la cerise sur le gâteau. Reste que je n’ai encore jamais entendu personne se plaindre de ne pas avoir de baby-foot ou de salle de sport sur son lieu de travail. Certains salariés sont en souffrance parce qu’ils n’ont pas les moyens de fournir un travail de qualité ou bien parce qu’ils ne sont pas reconnus ».
« Derrière cette idéologie du bonheur, se cachent parfois des outils de contrôle du salarié, prévient Erwan le Bezvoët, psychologue du travail au Centre Hospitalier Guillaume Régnier à Rennes et membre du réseau « souffrance et travail » (…) Le conflit de travail est sain dans le collectif de travail. Il permet de mettre en lumière le travail réel et de trouver collectivement des compromis, des arbitrages qui prennent en compte la réalité (celle qu’on rencontre en situation concrète de travail). Or, certaines pratiques managériales rendent le débat sur le travail impossible ou dangereux pour celui qui s’y risque. En effet, lorsque les pratiques managériales amènent au développement d’une illusion d’équipe idéale ou tout le monde s’entend bien, où tout le monde est heureux, le conflit de travail peut être perçu comme allant à l’encontre de cette bonne entente. On finit alors par s’autocensurer. »
Selon une étude réalisée en 2017 par Monster , parmi les avantages octroyés par les entreprises susceptibles de procurer du bien-être aux salariés, la création d’un poste de « Chief happiness officer » (12%) arrive bien après l’octroi de jours de congé supplémentaires (28%), une plus grande souplesse dans les horaires de travail (27%) ou encore le respect du droit à la déconnexion (17%).