Marianne en "bombe sexuelle", vraiment?

Préambule : soyez prévenu.es, je suis féministe. Donc je n'ai pas d'humour. Juste du poil aux pattes et un solide fond d'hystérie. (Ah oui, et aussi, je féminise mon titre professionnel depuis plus de 10 ans, donc avant de considérer que le point majeur à commenter dans cet article, c'est que je me nomme "chèfe d'entreprise", je vous renvoie à un précédent article que j'ai écrit à ce sujet. On gagnera toutes et tous du temps).

*  *  *

Eugène_Delacroix_-_La_liberté_guidant_le_peupleJ'ai fait gloups. Non, en fait, j'ai pas fait gloups. J'ai chialé, direct. Quand j'ai vu ce dessin (pas reproduit ici, merci) figurant une Marianne à poil, avec la formule "nos bombes sont sexuelles, nos attentats à la pudeur". J'ai chialé direct, sans que ça passe par la tête, c'est parti en droite ligne du coeur, façon sniper.

Ca fait 5 jours qu'on me soupçonne de ne pas être assez patriote puisque non, j'ai pas envie de recouvrir ma photo de profil Facebook d'un drapeau bleu-blanc-rouge et puisque que je ne chante pas la Marseillaise non plus. C'est quasi-blasphématoire : si j'aime pas ma patrie et ses symboles, j'ai qu'à me barrer pour voir si les hymnes sont moins sanguinaires et sexistes ailleurs.

Pourtant, il y a bien un symbole de la France et de sa République, dans lequel je me retrouve. Le seul qui soit figuré par une femme, en l'occurrence : Marianne. Mais Marianne, ce matin, dans le journal, n'est pas l'emblème de la République, pas l'incarnation de notre devise chérie "liberté, égalité, fraternité", pas l'icône de la démocratie et des luttes qui l'ont amenée. Non, Marianne ce matin est une "bombe sexuelle". Pas la Marianne de Delacroix qui laisse voir son sein car elle a peut-être déchiré sa robe aux combats, notre héroïne. Mais une Marianne pin-up, carte à branlette, comme une couv de mag de mecs.

 

attentats-ce-petit-texte-americain-qui-fait-du-bien-aux-francais,M273918Ne vous y trompez pas, je ne suis pas rabat-joie, pas cul-serré, pas coincée-de-la-morale-et-de-la-glotte (et peut-être même pas si dépourvue d'humour que ça, à en croire - seulement sur parole, bien sûr - celles et ceux qui parfois rient avec moi). Je suis comme vous, j'aime le cul (quand c'est consenti et partagé de tous côtés, pourquoi me faut-il encore et toujours le préciser?), j'aime le vin, j'aime la bouffe, j'aime la musique, j'aime Desproges (même si ça me tue que vous compreniez son "rire de tout, mais pas avec tout le monde" comme un blanc-seing pour rire de seulement de ce qui correspond à VOTRE humour). Bref, je suis moi aussi une fondue de la culture hédoniste à la française que nos ami.es d'outre-atlantique saluent ces jours-ci dans de vibrants et si drôles hommages. Je suis aussi une partisane sans ambiguïtés de la liberté d'expression, de l'esprit critique et du droit fondamental en démocratie à ne pas être d'accord, à repousser les consensus et à chasser les idées toutes faites qui flattent trop une époque pour ne pas être suspectes. Donc, ce ne sera pas utile,pour disqualifier d'emblée ce que j'ai dire, d'aller prétendre que je crie ici à la censure.

Parce que je ne crie à rien. J'ai trop les boules, ce matin, pour crier. Et pas qu'à cause de ce dessin, entre autres publications de bon goût à la mode Soldat Louis. J'ai les boules comme vous, pour tout le reste, aussi — et surtout pour les copains et copines qui sont morts depuis vendredi. J'ai les boules que, quand comme moi, vous avez les boules (et ces boules, c'est pas les couilles, mais les amygdales, on en a aussi, nous les femmes), ce soit dans l'imagerie sexiste, même pas créative, même pas innovante, que vous puissiez trouver du réconfort, en me laissant s'il le faut, moi que ça heurte, sur le bas côté de la consolation collective. Et je veux attirer votre attention sur le fait que faire du corps des femmes (qui sont aussi des humains) et de leur nudité (qui d'abord leur appartient), une source de dédommagement toute trouvée, un droit à tirer pour le soulagement, un objet au secours et au service du réconfort, c'est simplement de la réification de l'humain. Rien d'autre. C'est pas ce qu'on veut, en ce moment, si?

 

Il va être très urgent, maintenant, d'apprendre à mieux traiter les femmes. C'est pas une question qui se réserve aux temps calmes et se laisse en marge de l'agenda, quand la démocratie et la République sont en péril. En fait, c'est juste le gros morceau de notre idéal politique qui n'a jamais été abouti. C'est aussi le gros morceau de notre culture de liberté et d'égalité qui laisse encore, parfois à l'écart, les femmes de ce que l'on appelle la fraternité.