Le loup a été débusqué par l'excellente journaliste sportive Fabienne Broucaret et par Audrey Keysers et Maguy Nestoret, auteures du livre Football féminin. La femme est l’avenir du football : avec son opération "Carrefour fête le foot féminin", la chaîne d'hypermarchés a décroché la palme de l'opération marketing à côté de ses crampons !
Les marques s'intéressent au foot féminin ? Il était temps !
On le sait, le foot féminin a la cote depuis quelque temps et les joueuses ne doivent leur succès populaire qu'à leur travail, à leur talent et à leur mérite. Les sponsors et les médias ne sont pas précipités pour les soutenir du temps où elles s'entraînaient discrètement, après leur journée de boulot, quand, bien que sportives de haut niveau, elles n'avaient pas les moyens de vivre de leur pratique sportive. Il a fallu qu'elles prouvent qu'elles étaient fortes avant qu'on ne croit en elles, quand leurs homologues masculins ont droit à la visibilité médiatique et au financement de leurs caprices, même quand ils jouent comme des pieds.
Moi, si j'étais joueuse de foot, je rêverais plutôt d'un bon équipement...
Mais chapeau bas aux femmes du foot ! Elles ont fait leur place, à la force des chevilles. Et elles ont entraîné de nombreuses femmes dans leur sillage : les clubs de foot féminin n'ont jamais eu autant d'adhérentes. Ça mérite bien des félicitations et des récompenses, même tardives. Alors, Carrefour met les footballeuses à l'honneur, en laissant à chaque directeur de grande surface le soin de mettre en place une mécanique promotionnelle propre. Pour le directeur de l'enseigne de Lescar, dans les Pyrénées-Atlantiques, c'est tout vu : ce qui va vraiment faire plaisir aux footeuses du coin, ce n'est pas un équipement de qualité, ce n'est pas une nouvelle paire de chaussures à crampons, ce n'est pas une subvention aux associations locales qui promeuvent le sport pour les petites filles. Non, non, c'est un... kit beauté!
C'est vrai, quoi, quand on joue au foot à haut niveau, c'est super important d'avoir les ongles faits, le cheveu brillant, la peau douce et la lippe glossée ! On sait jamais ce qui peut arriver, hein, sur le terrain ! Le Prince Charmant pourrait surgir et enlever la pauvre nymphette qui fait joujou au ballon pour l'emmener vivre dans un joli château, où elle aurait un lit à baldaquin et un beau boudoir avec une coiffeuse pour disposer harmonieusement tous ses produits de beauté offerts par Carrefour, et s'ennuierait tout le reste de sa vie à cent sous de l'heure... Peut-être même que le Prince Charmant sera un grand footballeur et qu'avec un peu de chance, on aura le bonheur de porter ses ballons et de décrotter ses crampons, entre deux brushings et une french manucure.
Regardez-moi dans les pieds !
Allez, c'est vrai, je force le trait et je veux bien parier que, quand elles ne sont pas sur le terrain en train de marquer des buts, certaines joueuses ont aussi le droit d'aimer se pomponner. Sauf que, comme tout individu, une femme a plusieurs vies, plusieurs espaces d'expression d'elle-même, plusieurs cordes à son arc et sans doute l'envie d'être reconnue de façon différenciée selon les rôles qu'elle joue, à différents moments de son existence. Quand elle veut faire les yeux doux à quelqu'un, elle peut avoir envie de se gommer la couenne et de se poudrer le teint. Quand elle est au bureau, elle a envie qu'on reconnaisse et qu'on respecte ses compétences professionnelles. Quand elle joue au foot, elle a envie qu'on admire et qu'on encourage sa performance sportive, qu'on tourne le regard vers ses pieds en or, qui courent, qui tirent et qui marquent, sans avoir besoin d'être limés et vernis pour ça !
La beauté, "ça ne gâche rien", mais c'est juste un peu (beaucoup) superficiel
Mais une femme a-t-elle vraiment envie d'être inéluctablement renvoyée, partout où elle va et dans tout ce qu'elle fait, au prérequis prétendument féminin de la beauté (pour peu que celle-ci s'incarne, au passage, dans l'usage de produits cosmétiques) ? Ben non, on n'est pas obligée de se faire belle quand on joue au foot, comme on n'est pas obligée de se faire belle quand on est manager ou chèfe d'entreprise, quand on est journaliste ou quand on est ministre. Celles et ceux qui disent que "ça ne gâche rien" n'ont pas fondamentalement tort, mais sans le vouloir (et peut-être sans le savoir), ils et elles participent au détournement du regard porté sur les femmes de leurs qualités profondes et multiples vers leur apparence physique immédiate. Ils et elles font le choix d'un regard superficiel, qui comporte en lui une authentique négation de la féminité comprise et admise dans toute sa pluralité, dans toute sa complexité, dans toute sa subtilité....