Vous voulez m'offrir des fleurs, c'est gentil. 10% ou 30% de remise sur mes achats de parfum, cosmétique, lingerie, chaussures, c'est incitatif. Un relooking, je ne sais pas comment je dois le prendre. Une place gratuite pour le concert de Frédéric François, c'est peut-être un poil poussif*.
Aujourd'hui, nous sommes le 8 mars. Et ce n'est pas ma fête. Pas mon anniversaire. Pas mon Noël. Pas carnaval non plus (même si la reconduction de l'opération "mettez du rouge" qui n'engage à rien quelques célébrités masculines quand elles se fardent les lèvres pourrait le laisser croire). Pas ma kermesse.
Je n'ai pas besoin de cadeaux, d'animations, de bons de réduction ni de Frédéric François qui me chante "Petite Femme" (au hasard).
Je suis une femme et j'ai des droits. Des droits en tant qu'humain-e, garantis par les grands textes fondateurs de la République française et des Nations Unies. Des droits qui peuvent tous se regrouper sous une seule et même idée, celle de l'égalité. Des droits reprécisés par un corpus de lois parfois très abouti dans des pays qu'on dit "politiquement matures".
Pourtant, ces droits ne sont pas effectifs, ni ici, dans mon pays qui se targue d'être le "berceau des droits de l'homme (!)" et où l'on me répète pourtant à l'envi combien j'ai de la chance de vivre (quand il est rappelé que je si me compare à mes soeurs afghanes, saoudiennes ou pakistanaise, force est de constater que je suis gâtée et qu'à ce titre, il serait de bon goût que je cesse de "réclamer" toujours plus, cesse de me "plaindre" de ces 27% d'écart moyen de rémunération, de cette sous-représentation de mon genre dans les instances de décision des entreprises comme en politique, du sexisme ambiant qui veut éternellement m'enjoindre de me comporter comme mon appartenance au féminin l'exigerait), ni ailleurs (où effectivement, des filles "manquent" dans le décompte des vivant-es parce qu'on ne les a pas fait naître, où celles qui sont là ne sont pas autorisées à étudier ni même à sortir de chez elles, où des femmes sont massacrées dans leur intimité par des coutumes barbares, d'autres défigurées et aveuglées au nom de l'honneur des hommes dont elles sont considérées comme la propriété, violées de façon systématique quand il faut envahir à travers elles les peuples ennemis...).
Oui, je sais, c'est pas rigolo. C'est pas très divertissant. C'est pourtant la réalité, qui ne s'embarrasse pas toujours de flatter nos yeux. Mais c'est cette réalité que la Journée DES droits DES femmes (que par pitié, n'appelez plus Journée d'la fâââââmme) porte sur le devant de la scène, au risque peut-être de gâcher un peu la fête.
Pas d'intention victimaire, pour autant, car ici et comme ailleurs, les femmes ne sont pas les pleureuses que l'on dit (en se vautrant dans un des clichés sexistes les plus communs) : ici, comme ailleurs, les femmes sont des battantes. Ce sont des Malala qui vont à l'école coûte que coûte, ce sont des Ana Bella Estevez qui refusent de se concevoir en victimes de la violence conjugale mais s'affirment en survivantes capables de reconstruire leur vie et qui accompagnent les autres sur cette route de la résilience, ce sont des Bayan Mahmoud Al-Zahran qui vient d'ouvrir le premier cabinet d'avocate en Arabie saoudite. Ce sont aussi toutes celles qui, partout dans le monde, refusent de s'interdire d'être qui elles sont, de vivre leur vie comme elles l'entendent, de laisser quelqu'un d'autre ou bien les mentalités décider pour elles de ce qu'elles veulent être ou du moment auquel il sera opportun qu'elles réalisent cette humaine ambition.
Les femmes, voyez-vous n'ont pas plus besoin d'être plaintes que de recevoir des roses, des ritournelles mielleuses ou des manucures à prix sacrifié en cette 37è Journée Internationale des droits des femmes. Elles ont seulement droit, plein et entier, à être partout traitées à l'égal des hommes. Cela commence par le fait de supporter et d'estimer le fait qu'elles le rappellent en cette journée. Ca vaut pour aujourd'hui, ça vaut pour demain, ça vaut pour tous les jours de l'année.
* Pour une liste longue (mais hélas pas exhaustive, tant il y en a) des initiatives navrantes de contre-sens lancées pour la Journée Internationale des droits des femmes, voir le tumblr WTFJournéedelafemme.