Elle s'appelle Malala et elle a risqué sa vie pour aller à l'école.
Elle est le symbole du combat pour l'éducation des filles en particulier, pour le droit de tous les enfants du monde, en général, à aller à l'école. L'UNICEF estime autour de 60 millions le nombre d'enfants dans le monde qui n'ont pas accès à l'école. Ils étaient quelques milliers de plus, les 24 et 27 janvier dernier, quelques milliers de petit-es français-es privé-es d'école... Par leurs parents!
Des parents qui se racontent n'importe quoi sur une prétendue "théorie du genre", qu'ils assimilent avec un sordide mauvais goût à une forme de violence sexuelle que l'institution scolaire infligerait à leurs enfants au moyen du programme ABCD Egalité, lequel a seulement vocation à sensibiliser aux stéréotypes sexistes et à rien d'autre de ce qui s'en dit de follement grotesque, chez ses détractrices et détracteurs.
Des parents qui ont le droit de fantasmer, on ne peut l'empêcher. Le droit aussi, admettons, de ne pas trouver grave que les femmes et les hommes, les hétéros et les homos n'aient pas, dès les débuts et tout au long de leurs parcours individuels, les mêmes chances de s'épanouir, de réussir, de se sentir en sécurité, de vivre pleinement et librement leur propre vie unique et singulière. Le droit encore, d'être en colère après le gouvernement, de se positionner en "anti", de se battre pour des convictions politiques qui leur appartiennent.
Mais le droit de retirer leurs enfants de l'école?
L'école a bien des défauts, qui, pour commencer, ne réussit pas pleinement son objectif républicain de donner sa chance à chacun-e et reproduit dans les faits trop d'inégalités. Mais l'école a une vertu qu'on ne peut lui retirer : elle est un ailleurs, pour nos enfants. Un ailleurs hors les murs du domicile, hors les frontières forcément étroites du cercle familial, hors notre champ d'influence, à nous parents. Elle est leur autre lieu de vie. De leur vie, à eux. Elle est aussi le premier lieu de la fréquentation de l'autre, pour nos enfants. De la fréquentation encore, des références, des valeurs, des idées autres que celles qui sont transmises et valorisées dans nos petits univers. Ce n'est pas toujours pour nous plaire à nous, parents, qui, pour prendre des exemples légers, ne raffolons pas forcément de ces gros mots appris dans les cours de récré ou des engouements collectifs pour quelque créature sortie d'un dessin animé déclinée sur tout ce qui ressemble à un tee-shirt, un cartable, une trousse, une paire de chaussures et on en passe. Il peut aussi nous arriver de nous interroger sur l'utilité ou la pertinence de telle ou telle matière, tel ou tel sujet de devoir, telle ou telle option prise par l'enseignant-e pour aborder les contenus et/ou conduire les processus d'apprentissage. Il est même de notre devoir de nous intéresser à ce qui se passe dans les établissements fréquentés par nos enfants.
Mais si nous avons à y redire, voire si nous sommes en désaccord ou bien carrément en opposition, ce ne sont pas nos enfants qui doivent en être puni-es. Ce ne sont pas nos enfants qui doivent être otages de nos combats. Ce ne sont pas nos enfants qui doivent payer pour cela. Ce ne sont pas nos enfants qui doivent être privé-es d'autorité d'aller à l'école, de vivre cet ailleurs.
Car nos enfants ne nous appartiennent pas. Ils et elles ne sont pas là ni pour servir nos causes ni pour entretenir nos visions du monde ni pour être les dépositaires conservateurs de nos idéologies ou de traditions héritées. Nous avons seulement la responsabilité de prendre soin d'eux (ce qui commence par leur assurer l'accès à l'instruction) pour favoriser leur construction individuelle, pour les accompagner dans les choix qu'ils feront pour eux-mêmes, même si ces choix doivent heurter nos propres certitudes ou contredire nos projections. Notre humble rôle n'est pas de leur imposer une façon d'être qui nous flatterait mais de préserver toutes leurs chances de pouvoir devenir eux-mêmes, assumant leur singularité et affirmant un jour solidement leurs volontés.
Ne les privons pas, jamais, d'accéder à tout ce qui, de l'école ou de tout autre espace de vie différent (et pourtant non exclusif) de la famille, leur permettra de nous échapper et de voler de leurs propres ailes, dans les directions qui seront les leurs, et celles de personne d'autre.