Ce n'est pas un secret : j'ai fait sauter un bouchon de champagne le jour où j'ai vu renaître le Ministère des droits des femmes.
Ce n'est pas non plus difficile de deviner que j'admire sincèrement Najat Vallaud-Belkacem et que je suis particulièrement réceptive à la pertinence avec laquelle, avec ses équipes, elle contribue à faire de la question de l'égalité non plus seulement une problématique "femmes" mais bien un enjeu transversal de tous les sujets économiques et sociaux du temps présent.
Le changement, c'est l'égalité
Je fais effectivement partie de celles et ceux qui croient fermement que le progrès passe par le changement des perceptions, des façons de faire, des ordres (mal) établis et qu'à ce titre, nous avons tous et toutes tout à gagner à oeuvrer en faveur de plus de mixité et de diversité.
Parce qu'il y va non seulement d'une exigence de justice mais également de notre performance économique et de l'apaisement de nos relations sociales. Parce que les études les plus sérieuses démontrent qu'une entreprise plus diverse et plus responsable est aussi une entreprise plus créative, plus forte, plus durable et plus efficace. Non, ce n'est pas un gadget, l'égalité, c'est le préalable à la transformation de nos organisations, et la première de nos solutions d'avenir.
L'égalité, ça gagne à être un peu "poussé"
Toutefois, le principe de réalité étant ce qu'il est, je suis aussi assez convaincue que pour réussir l'égalité, il faut un peu pousser au derrière des un-es et des autres. Au moins au début, parce que les habitudes ont la vie dure et qu'avec des "j'voudrais ben mais j'peux point" et autres "boah, on verra bien d'main", on ne risque pas d'avancer bien loin.
Non, on n'aura pas des femmes à la tête des entreprises si on ne promeut pas le leadership au féminin et si on n'impose pas des quotas de dirigeantes dans les conseils d'administration. Non, on n'aura pas de représentation satisfaisante des femmes en politique si les amendes en cas de non respect de la parité sont insuffisamment dissuasives. Et non, on n'obtiendra pas l'égalité salariale si on ne sanctionne pas les entreprises qui ne voient pas en quel honneur elles paieraient une femme au même prix qu'un homme, pour commencer.
Deux entreprises sanctionnées pour discriminations salariales... Dont vous ne connaîtrez pas le nom
Aussi, je me suis réjouie que Najat Vallaud-Belkacem passe aux actes et qu'en vertu de la loi du 2 novembre 2010 (votée sous la précédente majorité), elle fasse prononcer des sanctions contre deux entreprises qui pratiquent éhontément la discrimination salariale.
Sauf que... Ni vous ni moi n'avons le droit de connaître le nom de ces deux sociétés épinglées pour discrimination sexiste caractérisée. Avec l'élégance qui est la sienne, Najat Vallaud-Belkacem dit préférer taire cette information pour éviter le "name & shame" et ne pas ajouter l'opprobre publique à la sanction financière .
Depuis quand épargne-t-on le scandale aux entreprises coupables d'actes illégaux?
L'intention s'entend.
Mais une question me chatouille : le gouvernement et les médias font-ils preuve d'égale politesse et d'identique discrétion quand il s'agit d'entreprises qui licencient, qui délocalisent, qui nous font manger du cheval en douce ou harcèlent leurs cadres ?
Depuis quand épargne-t-on le scandale aux entreprises dysfonctionnelles et coupables d'actes illégaux dans ce pays?
Les dirigeant-es qui sous-payent les femmes risquent-ils vraiment le lynchage?
J'aimerais croire que si, en ce cas précis, on préserve l'anonymat des entreprises qui pratiquent la discrimination sexiste en toute illégalité, c'est que cela relève d'une disposition majeure de sécurité.
Mais oui, imaginez les risques : c'est bien compris par les Français, le truc le plus grave dont on peut se rendre coupable, le truc qui scandalise vraiment la population, c'est de payer les femmes moins que les hommes... Si ça venait à savoir que telle ou telle société pratique la discrimination salariale, ses dirigeant-es risqueraient d'être lynché-es et les usines incendiées... A partir de de là, qui sait ce qui peut arriver : un blocage entier du pays subitement dressé contre l'inégalité salariale, des centaines de milliers de manifestant-es aux portes des entreprises en question, les journaux faisant leur une sur toutes ces boîtes indignes qui traitent leurs collaboratrices comme des sous-employées, tous et toutes les patron-nes de France et de Navarre qui tremblent à l'idée d'être à leur tour pointé-es du doigt et se grouillent de se mettre en règle avec la loi...
Je peux toujours rêver, je crois. Ce n'est pas l'inégalité salariale entre hommes et femmes qui va tout se suite allumer l'incendie social. Ce n'est même pas sûr que si on révélait le nom des deux entreprises sanctionnées, elles devraient faire face à une grave crise de communication, voir leurs carnets de commandes se vider et leur image se dégrader. Hélas...
La peur de faire beaucoup de bruit pour rien?
Alors quoi? Qu'est-ce qui empêche au juste qu'on donne le nom de ces entreprises condamnées?
La peur de faire un peu trop de bruit (pour - presque - rien) en parlant des injustices dont sont victimes les femmes au travail?
La minuscule bagatelle de 500 € d'écart moyen mensuel entre salariés et salariées (dans l'une des entreprises condamnées) ne justifierait pas qu'on mette en cause la réputation d'acteurs économiques, pourtant objectivement coupables de ce qui leur est reproché?
Le petit linge sale du sexisme au travail se lave à l'abri des regards...
Est-ce cela que l'on est en train de dire aux femmes employées dans les deux entreprises sanctionnées ? Est-on en train de leur faire comprendre qu'il n'y a pas vraiment matière à scandale? Que leur situation me mérite pas vraiment qu'on s'y arrête dans le détail? Que le petit linge sale du sexisme au travail se lave mieux à l'abri des regards et que c'est une stricte affaire entre l'administration fiscale et la direction de la boîte, qui ne les regarde pas plus que ça?
Mais d'ailleurs, pourquoi ces femmes se manifestent-elles pas? Qu'est-ce qui les empêche de témoigner au grand jour et de raconter à la première personne leur histoire ? Moi, Martine G., 45 ans, employée chez X depuis 18 ans, je gagne 20 ou 30% de moins que mon collègue masculin du bureau d'à côté et je trouve ça dégueulasse...
Ces femmes qu'on n'entend pas dénoncer leur entreprise, sont-elles tenues au secret ou bien précisément si peu sûres de leur valeur qu'elles n'osent pas la ramener? Sont-elles en plein syndrome de Stockholm, inquiètes de ce qu'on leur nuise en voulant les défendre, de ce qu'en touchant à l'image de leur entreprise, on précarise indirectement leurs conditions de travail?
A moins que le secret sur le nom des entreprises sanctionnées soit si bien gardé que ces femmes discriminées ne soient même pas informées, elles, les premières concernées, de ce que leur employeur est précisément celui que l'on nomme pudiquement "une structure en Aquitaine" ou "une société en Île de France" dans cette affaire?
Si ce n'est qu'une amende à payer...
En attendant, je me dis aussi que les dirigeant-es des 135 autres entreprises mises en demeure pour non-respect de l'égalité salariale dormiront tranquillement sur leurs deux oreilles pendant quelque temps encore.
Tant que la punition, c'est de signer un chèque et de l'envoyer au fisc sous pli discret sans que personne d'autre ne s'en mêle, c'est un peu agaçant, mais fondamentalement pas très menaçant...