Certain-es ont du être fort déçu-es.
Jusqu'ici, on pouvait fantasmer à loisir sur les tas d'or et les rivières de billets dans lesquels barboteraient joyeusement les membres du gouvernement actuel.
On attendait de la déclaration de patrimoine de nos ministres des révélations édifiantes. Quoi? Des palaces aux boutons de porte en platine, du caviar à la louche au petit-déj et des portefeuilles d'actions juteuses ?
Des vélos et des Twingo : nos ministres, des Français-es moyen-nes comme les autres?
Le résultat, c'est plutôt des Twingo et des Clio d'occaz (Cécile Duflot, Geneviève Fioraso, Marylise Lebranchu, Stéphane Le Foll), des vélos de ville avec gilet de sécu fluo même pas griffés by Karl (Christiane Taubira), des livrets A à la Banque Postale (Najat Vallaud-Belkacem) et des découverts au Crédit Coopératif des Deux-Sèvres (Delphine Batho).
Bref, nos ministres sont (presque) comme nous et si leur patrimoine ne nous rend pas malades de jalousie, il n'a pas vraiment non plus de quoi nous faire rêver, à quelques exceptions près.
Les femmes ministres possèdent 33% de moins de patrimoine que leurs collègues masculins
Par curiosité, je suis quand même allée voir comment se répartissait la richesse entre hommes et femmes dans le premier gouvernement paritaire de l'histoire des institutions françaises.
C'est instructif : si on additionne tout le patrimoine des membres du gouvernement, on tombe sur le chiffre de 33,64 millions d'euros (ne paniquez pas, ils sont 38 à se partager le gateau). Dont 18,99 millions possédés par les hommes du ministère. Et 14,65 millions possédés par les femmes. Soit pas loin de 33% de moins que leurs collègues masculins.
Un simple aperçu des quintés de tête et de queue nous aurait presque aussi vite renseigné-es : s'il n'y a qu'une femme, Michèle Delaunay, pour ne pas la nommer, parmi les 5 ministres les plus fortuné-es du gouvernement, il n'y a qu'un homme, Bernard Cazeneuve, parmi les 5 ministres les moins possédant-es.
Et si c'était tout simplement parce que les femmes ministres sont plus jeunes que les hommes ministres? Oui, mais non.
A quoi ça tient?
Vérifions d'emblée un fait démographique : si les ministres femmes étaient en moyenne plus jeunes que les ministres hommes, cela expliquerait qu'elles aient eu moins le temps d'accumuler de patrimoine au cours de leur existence.
Sauf que, surprise, malgré les Sylvia Pinel et les Najat Vallaud-Belkacem, il n'y a qu'un très faible écart entre la moyenne d'âge des ministres femmes (54 ans) et celle des ministres hommes (55 ans).
En politique comme dans l'entreprise, plus ou grimpe dans la hiérarchie et plus les écarts de richesse entre hommes et femmes s'accroissent
So what?
Les amateurs et amatrices de blagues sexistes et de stéréotypes éculés diront que les femmes préfèrent claquer tout leur fric en pompes et en mascara plutôt que d'investir dans la pierre et dans les valeurs obligataires.
Mais pour avoir étudié attentivement les courbes d'écart de salaires hommes/femmes qui croissent vertigineusement à mesure que l'on grimpe dans la hiérarchie des entreprises, j'émettrais volontiers une autre hypothèse.
Et si nos femmes leaders politiques, comme nos femmes leaders dans le privé, étaient aujourd'hui bel et bien capables de faire carrière, de saisir leur chance, de faire reconnaitre leur talent et de prendre des places hier réservés aux hommes, mais oubliaient juste de se faire rémunérer à l'équivalent des hommes, tout au long de leur vie professionnelle, pour tout ça? Et si leur patrimoine nettement inférieur à celui de leurs collègues masculins révélait tout simplement qu'elles continuent à gagner moins tout a long de leur existence, y compris et davantage encore, quand elles accèdent à de hautes responsabilités?
Et si l'on parlait d'argent sans complexes, mesdames?
Pardon, mesdames, je sais que ça nous parait vulgaire et que notre éducation ne nous a pas vraiment préparées à ça, que nous sommes plus attachées au secteur de notre métier et au sens que nous trouvons dans notre travail qu'à l'argent qu'il nous rapporte, mais il va bien falloir qu'à un moment ou à un autre, nous apprenions aussi à parler en euros.
Parce qu'elles sont bien sympathiques, nos Twingo décotées avec siège bébé à l'arrière et paquets de chips éventrés sur les sièges, même quand on est patronne ou ministre du genre à pas se prendre la tête. Mais d'une, ce n'est pas ce qui nous aide le mieux à être prise au sérieux et de deux, ce n'est pas d'être des filles cools qui ne cavalent pas après le pognon qui nous permettra d'être considérées enfin à l'égal des hommes.
Les hommes, riches d'argent et les femmes riches d'autre chose?
Car oui, que l'idée plaise ou non, l'argent reste un étalon et un signe de pouvoir et d'influence dans notre monde.
Mettre en avant son mode de vie simple et son patrimoine limité, comme ont eu tendance à le faire nos femmes ministres dans une contre-course à l'échalote (à qui sera la plus modeste), c'est aussi réfréner une part de son ambition. C'est ne pas vouloir dire clairement qu'on est moins riche d'argent que les hommes et que c'est sans doute le résultat d'une succession d'inégalités et d'injustices. C'est refuser d'assumer cette réalité et d'en faire son propre combat, à son profit comme à celui des autres femmes.
C'est en réalité préférer préserver une forme de fierté en disant implicitement que si l'on n'a pas autant d'argent que les hommes, c'est qu'on est riche d'autre chose : son désintéressement, sa simplicité, son naturel. Une intention louable, évidemment, mais qui finalement ne fait que renvoyer à une conception essentialiste des genres : aux femmes les valeurs morales, les symboles et la richesse immatérielle ; aux hommes la réalité concrète, les chiffres et la richesse matérielle.
Ce que disent les vélos, les mobs has been et les voitures décotées de nos femmes ministres, ce n'est pas : "Je suis plus proche des Français-es que mes collègues masculins". C'est plutôt "Ca me suffit".
Quand est-ce que les femmes, même les plus combattives et les plus haut placées, arrêteront donc de penser que ce qu'elles possèdent, en l'occurrence moins que les hommes, c'est déjà bien assez pour elles?