Cette semaine JM Blanquer, entre autres mesures issues du Grenelle de l’Education, a annoncé une enveloppe de 700 millions d’euros destinée à la "revalorisation" des enseignants. Alors que la somme semble importante, ces derniers font grise mine, oscillant entre colère et dépit. Certains répondront que les profs ne sont jamais contents et qu’ils ne se rendent pas compte de leurs privilèges. D’autres, ceux qui connaissent les dossiers, savent qu’il y a là bien des raisons pour les enseignants de fulminer.
Parce que ça a l’air de beaucoup d’argent, mais en fait non
Balancé comme ça en prime time, 700 millions d’euros, ça semble un gros paquet d’argent, et JM Blanquer ne s’est pas privé de valoriser ce qu’il présente comme un geste « inédit ».
Pour bien prendre conscience de ce que cela représente réellement, il faut d’abord examiner l’enveloppe en détail :
- 100 millions « permettront la montée en puissance des mesures déjà prises l’an passé » : il s’agit de la fameuse prime d’attractivité, ces 100 millions ne concernent qu’une minorité de profs, ils font juste partie de la revalorisation annoncée en 2020.
- 200 millions « seront consacrés à une protection sociale complémentaire de l’ensemble des personnels de l’Education nationale » ; on est assez sidéré que le ministre inclue cette mesure dans la revalorisation des profs, car il s'agit d'une mesure concernant tous les fonctionnaires à partir de 2022, suite à l'ordonnance publiée au JO le 18 février dernier instaurant la participation obligatoire des employeurs publics au financement de la complémentaire santé des fonctionnaires. Jusqu'ici en effet, l’état versait 1,60 € par an au titre de la mutuelle complémentaire, alors que les entreprises financent au moins 50 % de la mutuelle de leurs employés (de bien meilleure qualité…). Les profs toucheront donc environ 15 € par mois pour leur mutuelle, certes, mais comme tous les autres fonctionnaires.
- restent 400 millions, soit la même somme qu’en 2021 allouée à la revalorisation salariale, dont l’utilisation sera débattue en juin avec les syndicats.
Comme il y a plus d’1 million d’agents travaillant pour l’EN, dont 870 000 enseignants, on aura une idée de l’ordre de grandeur de la mirifique "revalorisation" promise par le ministre : les 400 millions correspondent à environ une trentaine d’euros par mois, à peine de quoi compenser l’inflation des deux dernières années.
Si on comprend bien ce qu’a dit le ministre, cet argent sera utilisé de la même façon qu’en 2021 : une partie seulement des profs en bénéficiera, les jeunes en priorité, sous forme de primes, le point d’indice restant gelé. Pour 2021, moins d’un tiers des profs sont concernés, les deux tiers restants n'ont droit qu’à la prime informatique de 12,50 € par mois (ça couvre à peu près les cartouches d’imprimante…).
69% des enseignants ont donc perdu du pouvoir d’achat en 2021, et ce sera visiblement la même chose en 2022.
A titre de comparaison, quand les policiers ont été revalorisés en 2019 et 2020, cela a concerné tous les effectifs, chacun a reçu entre 120 € et 150 € nets de plus par mois, plus une prime exceptionnelle de 300 € pour une partie, et en octobre 2020 une nouvelle série de mesures a été décidée en leur faveur. Si les profs étaient traités de la même manière que les policiers, ce ne sont pas 700 millions qu’il aurait fallu débloquer, mais plus de 2 milliards. (Sur les écarts de salaire entre professeurs et policiers, voir ce tableau édifiant).
La réalité est résumée dans cette infographie des Stylos Rouges : depuis l’arrivée de Blanquer rue de Grenelle, presque tous les profs ont perdu de l’argent.
Pourtant, si on écoute le ministre, les profs sont sans arrêt, et grassement, revalorisés.
Parce que les profs en ont franchement marre d’entendre leur ministre parler de "revalorisation historique"
Il faut reconnaitre un talent à JM Blanquer, c’est un roi de la communication. Depuis qu’il est arrivé rue de Grenelle, il ne cesse de clamer sur tous les plateaux TV, à longueur d’interview dans les journaux, qu’il donne des sous aux profs. Forcément le simple quidam, qui n’a aucune raison de suivre de prêt la réalité de l’EN, finit par avoir l’impression que les profs passent leur temps à être augmentés.
Le point d’orgue de cette stratégie de communication est l’annonce par JMB, en septembre 2019, d’une augmentation des profs de 300 € : tout le monde a cru que c’était 300 € par mois, alors que c’était par an, que c’était brut, et surtout que c’était l’argent des accords PPCR prévus par ses prédécesseurs et dont il avait bloqué le versement pendant un an !
JM Blanquer ne se contente pas de dire qu’il donne de l’argent, il explique à chaque fois à quel point ce sont des sommes faramineuses, historiques, inédites. On ne compte plus ces sorties emphatiques sur le sujet, devenues quasi-hebdomadaires :
« Nous sommes à l’aube d’une revalorisation historique des professeurs » ; « Ce ne seront pas des clopinettes, sur une vie ce sera plusieurs dizaines de milliers d’euros » ; « faire du prof français le professeur le mieux payé d’Europe, en mettant le paquet » ; « L’objectif est de rejoindre le peloton de tête des pays de l’OCDE », « C’est une avancée inédite »... De temps en temps, le premier ministre en rajoute une couche : « L’Education nationale, notre majorité l’a particulièrement choyée, et nous allons continuer de le faire ».
JM Blanquer se garde bien, en revanche, de reparler de la fameuse loi de programmation pluriannuelle, promise pendant des mois et qui aurait constitué une garantie de voir une vraie revalorisation s’installer dans la durée. Aux oubliettes.
L’historien de l’éducation Claude Lelièvre a parfaitement, sur son blog, démonté les éléments de langage du ministre Blanquer en montrant que sa "revalorisation" n’a rien d’historique ni d’inédit. Elle est même nettement en deçà de ce qu’avait, par exemple, obtenu Najat Vallaud-Belkacem : une « rallonge de 3 milliards d’euros pour le budget 2017, dont 814 millions pour la revalorisation des enseignants (500 millions pour les accords PPCR et 300 millions au titre de la hausse du point d’indice) », ceci sans « l’horizon dominant des primes » comme JMB. Le quinquennat Hollande s’est achevé par un dégel du point d’indice de 1,6 % (0,8 % en 2016, 0,8 % en 2017), c’est la seule fois en 11 ans que c’est arrivé. « Quant à l’adjectif "historique", poursuite Claude Lelièvre, il frise le ridicule en l’occurrence si on a à l’esprit ce qu’il s’est passé lors du deuxième septennat de François Mitterrand ». Entre 1990 et 1993, la dépense intérieure d’éducation dans le PIB était passée de 6,6% à 7,6%, soit 0,3% par an, c'est 10 fois plus que les 700 millions de Blanquer, qui représentent 0,03% du PIB.
La com’ blanquerienne fonctionne peut-être sur le grand public, qui pense qu’on choie les profs, peut-être aussi sur les futurs profs et sur les jeunes profs, cibles prioritaires de JMB (mais ces derniers ont-ils conscience qu’ils stagneront ensuite plus longtemps avant de rejoindre les salaires non revalorisés de leurs aînés ?), mais certainement pas sur la grande majorité des enseignants, qui ont leur fiche de paie sous les yeux tous les mois.
Parce que les profs continuent à être sous-payés
C’est un fait connu de tous aujourd’hui, tout le monde s'accorde sur le sujet : les profs français sont nettement moins payés que leurs homologues étrangers, mais aussi que les autres cadres A de la fonction publique et même que certains cadres B. On l'a déjà dit ici à maintes reprises, mais puisque le ministre répète à l'envi les chiffres qui l'arrangent, opposons-lui les chiffres de l'Insee, de l'OCDE, des économistes.
Contrairement à ce qu’a dit JM Blanquer cette semaine (et que la plupart des médias ont repris massivement sans vérifier), ce n’est pas 7% de moins que touchent les profs français par rapport à leurs collègues de l’OCDE, ça c’est en début de carrière, le fossé se creuse ensuite, au bout de 15 ans c’est entre 22 % et 27 %... Et on ne parle là que de la moyenne de l'OCDE, ce qui correspond à la Lettonie ou au Costa Rica (quand on compare avec des pays au niveau de vie équivalent, l'écart est encore plus grand).
Dans une note du 21 juillet 2020, l’Insee chiffrait précisément l’écart de salaire entre profs et autres cadres A de la fonction publique française :
La situation n’est pas nouvelle. Les économistes ont établi qu’entre 1981 et 2004, le pouvoir d’achat des profs a baissé de 20%, et estiment qu' « on peut dire sans doute aujourd’hui que les enseignants ont perdu un tiers de leur pouvoir d’achat par rapport 1981 ».
La comparaison avec l’ensemble des salariés sur cette période est édifiante :
Nous revient alors en mémoire cette déclaration d’E. Macron, en octobre 2019 : « Si je voulais revaloriser les enseignants, c’est 10 milliards. On ne peut pas mettre 10 milliards demain, c’est vos impôts, hein ! », avait-il dit en souriant, devant un auditoire complice.
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