Surprise, à la lecture de certains articles qui ont suivi la parution annuelle des « Regards sur l’éducation » de l’OCDE. Alors même qu’il était enfin entré dans les esprits d’à peu près tous que les profs français gagnent moins que leurs collègues étrangers, voici que plusieurs médias affirment le contraire ! « La moyenne des salaires des enseignants est plus élevée qu’ailleurs » (Les Echos), « Non, les enseignants français ne sont pas « bien moins bien payés que dans la moyenne des pays de l’OCDE » (le JDD), « Surprise, les profs français gagnent plus que leurs homologues de l’OCDE » (Capital).
En face, la majorité des médias explique exactement l’inverse, y compris ceux traditionnellement peu tendres avec les profs : « Les profs français sous-payés par rapport à la moyenne de l’OCDE » (Le Point), « Salaire des profs, la France sous la moyenne de l’OCDE » (Le Figaro), « En France, les enseignants victimes d’un "véritable déclassement salarial" » (France 24)…
Comment expliquer cette différence d’interprétation ? Et au final, les profs français gagnent-ils plus, ou moins que leurs homologues ?
Salaire statutaire et salaire effectif
La cause de cet écart d’interprétation est simple : tout dépend de ce qu’on considère. Dans son rapport, l’OCDE compare d’une part le salaire statutaire (les grilles salariales), d’autre part le salaire effectif, incluant primes et indemnités diverses. Le salaire statutaire des profs français est nettement inférieur à la moyenne de l’OCDE : ainsi un prof français gagne en élémentaire 30 872 $ en début de carrière contre 33 058 $ en moyenne dans l’OCDE, un prof de collège 32 492 $ contre 34 230 $ et un prof de lycée 32 492 $ contre 35 859 $. Après 15 ans de service, l’écart augmente pour les profs d’élémentaire (37 700 $ contre 45 947 $ en moyenne dans l’OCDE), au collège (39 320 $ contre 47 675 $) et au lycée (39 320 $ contre 49 804 $). A ce stade de carrière, le salaire d’un prof français est inférieur de 22% à celui pratiqué dans l’OCDE. Il faut atteindre l’échelon maximum en fin de carrière pour voir l’écart se réduire. Mais il faut insister sur un point : une minorité d’enseignants atteint ce dernier échelon.
Si on compare le salaire effectif, alors les profs français se replacent sensiblement par rapport à leurs homologues : un prof d’élémentaire reste en dessous de la moyenne OCDE (39 426 $ en France contre 40 580 $), mais les profs de collège et de lycée se situent un peu au-dessus : 45 375 $ au collège contre 42 553 $ et 51 007 $ au lycée contre 45 803 $ ailleurs.
C’est cette façon de comparer les salaires qui explique les titres des Echos, du JDD, de Capital (qui ne reprend d’ailleurs que le contenu des Echos). Sans être erronée, elle pêche par omission et approximation et ne rend pas compte de la réalité.
Salaire = primes + pension + sécu + retraite… ??
Il faut faire quelques remarques méthodologiques, et expliquer ce que l’OCDE entend par « rémunération du personnel enseignant » (page 370 du rapport).
- les salaires exprimés sont des salaires bruts, exprimés en dollars (et non en euros, ainsi que certaines rédactions paresseuses et / ou négligentes les ont présentés), avant impôts, et comprenant cotisations retraite, sécu, assurance maladie… L’OCDE inclut donc notre protection sociale dans le salaire indiqué ;
- les salaires incluent « les dépenses au titre de la retraite (budget dépensé ou imputé par les employeurs ou tiers pour financer les pensions de retraite du personnel de l’éducation », or on ne prend jamais en compte la part employeur des pensions retraite quand on parle des salaires en France ; si on faisait la même chose avec le salaire de n’importe quel salarié, il serait bien étonné de voir qu’il touche autant !
- les salaires sont exprimés en $ PPA (parité de pouvoir d’achat), c’est-à-dire qu’un calcul est appliqué aux salaires afin de lisser les différences de pouvoir d’achat selon les pays. Inutile donc de les comparer avec de vraies fiches de paie et aberrant d’annoncer comme trop de médias « le salaire des profs est… » ; on a ici affaire à des salaires « fictifs » ou « virtuels » destinés à être comparés entre eux.
Une fois tout ceci posé, on comprend bien qu’il ne faut surtout pas : 1. Présenter les salaires annoncés par l’OCDE comme des salaires réellement perçus par les profs français. 2. Comparer ces salaires au salaire perçu par d’autres français, car il faudrait leur appliquer les mêmes calculs que ceux appliqués par l’OCDE aux salaires des profs.
Comparer avec un prof slovène, vraiment ?
Il faut aussi se demander à qui on est réellement comparé. Parmi tous ces pays qui figurent dans les comparatifs de l’OCDE, on trouve des pays comme le Brésil, le Chili, le Costa Rica, la Slovénie, la Pologne, la Hongrie, le Mexique, la Lettonie… Si les comparaisons apportent toujours leur lot d’enseignements, elles ont aussi leurs limites quand on compare ce qui n’est pas forcément comparable. Si on veut vraiment comparer pertinemment, alors il faut comparer la France à des pays ayant, par exemple, un PIB ou un salaire moyen relativement similaires à ceux de la France comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Angleterre, la Finlande etc. Et là, on se rend compte que l’écart entre les profs français et les autres (à part l’Angleterre, peut-être) est très important…
Pour s’en tenir aux salaires effectifs :
Instit français 39 426 $ PPA ; Allemand 68 747 $ ; Autriche 58 130 $ ; Finlande 46 300 $ ; Angleterre 41 462 $ ; Belgique 50 864 $...
Prof de collège français : 45 375 $ PPA ; Allemand 75 904 $ ; Autriche 67 894 $ ; Finlande 51 194 $ ; Angleterre 46 858 $ ; Belgique 49 426 $...
Prof de lycée français : 51 007 $ PPA ; Allemand 80 483 $ ; Autriche 74 920 $ ; Finlande 57 779 $ ; Angleterre 46 858 $ ; Belgique 62 685 $...
Les pays de l’OCDE où les profs sont payés comme les profs français sont la Slovénie, Israël, le Costa Rica… (seul pays comparable, l’Italie, classé loin derrière la France à PISA). Dire qu’on est dans la moyenne de l’OCDE signifie qu’en France les profs sont payés comme au Costa Rica et en Slovénie.
Puisqu'on parle des pays avec lesquels on compare les salaires, il faut noter avec Jacques Pézet, de Libération, que s'agissant des salaires effectifs, "les moyennes de l’OCDE n’ont pas été calculées sur le même nombre de pays, puisque le Canada, la Colombie, l’Irlande, le Japon, la Corée, le Luxembourg, le Mexique, l’Espagne et la Suisse n’ont pas fourni de données pour le salaire effectif cette année. L’absence de ces pays très généreux peut donc conduire à ce que la moyenne OCDE soit tirée vers le bas, et donc que la moyenne française apparaisse comme supérieure". Si ça se trouve, avec les chiffres de ces pays, les salaires des profs français repassaient sous la moyenne de l'OCDE et il n'y avait pas polémique... Comme quoi, une polémique tient à peu de choses...
Évolution des salaires : les profs français parmi les plus lésés
Une autre manière de comparer est de considérer l’évolution des salaires. Entre 2000 et 2018, le salaire statutaire a augmenté partout sauf en Angleterre (-3%), en France (-6%) et en Grèce (-17%, vive la crise). Parallèlement, entre 2005 et 2018 les salaires ont augmenté en moyenne de 10 % en primaire dans l’OCDE, 9 % au collège et de 6% au lycée.
Sur la durée, les profs français sont donc particulièrement lésés, comparativement à leurs collègues de l’OCDE.
Un prof d’économie cité par le Café pédagogique, Bernard Schwengler, a étudié le salaire des profs français depuis 1982. Ses travaux montrent qu’un prof certifié ayant dix ans d’ancienneté a perdu 20% de salaire sur cette période, qu’un prof des écoles a perdu environ 15% depuis 1990. Pire, se fondant sur les données de la DGAFP, Schwengler établit que les cadres de la fonction publique comme les magistrats ou les ingénieurs des grands corps ont vu leur salaire augmenter de 24% entre 1982 et 2009, celui des administrateurs civils de 13%... Cela est principalement dû au fait que les primes ont été multipliées par 2,4 pour ces professions sur la période, deux fois plus que pour les profs, qui touchent 5 fois moins de primes que les autres cadres en 2009.
On pourra enfin comparer le salaire effectif (primes comprises) perçu par un prof à celui perçu dans le privé par un salarié de formation similaire : en moyenne en Europe un prof de primaire touche 85% du salaire perçu par un salarié, en France c’est 78%.
Conditions de travail : les profs français enseignent davantage, dans des classes plus chargées
Bien entendu, quitte à comparer, il faut aussi dire un mot des conditions de travail des profs dans l’OCDE, notamment de deux indicateurs majeurs que sont le nombre d’élèves par classe et le nombre d’heures d’enseignement.
Le nombre d’élèves par classe est de 21 en moyenne en élémentaire dans l’OCDE (Allemagne 21, Finlande 20, Autriche 18, Angleterre 27) contre 24 élèves en France. Au collège en France il y a 25 élèves, en moyenne dans l’OCDE seulement 23 (Allemagne 24, Finlande 19, Autriche 21, Angleterre 23).
Le nombre d’heures d’enseignement en primaire est en moyenne de 783 par an dans l’OCDE (Allemagne 721, Finlande 651, Autriche 705) contre 864 en primaire en France. (Au passage, les profs français sont réputés avoir beaucoup de vacances, en réalité c’est à peine plus que la moyenne de l’OCDE, 36 semaines de classes contre 37 ou 38).
Ces indicateurs poussent à en considérer un autre : le coût moyen d’un enseignant par élève. En primaire, le coût salarial d’un enseignant par élève est de 1915 $ en France contre 2784 $ en moyenne dans l’OCDE (4679 $ en Allemagne, Finlande 3087 $, Autriche 4525 $, Belgique 4013 $). Au collège, un élève français coute 2843 $ contre 3380 $ dans l’OCDE (6006 $ en Allemagne, Finlande 5112 $, Autriche 6299 $, Belgique 5775 $) ; au lycée 2993 $ en France, contre 3274 $ dans l’OCDE (Autriche 5635 $, Belgique 6200 $). Un prof français coute donc deux à trois fois moins cher que ses homologues, de ce point de vue.
Le mal est fait…
En résumé, les profs français touchent donc nettement moins que les profs des pays aux économies comparables, tout en ayant davantage d’heures d’enseignement et davantage d’élèves dans leurs classes. Ils touchent également moins que les cadres de la fonction publique et que les salariés du privé à même niveau de formation. Parmi les profs, les instits sont de loin les moins bien lotis.
Le plus étonnant, dans cette affaire, n’est pas que le JDD, les Echos & co aient titré de manière biaisée et parcellaire sur les salaires des profs français, mais qu’ils aient découvert que l’OCDE ne comparait pas seulement les salaires statutaires mais aussi les salaires effectifs. En effet, le tableau présentant les salaires effectifs des profs était déjà présent dans l’édition 2018 des Regards sur l’éducation. Pourquoi alors fait-il florès cette année ? L’explication est simple : le rapport complet de l’OCDE faisant 539 pages, chaque pays a droit à une « note » relative au pays, qui met en exergue quelques points saillants parmi d’autres. Pour la France, cette note fait 9 pages, et cette année, concernant le salaire des enseignants, l’accent est mis sur le salaire effectif, rehaussé d’un intertitre : « Excepté au niveau élémentaire, les salaires effectifs des enseignants sont plus élevés que la moyenne de l’OCDE »… Peu de journalistes sont spécialistes en éducation et parmi ceux qui le sont, peu lisent le rapport complet, beaucoup se contentent de la « note France » remise en conférence de presse. CQFD.
Une chose est sûre : le mal est fait. L’idée que les profs français gagnent plus qu’ailleurs a fait son chemin cette semaine. Cela tombe franchement à point nommé pour le ministère, alors même qu’une vraie bataille s’est engagée avec les enseignants sur les salaires. C’est toujours plus simple d’imposer ses vues quand on a l’opinion publique avec soi…
Nota : histoire de voir jusqu'où l'incompétence et l'ignorance peut aller, et d'envisager les dégâts causés dans l'opinion publique, je vous recommande cette vidéo de LCI où un expert nous dit qu'un prof de lycée gagne 3850€ en moyenne et un instit 2975€. Si si. C'est là.
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