Il y a quelques jours devant l’Assemblée, le ministre JM Blanquer a une fois encore lié revalorisation des enseignants et redéfinition du métier, dans la droite ligne de ce que le président Macron a annoncé ces dernières semaines. Mais, peut-on vraiment espérer être revalorisé, quand on attend toujours d’être valorisé ?
Dernières nouvelles de la revalorisation
A l’Assemblée, mercredi 23 octobre, le ministre a indiqué que « la revalorisation sera aussi dans le budget 2020, avec la mise en œuvre du PPCR, le GVT, la défiscalisation des heures supplémentaires, l’indemnité REP+ », laissant ainsi penser qu’un effort serait fait pour revaloriser les enseignants. Bon, cela mérite qu’on s’y arrête :
- la mise en œuvre du PPCR : il s’agit du 3ème volet des accords passés sous le gouvernement Hollande, et que le présent gouvernement s’est empressé de reporter d’un an à son arrivée (économisant ainsi plusieurs centaines de millions d’euros sur le dos des enseignants) ; le ministre parle donc d’une somme que les profs devraient déjà toucher depuis un an…
- le glissement vieillesse technicité (GVT) n’est ni plus ni moins que la hausse des salaires automatique liée à l’ancienneté, elle est systématiquement budgétée.
- la défiscalisation des heures supplémentaires est toujours présentée comme une mesure en faveur du pouvoir d’achat des profs, mais d’une part il ne s’agit que des profs du secondaire (on n’a pas d’heures supp’ en primaire), elles ne font donc qu’aggraver les écarts entre enseignants, d’autre part elles n’existent que pour masquer les suppressions de postes dans le secondaire et sont donc financées par celles-ci (enfin, il y aurait beaucoup à dire sur ces « heures supplémentaires obligatoires » : puisqu’elles sont obligatoires, ne devraient-elles pas être comptabilisées comme heures de service ?)
- quant à l’indemnité REP, rappelons qu’il s’agit d’une promesse de campagne du candidat Macron, qu’elle devait être de 3000 € annuels, et qu’aucun prof d’éducation prioritaire n’a encore touché une telle somme…
Ceci précisé, la véritable information, c’est qu’il n’y aura donc pas d’autre forme de revalorisation en 2020 (les 30 millions restant seront alloués à une amélioration du taux d’accès à la hors-classe des enseignants du premier degré, nettement inférieur à celui du second degré). Pas un sou de plus n’est prévu, et on est même sans nouvelle de la fameuse augmentation de 300 € brandie avec force gesticulations sur les plateaux télés à la rentrée (en réalité, 20 € nets en moyenne par mois). Verra-t-on un jour cette obole grossir nos fiches de paie ?
…. Mais, me direz-vous parce que vous avez de la mémoire, qu’attendais-tu, avais-tu oublié ce qu’a dit le président Macron début octobre ? Non, on n’a pas oublié (on ne risque pas) : « Si je voulais revaloriser [les enseignants], c’est 10 milliards. On ne peut pas mettre 10 milliards demain, c’est vos impôts, hein ». Cela s’appelle une fin de non-recevoir. Le prof français (et particulièrement l’instit) a beau être mal payé par rapport à ses collègues étrangers, par rapport aux autres fonctionnaires, il semble plus urgent que jamais, à l’Élysée et rue de Grenelle, de ne surtout pas revaloriser le métier. Le mieux étant, pour cela, de commencer par ne pas le valoriser.
Peut-il y avoir revalorisation sans valorisation ?
Valoriser : « donner, faire prendre de la valeur à quelque chose ; donner une importance accrue à quelque chose, le mettre en valeur ». Depuis deux ans, dans les discours et plus encore dans les faits (car les discours savent se teinter de faux-semblants, dans l’école de la Confiance), le moins qu’on puisse dire est que les enseignants ne se sentent guère valorisés. Quelle valeur est accordée à ce que nous faisons au quotidien sur le terrain ? Comment est-on mis en valeur, aux yeux de la société ? Quelle valeur est accordée à la parole enseignante, à celle de leurs représentants, snobés voire ignorés, aux corps intermédiaires court-circuités ?
Le dernier épisode en date reste celui des retraites : quiconque s’est penché sur le projet de réforme du rapport Delevoye sait que les profs (et parmi eux les instits, toujours) seront les dindons de la farce. Le rapporteur lui-même, comme gêné de ce qui se prépare, plaide pour un « new deal ». Ce qui se prépare ? Une baisse qui tourne autour de 600 € par mois en moyenne selon les estimations – 7 200 € annuels nets, monsieur le ministre, cela aurait mérité qu’on se penche dessus, non ? L’exécutif avait la possibilité de montrer qu’il considère les enseignants, qu’il est conscient de leur sort à venir, il aurait même pu se saisir de l’occasion pour montrer comme leur mission est importante, et ainsi les revaloriser, si ce n’est au sens propre, au sens figuré (« redonner du prestige, une valeur plus grande à quelque chose »). Mais non. Au contraire il est fait peu de cas de la population enseignante, l’exécutif joue une partition très claire : ce sera donnant-donnant, mais les profs seront les seuls à donner. Puisqu’ils perdront un tiers de leur pension, ils travailleront davantage a dit le président, qui a même brandi les vacances en mode chantage, menaçant : si vous cherchez la bagarre sur la retraite, un sujet où vous ne serez jamais populaire, nous vous renverrons sur le terrain des vacances, un sujet où vous l’êtes encore moins.
La réforme des retraites en dit long sur la valorisation des profs, sur la valeur accordée à leur travail, eux qui seront les plus lésés de tous les français (avec les infirmières et les aides-soignantes), sans aucune contrepartie.
Reconnaissance présuppose connaissance
Mais cessons de parler d’argent. Évoquons ce qui court sur tous les réseaux sociaux, ce qui sourd de tous les forums de discussions : le manque de reconnaissance (« action de reconnaitre quelque chose comme vrai ou réel »). Reconnaissance d’un métier complexe, abrasif, épuisant souvent, dans lequel la grande majorité des profs s’investit en temps, en énergie bien au-delà de ce que monsieur-tout-le-monde peut concevoir. On aurait aimé un ministre, un président, qui reconnaissent cela, qui disent les efforts, l’investissement, qui décrivent au grand public la réalité du terrain, le vrai d’une profession, ou au moins, qui l’entendent, qui l’écoutent. Car, pour reconnaitre, il faut d’abord connaitre. Or, quelle reconnaissance attendre, quand tout montre qu’au ministère on n’a pas pris connaissance (« action, fait de comprendre, de connaitre les propriétés, les caractéristiques, les traits spécifiques de quelque chose ») de ce que vivent les profs sur le terrain.
On aurait aimé, nous, croire en la déclaration de confiance faite d’emblée. On aurait aimé la reconnaissance de notre professionnalisme, de notre professionnalité, de notre savoir-faire ; au lieu de cela, on nous a collé des guides ultra-prescriptifs infantilisants et nous déniant toute compétence, toute créativité, toute pertinence, les accompagnant de formations le doigt le long de la couture.
On aurait aimé être entendus, quand sur le terrain beaucoup ont dit leur perplexité face à des évaluations nationales mal fagotées, on aurait aimé que notre expertise pédagogique soit reconnue, mais on finit par douter qu’elle soit simplement connue ; car au lieu de cela, les sceptiques ont été menacés, intimidés par leur hiérarchie, par l’institution.
On aurait aimé que le débat soit possible, que notre liberté pédagogique prévale, qu’il soit permis de dire notre désaccord sur tel ou tel sujet, telle ou telle mesure, non par esprit d’obstruction, mais par conviction réelle, pour conclusion de nos réflexions pesées et soupesées, de nos argumentaires étayés et affutés au fusil de nos compétences ; au lieu de nous reconnaitre comme interlocuteur, possesseur d’une parole experte née de la praxis, de nous reconnaitre comme contradicteur avisé, au lieu de tout cela le ministère et les législateurs nous a collé un devoir de réserve accru en article 1 de la « Loi pour l’école de la confiance ». Tais-toi.
Enfin dernièrement, redisons-le, car c’est toute une profession qui est marquée au fer rouge, la brulure est encore fumante : les multiples suicides de profs cette année 2019 auraient pu constituer le début d’une autre discours, d’une réelle campagne de ressources humaines, d’une considération vraiment soucieuse de ses troupes, de la part de l’institution. On attendait la reconnaissance des difficultés quotidiennes de ce métier, la reconnaissance de sa part sombre, obscure, cela aurait été le signe qu’on se préoccupe vraiment des conditions d’exercice du métier d’enseignant, du bienêtre des profs et de leur santé, physique et mentale, qu’on les reconnait car on les connait. Au lieu de quoi, non seulement l’institution a tout fait pour minimiser les suicides, pour différer la parole officielle, désincarner les disparitions, ne pas nommer les disparus, mais elle a même fait pression sur les collègues pour qu’ils se taisent, pour qu’ils censurent les lettres des disparus ; l’institution a même été jusqu’à imputer certains suicides à des problèmes d’ordre privé (il aura fallu la prise de parole des proches pour rétablir la vérité), plutôt que de reconnaitre que c’est le métier de prof qu’il faut considérer. Énième rendez-vous raté, l’institution ne veut pas lever le voile sur les suicides et les burn out dans ses rangs, véritables tabous de l’EN, l’institution se garde bien de donner des chiffres qu’elle a pourtant en sa possession, ainsi que l’a confirmé le ministre devant le Sénat le 9 octobre. Ici, on arrive au bout, derrière ce manque de reconnaissance, ce déni de connaissance, il n’y a plus rien.
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