Ce que vous avez manqué pendant les vacances (ne va pas beaucoup vous plaire)

@Rahul Narain / creative commons

On se souvient que l’année dernière, le ministre de l’Education nationale avait fait modifier, en pleines vacances d’été et à la va-vite, les programmes de primaire. Cette année encore, deux dossiers importants, voire majeurs, ont connu un développement conséquent durant les congés estivaux. D’un côté, les vacances scolaires elles-mêmes, que le ministre pourra désormais modifier quasiment à sa guise, de l’autre, les retraites, dont la réforme à venir ferait des enseignants « les grands perdants », selon une presse unanime.

Vacances scolaires : plus besoin de légiférer pour les modifier

On a appris mi-juillet que le premier ministre avait saisi, le 21 juin, le Conseil constitutionnel à propos d’un article de loi concernant les congés scolaires. Il s’agit de l’article L.521-1 du code de l’éducation, que le Conseil constitutionnel a modifié par une décision rendue le 11 juillet. Désormais, si la durée de l’année scolaire (36 semaines) reste du ressort de la loi, l’organisation des congés scolaires devient réglementaire (un recours à la loi n’est plus nécessaire) et peut être modifiée par un simple décret. Le ministre a donc les mains libres sur ce sujet, selon une méthodologie dont on commence à avoir l’habitude et qui permet de s’affranchir à la fois des débats avec la représentation populaire et des consultations avec les corps intermédiaires. On objectera que le Conseil supérieur de l’éducation peut se saisir de ce sujet et donc se prononcer contre, mais le peu de cas que fait le ministre des avis du CSE depuis deux ans en dit suffisamment sur l’impuissance de ce Conseil.

Bien sûr, peu de bruit sur cette décision du Conseil constitutionnel dans les médias, à part dans le Café pédagogique et un excellent papier dans Le Monde. Le gouvernement n’a pas communiqué sur cette décision, on ne sait absolument pas sur quoi cette possibilité offerte au ministre va déboucher. Sur les réseaux sociaux les enseignants se perdent en conjectures : faut-il voir le lobby du tourisme derrière tout ceci ? Doit-on imaginer un nouveau zonage durant les vacances l’été ? Le raccourcissement de certaines périodes de congés au profit d’autres ? Le manque d’information officielle participe largement de ce flot d’hypothèses (aisément qualifiable ensuite de fake news et de bobards).

Tout serait plus simple si l’on savait pour quelles raisons le gouvernement a demandé un tel changement au Conseil constitutionnel, et ce que le ministre de l’EN a exactement en tête. Car, comme le rappelle le Café pédagogique, JM Blanquer a plusieurs fois répété depuis son arrivée rue de Grenelle qu’il fallait « se poser la question des vacances, qu’il s’agisse de l’été ou des vacances intermédiaires », sans en dire plus…

Sur le fond, sans doute le calendrier peut-il être revu, mais sera-ce dans l’intérêt de l’enfant ? Et sur la forme, pourquoi se passer du recours à la loi ? Si le ministre songe à de telles modifications depuis deux ans, pourquoi n’en a-t-il pas été question dans la loi « pour l’école de la confiance » votée au printemps dernier ? Si « il n’y a pas de projet en chantier », comme l’assure le ministère, pourquoi faire cette demande au Conseil constitutionnel ?

Allez, petit pronostic personnel : une semaine seulement de vacances à la Toussaint et trois semaines à Noël. Pour commencer.

Retraites : entre 250,00€ et 450,00 € de perte par mois ?

Sur ce sujet il faut être clair : rien n’a encore été voté, la loi sur la réforme des retraites le sera vraisemblablement au printemps 2020 (après les municipales…). Mais une première pierre a été posée le 18 juillet dernier quand le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a rendu ses préconisations au gouvernement dans un rapport qui devrait servir de matrice à la loi. Outre le recul du départ à la retraite à taux plein à 64 ans, l’idée-force du rapport est de mettre en place un dispositif unique et d’aligner le public sur le privé, en calculant la retraite sur l’ensemble de la carrière et non plus, comme c’est le cas aujourd’hui pour les fonctionnaires, sur les 6 derniers mois de salaire où le traitement est le meilleur (25 dernières années pour le privé).

Comme par ailleurs le taux de cotisation retraite des fonctionnaires augmente régulièrement depuis des années (c’est l’une des explications aux baisses de salaire, chaque mois de janvier) pour s’aligner en 2020, le Président Macron peut déclarer : ""Ce sera la vraie fin des inégalités entre fonctionnaires et salariés du privé".

Ici, il faut sans doute rappeler que le mode de calcul fondé sur les 6 derniers mois est censé compenser la relative faiblesse des salaires du public comparativement au privé et la lente évolution durant la carrière. Par ailleurs, ainsi que l’explique bien cet article datant de 2013, cela fait un moment que « la retraite des fonctionnaires n’est plus si avantageuse que ça ».

En établissant une apparente équité, la réforme proposée introduira des réelles inégalités pour le public, et singulièrement, les enseignants. C’est précisément pour cela que le rapport Delevoye, bien conscient de cet aspect, propose d’intégrer les primes dans le calcul de la retraite des fonctionnaires afin de limiter la perte de pension. Une compensation pas idiote, puisque la part des primes dans le traitement des fonctionnaires est en moyenne de 20% (il va même jusqu’à 41,8% pour les cadre A+ et 31,4% pour un policier catégorie active). Certains fonctionnaires verraient même leur retraite augmenter avec la réforme grâce à cette insertion des primes dans le calcul de la retraite.

Mais pas les profs, dont la part des primes dans le salaire brut n’est que de 10,4% d’après le dernier bilan social du MEN. Et parmi les profs, il faut encore distinguer entre ceux du secondaire (13,8%) et ceux du premier degré (6,1%). Autant dire que la prise en compte des primes dans le calcul de la retraite ne sera pas d’un grand secours pour les profs, particulièrement les instits. Selon la CGT, qui a fait toute une série de simulations, la perte de pension pourrait s’élever à 450,00€ par mois pour un prof certifié ! La FSU estime quant à elle la perte à 250,00€ par mois.

La presse, pour une fois unanime, estime que les enseignants seront les grands perdants de la réforme. On savait depuis un moment que la réforme des retraites irait dans ce sens (lire ici), voilà, ça y est, ça se précise et c’est dans les mois à venir que cela va se jouer.

On s’attend visiblement à ce que les enseignants réagissent, du côté du gouvernement. Dans son rapport Delevoye demande un geste en faveur des enseignants, et le Président Macron avait anticipé en déclarant en mai dernier qu’il allait revaloriser les salaires des enseignants « en vue de la réforme des retraites » et en répétant ce 26 août sur France 2 : « il n’y aura pas de réforme des retraites sans une transformation des conditions du métier d’enseignant ».

« Augmentation de 300 € » : l’imposture

C’est sans doute avec ceci en tête que le ministre, omniprésent en cette semaine de reprise des enseignants, lâche un chiffre qui va tourner en boucle sur les chaines d’info continue, affirmant que les enseignants allaient être augmentés « en moyenne de 300 € en 2020 ». Certains enseignants s’enflamment, pensant qu’il s’agit d’une augmentation mensuelle, d’autant plus légitimement que le ministre omet sur certaines chaines de dire qu’il s’agit de 300 € annuels. Et bruts.

En moyenne donc, un enseignant verra son salaire augmenter d’environ 25 € bruts chaque mois, soit 20 € nets… Cela représente autour d’1% de salaire, cela ne couvrira même pas l’inflation de 1,3% prévue en 2020. Cette minuscule augmentation n’empêchera donc pas une nouvelle baisse du pouvoir d’achat des profs en 2020, d’autant qu’il faudra faire avec une nouvelle augmentation des cotisations retraites en janvier.

La somme est tout à fait dérisoire, surtout quand on sait que le salaire des instits a perdu -10% entre 2005 et 2017, pendant qu’il augmentait en moyenne de +8% dans l’OCDE.

Le coup de force / coup de com’ du ministre est de faire croire que le gouvernement fait un gros effort envers les enseignants, alors même que cette augmentation résulte d’accords passés sous la précédente majorité, accords que gouvernement actuel s’est empressé de geler à son arrivée, reportant d’un an les augmentations prévues et bloquant ainsi le pouvoir d’achat des enseignants. Autrement dit, le ministre présente comme un geste substanciel le fait de donner aux enseignants en 2020 une somme modique qu’ils devraient déjà toucher depuis cette année et qui avait été décidée par son prédécesseur !

A voir la réaction des experts en tout et en rien que sont les chroniqueurs des chaines infos, épatés par ce geste, on comprend que l’annonce était destinée aux mass-médias et au grand public, lequel aura sans doute malheureusement retenu que tous les profs gagneront 300 € de plus chaque mois à partir de 2020…

En revanche si le ministre comptait rétablir une confiance mise à mal avec les enseignants, qui eux connaissent leur fiche de paie, c’est raté.

Sur ce, il me reste à vous souhaiter, chers collègues du peuple colibri, une excellente rentrée. La France compte sur vous.

 

Nota : sur la perte de pension des enseignants à venir, on pourra regarder ce reportage de France 2.

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