Il y a quelques jours je suis retombé par hasard sur un rapport que j’avais parcouru rapidement lors de sa publication en décembre 2016. Il s’agit d’un rapport sénatorial sur les heures supplémentaires dans le second degré (forcément, ça n’existe pas en primaire) dont la lecture laisse peu planer le doute : l’idée est d’établir que les heures supp’ coutent une fortune dont on pourrait facilement faire l’économie si les obligations de service des profs étaient revues – en gros, à quoi bon payer les profs pour des heures de travail qu’il suffit de leur imposer ?
Derrière la question des heures supplémentaires, c’est donc celle de l’annualisation du temps de travail des profs qui est visée. Le rapport propose très clairement d’ « assouplir le cadre de gestion des enseignants en prévoyant une annualisation de leur temps de travail », car « la définition du temps d’enseignement sur une base hebdomadaire est à l’origine d’importantes rigidités. Le temps d’enseignement statutaire des enseignants français est en outre inférieur en moyenne à celui des autres pays de l’OCDE ».
Pour le rapporteur Gérard Longuet (LR), qui s’appuie sur l’article 2 du décret du 20 août 2014 relatif aux obligations de service des profs du secondaire, le temps de travail annuel d’un enseignant doit être le même que pour n’importe quel fonctionnaire, à savoir 1607 heures. « En faisant l’hypothèse où une heure d’enseignement nécessiterait une heure de travail supplémentaire, (…) le temps de travail consacré par les enseignants aux heures de classe, à leur préparation et à la correction des copies s’élève à environ 1296 heures pour les certifiés (36 semaines x 18 heures de cours x 2) et 1080 heures pour les agrégés (36 semaines x 15 heures de cours x 2). Au total, le «réservoir » théorique d’heures disponibles s’élève donc à 311 heures pour les certifiés et à 527 heures pour les agrégés. Afin d’apporter de la souplesse au cadre actuel, il conviendrait de permettre aux chefs d’établissement de «puiser» dans ce stock d’heures en fonction des besoins naissant en cours d’année scolaire ».
Je laisse aux collègues de secondaire le soin de commenter, il faut que je me penche sur mon propre cas : en tant que professeur des écoles, le calcul est rapide : 1 heure de préparation pour 1 heure de classe, vu que j’ai 864 heures de classe par an, auxquelles il faut ajouter celles d’APC (le soutien, 60 heures), soit 924 heures devant élèves, je multiplie par deux et j’obtiens 1848 heures annuelles. Cool !, me dis-je, si on annualise mon temps de travail, je vais pouvoir présenter la note en heures supp’ à Longuet : 241 heures à me payer ! De quoi m’offrir de jolies vacances (car il ne suffit pas d’en avoir plein, il faut les financer, hein), merci monsieur Longuet !
Mais d’après le Café Pédagogique, le sénateur de la Meuse aurait aussi déclaré : « Autant dans le secondaire on peut imaginer un écart entre le face à face pédagogique et les heures de travail du fait du temps de préparation, autant on peut estimer au primaire que cet écart est moins important. On a une marge de manœuvre entre les 864 heures effectuées par les professeurs des écoles et les 1607 heures dues ». Ah. Bon. Mais "moins important", de combien, monsieur le sénateur ? Quelle "marge de manœuvre », exactement ? Comment calculer, alors ?
Les seuls chiffres sur lesquels s’appuyer sont ceux du ministère, il s’agit d’une publication de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) datant de 2010, « Le temps de travail des enseignants du premier degré public », fondée sur une enquête de l’INSEE. On peut y lire ceci :
En effet, le sénateur Longuet a bel et bien raison, il faut lui concéder cela, la base de calcul "1 h de prépa pour 1 h de classe" n’est pas correcte. Prenons donc les chiffres annoncés ici : 44 h 07 de travail hebdomadaire (au passage, constatons que 9 h 30 sont effectuées à domicile, et donc à peine moins de 35 heures à l’école, je dis ça pour ceux qui pensent qu’un instit devrait travailler 35 heures par semaine à l’école : c’est déjà le cas).
Je repose ma multiplication : 44 h 07 min x 36 semaines de classe = 1588 h 12 min.
Ici, il faut préciser que les 108 heures annuelles dues en plus de la classe (60 heures d’APC + réunions diverses, animations pédagogiques, rendez-vous avec les parents, etc., à supposer bien sûr que ces 108 heures sont respectées, on y reviendra bientôt…) sont prises en compte.
Mais il reste un dernier calcul à faire : le temps travaillé durant les vacances (je renvoie ceux qui croient encore qu’un prof ne fait rien pendant ses vacances à cet excellent article de Louise Tourret). Voici ce que dit la note de la DEPP :
Vous lisez comme moi, 20 jours de congé sont consacrés chaque année au travail pour l’école. Bon, allez, concédons (encore) qu’une journée de travail en vacances soit plus courte qu’une journée de travail ordinaire. Disons, 5 heures quotidiennes (personnellement, je travaille plus d’heures, mais sur moins de jours, chacun fait comme il veut). 20 x 5, chouette, enfin un calcul facile : 100 heures.
TOTAL : 1688 heures et 12 minutes (ça, c’est en moyenne, bien sûr, un instit qui débute travaille bien plus, à vue de nez il dépasse les 2000 heures). Soit encore 81 heures et 12 minutes que monsieur le sénateur va devoir me payer en heures supp’, pour les 12 minutes, il se débrouille, je ne suis pas d’avis de lui en faire cadeau, il n’avait qu’à pas commencer avec ses calculs mesquins. Tiens, c’est sans doute le bon moment pour rappeler que le temps de travail annuel pour 35 heures par semaine sur 47 semaines est de 1645 heures.
Bien sûr, monsieur Longuet me rétorquera que l’enquête de l’INSEE repose sur les déclarations des enseignants et sur rien d’autre. Soit. Passons sur l’arrière-pensée (les profs mentent) et admettons (que de concessions, décidément !) que les instits, dans un élan somme toute assez humain, surestiment le temps passé à travailler. Disons de 5%, que nous ôtons du précédent total. Nous voici à 1603 heures annuelles. Vu les concessions que j’ai faites, monsieur le sénateur, je vous propose de me faire cadeau des 4 heures dont je suis débiteur. On arrête là où on continue à jouer au couillon ?
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