Classes à 24 : comment faire, et à quel prix ?

@PHILIPPE HUGUEN / AFP

Le Président Macron vient donc d’annoncer qu'aucune classe de Grande section, de CP et de CE1 ne dépasserait plus 24 élèves dans toute la France, d’ici la fin du quinquennat. La mesure, qui a toutes les apparences d’une bonne mesure pour l’école et qui est censée répondre aux attentes des parents et des enseignants, suscite en réalité beaucoup de questionnements, voire de scepticisme sur le terrain.

Exemples concrets du passage à 24 en GS, CP et CE1

Afin que tout un chacun, et notamment les parents d’élèves comprennent bien les implications d’une telle mesure, prenons deux exemples concrets.

Tout d’abord une école polyvalente, dans une ville de taille moyenne. Il y a là une classe de chaque niveau, de la Petite section de maternelle au CM2. Dans chaque classe, entre 25 et 28 élèves. En Grande section, 28, en CP 26, en CE1 27. Comment plafonner ces classes à 24 élèves ? Faudra-t-il envoyer quelques élèves de chaque niveau concerné dans une autre école, créant une rupture non négligeable dans leur scolarité ? Ou bien ouvrir une classe supplémentaire et revoir la structure de l’école : créer un double niveau Moyenne section / Grande section avec les quelques élèves de Grande section en surplus, et "charger" les autres classes de Moyenne section ; créer trois classes à double niveau CP / CE1, à 18 élèves ? Mais est-on sûr du bénéfice, cela vaut-il mieux qu’un CP à 26 et un CE1 à 27, comme aujourd’hui ?

Prenons maintenant une grosse école élémentaire d'une grande ville. Sur 13 classes, toutes ont entre 28 et 30 élèves, sauf les deux classes à double niveau CE1/CE2 et CM1/CM2, limitées à 24 et 25, et surtout les 3 classes de CP, que le Conseil des maitres a décidé de protéger en les plafonnant à 20 élèves. Les 2 classes de CE1 sont à 29 et 30 élèves. Partant du principe qu’il n’y aura pas d’ouverture de classe (il est possible de s’arranger, dira-t-on), voici deux possibilités :

  1. Le Conseil des maitres décide de conserver les 3 classes de CP à 20, considérant qu’elles n’ont pas à souffrir des changements. Il y a désormais 3 classes de CE1 à 24 élèves. Les autres niveaux se retrouvent alors, du CE2 au CM2, à 32 voire 33 élèves, avec un triple niveau CE2-CM1-CM2 à 19 élèves. Cette configuration préserve les CP et les CE1, mais les autres niveaux prennent cher et on souhaite bon courage aux élèves et à l’instit qui hériteront du triple niveau.
  2. Le Conseil des maitres décide de sacrifier les CP à 20 élèves : 2 classes de CP et 3 classes de CE1 auront 24 élèves. Il reste un douzaine d’élèves de CP à caser dans un double niveau, probablement un CP-CE2 à 24 élèves. Les autres classes restent à environ 30 élèves, avec un double niveau CM1-CM2 à 25 élèves. Dans cette configuration, les « grandes classes » ne sont pas lésées, mais les CP ne sont plus privilégiés comme avant, et il y a un double niveau complexe CP-CE2, avec pour effet collatéral d’affaiblir mécaniquement les 2 CP (privés d’élèves autonomes partis dans le double niveau).

Bien sûr, il y a aura des situations plus simples à gérer. Mais dans ces deux exemples, comme dans des milliers d’autres, les "classes à 24" créent obligatoirement un ou plusieurs déséquilibres dans la structure même de l’école. Ces déséquilibres sont passés sous silence par le ministère.

10 000 postes nécessaires ? "L’exemple" des classes à 12

Dans un excellent papier de M.-C. Corbier, Les Echos estiment à environ 10 000 le nombre de postes nécessaires à la mise en place de la mesure (le ministère parle de 3 000 à 5 000 postes, mais il suffit d’aller sur le site pour constater que les effectifs concernés sont quelque peu contradictoires…). Ces 10 000 postes ne seront pas assurés par des embauches (cette année, 1 075 postes de moins ouverts aux concours de prof des écoles !) mais par des "redéploiements". L’exemple récent des "classes à 12" (dédoublement des CP et CE1 en REP et REP+), mesure phare du quinquennat, donne une idée de la manière dont le redéploiement aura lieu.

Les classes à 12 nécessitent au total 12 000 postes. Sachant que seuls quelques milliers seront créés sur l’ensemble du quinquennat, il a bien fallu chercher les autres là où ils étaient. Une partie de ces postes a été créée grâce à la suppression de postes dans le secondaire, au nom de la priorité accordée au primaire et alors même que la démographie dans le secondaire est en hausse. La quasi-disparition du dispositif "Plus de maitres que de classes", décimé, a fourni quelques centaines d’autres postes. Les corps de remplaçants ont également subi une cure d’amaigrissement, avec les conséquences qu'on imagine pour les élèves dont l'enseignant s'est cassé la jambe. Les écoles rurales ont aussi payé leur tribut, assez médiatisé au printemps 2018. Et puis, on a raclé partout où cela était jouable en n’ouvrant pas de classe là où il le fallait, en fermant quand cela ne s’imposait pas (dans l’école maternelle de ma fille, où ils sont déjà entre 26 et 30 selon les classes, on a dû se battre pour qu’il n’y ait pas de fermeture de classe…). Autant dire que cette louable idée des classes dédoublées en éducation prioritaire (même si les résultats ne sont pas à la hauteur de ce qui était attendu, mais c’est une autre histoire) a eu un cout non négligeable un peu partout ailleurs, puisque fondée sur la logique des vases communiquant, qui revient ici à "déshabiller Pierre pour habiller Paul".

Les classes à 24 se feront selon la même méthode, mais dans un contexte déjà tendu par le lifting généré par les classes à 12.

L’inquiétude des élus locaux

On comprend que les élus locaux, ceux qui ont la charge des écoles, soient quelque peu inquiets. La mairie de Toulouse a ainsi calculé qu’il faudrait ouvrir 60 classes dans la ville, l’équivalent de 8 écoles, pour garantir l’efficacité de la mesure ! Sans compter les postes d’Atsem supplémentaires à financer pour chaque ouverture de Grande section.

Les plus inquiets sont sans doute les maires des petites communes rurales, déjà secoués en 2018 et  que le projet d’EPSF dans la loi Blanquer a de nouveau échaudés il y a quelques semaines (voir le détail ici). Dans les Echos, un "bon connaisseur du sujet" explique que « le problème est que les classes à fermer sont prioritairement dans les zones rurales ». A titre d’exemple, la Lozère compte 15,1 enfants par classe, contre 25,3 en Essonne, comme le mentionne France Inter.

Les optimistes ont noté que le président Macron a assuré jeudi qu’il n’y aurait plus de fermeture d’école sans l’accord du maire (il y a une semaine il assurait qu’il n’y en aurait plus du tout jusqu’à la fin du quinquennat, désormais il faudra l'accord du maire…). Sauf que, fermeture d’école ne signifie pas fermeture de classe, l’Association des maires de France l’a bien compris : "La vraie question ce ne sont pas les fermetures d'écoles mais les fermetures de classe. C'est comme pour les hôpitaux : très peu ferment mais on assiste à de nombreuses fermetures de services". De fait, E. Macron a ajouté que cela n’excluait pas des "réorganisations", ce qui est déjà une porte ouverte – derrière cette porte, on entrevoit que la création d’EPSF faciliterait les choses… Sur le site du ministère, on peut très clairement lire que « des cas possibles de fermeture pourront être la conséquence "d’un projet de réorganisation locale des classes et écoles recueillant le consensus des élus et de l’Education nationale" ».

De son côté, le Réseau français des villes éducatrices, après avoir rappelé dans un communiqué que "les postes créés pour la rentrée 2019 ne suffiront pas à couvrir les nouveaux dédoublements de CE1 en REP" et que "dans de nombreux départements nous constatons une baisse des moyens de remplacements pour la rentrée prochaine, ce qui pénalisera les enfants les plus en difficulté", réclame l’embauche de nouveaux enseignants et la réouverture des places au concours, avant d’insister sur la construction inévitable "de salles de classes, voire d’école qui impliquent le soutien de l’état aux collectivités en investissement mais aussi en fonctionnement". Et le RFVE de conclure : « Sans ces préalables, ces plafonnements se feront au détriment des autres niveaux de classes et des brigades de remplacements, comme cela a été le cas pour le dédoublement des CP et des CE1. Le président de la République a lancé un grand chantier par son annonce ».

La démographie comme botte secrète

Pourtant, la baisse du nombre d’élèves dans les classes (toutes les classes) est un vrai sujet en France, où l’on compte 3 élèves de plus par classe que la moyenne de l’OCDE (24 élèves contre 21). D’après le Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire, plus de 35 000 classes de GS, CP et CE1 compteraient plus de 24 élèves, 15 000 en GS et 20 000 en CP et CE1 (le site du ministère en annonce 52 800, mais indique juste dessous que seules 25 400 classes seront concernées par la mesure, vivement des précisions...).

Au ministère, où on s’apprête à se lancer dans la partie de Tetris géant que constitue le redéploiement des postes, on mise vraisemblablement beaucoup sur les données démographiques : il y aura en effet 202 000 élèves en moins en primaire entre 2019 et 2022 (chiffres prévisionnels du ministère). De quoi dégager environ 8 400 postes… Voilà la mesure quasi sauvée, pense-t-on ! Sauf que, cela est passé un peu inaperçu, mais jeudi E. Macron a fait une autre annonce choc : le dédoublement des classes de Grande Section en REP et REP+ à partir de la rentrée 2020 (en même temps donc que les classes à 24), une mesure qui va concerner 150 000 élèves et va à elle seule demander 6 000 postes de l’aveu même du ministère…

Si la baisse démographique aidera à financer ces mesures, elle ne suffira pas à les financer toutes. Loin de là.

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