La Cour des Comptes a publié cette semaine un rapport dans lequel on apprend entre autres que Luc Chatel a supprimé plus de postes qu’il n’était demandé dans l’Education Nationale…
Ces dernières années, on a pris l’habitude de scruter avec attention les rapports de la Cour des Comptes sur l’Education Nationale : rares étaient les rapports portant sur le travail du ministère Chatel (lequel en bloquait leur parution de manière massive). On se reportait donc sur la très indépendante Cour des Comptes pour avoir des infos sur le pilotage politique de l’EN, avec appétit mais aussi avec frustration, car la Cour des Comptes s’occupe d’argent, de financement, de budget, et vous conviendrez que ça ne suffit pas à percevoir l’état d’un système éducatif, encore moins à sentir battre le pouls de l’école. La Cour des Compte avait ainsi durement critiqué la réforme phare de Chatel : la « masterisation » (formation des enseignants, sur laquelle un rapport caché de 2010 vient de sortir, édifiant) avant de confirmer que les inégalités s’étaient renforcées à l’école durant le quinquennat de Sarkozy.
Luc Chatel n’est plus là, mais la Cour des Comptes continue à épingler son action, avec un rapport sur l’exécution du budget 2011 de la mission «Enseignement scolaire».
Autant le dire tout de suite, ledit rapport est proprement imbitable, horriblement administratif, excessivement technique, 60 pages de jargon et d’acronymes abscons. Heureusement, on comprend l’essentiel : Chatel a supprimé plus de postes qu’exigé par le gouvernement avec la RGPP, politique de réduction des dépenses publiques passant notamment par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partants à la retraite. Cette mesure, globalement comprise par les français, avait été vivement critiquée pour son application stricto sensu au monde de l’école et de l’enseignement (82 % des français contre) : en 5 ans, près de 80 000 emplois ont ainsi été détruits, et sur le terrain, les profs d’abord, les inspections et les rectorats, les parents, les collectivités locales ensuite, avaient tous pu mesurer les conséquences désastreuses de cette politique (milliers de classes fermées, écoles rayées de la carte rurale, classes surchargées, pénurie de remplaçants, destruction des dispositifs d’aide aux élèves en difficulté…).
Visiblement, Luc Chatel devait trouver que les objectifs de la RGPP étaient encore trop mollassons. Le rapport de la Cour des Comptes montre, chiffres à l’appui, que le ministre est en effet allé bien plus loin (voir les tableaux pages 37 à 41 du rapport) :
- 16 000 postes devaient être supprimés en 2011, Chatel en a supprimé 16 811 ; finalement, les 1 000 postes que veut créer Hollande pour la prochaine rentrée correspondent à peu près à l'excès de zèle de Chatel pour 2011...
- au primaire, c’est carrément 8 635 postes détruits pour 10 334 départs à la retraite, un taux de 84 % très supérieur aux 50 % prévus ! On sait pourtant, Luc Chatel en tête, que la France est l’un des pays où le nombre d'élèves pour un instit est le plus faible de tout l’OCDE (taux d’encadrement de 5 pour 100)…
- notons cependant que l’enseignement privé a été épargné : Luc Chatel y a supprimé moins de postes que prévu (1 416 contre les 1 633 prévus) ;
- le ministre n’a pas tenu sa promesse de reverser la moitié des économies ainsi réalisées aux enseignants : seuls 157 millions d’euros ont été reversés aux profs sur 404 millions, soit 39 % ; ces 157 millions ont été répartis entre les profs entrant dans le métier (85 % des enseignants n’ont rien touché) et les heures supplémentaires défiscalisées ;
- les heures supplémentaires, justement : elles sont pointées du doigt par la Cour des Comptes, pour leur coût, mai aussi car leur recours a servi sur le terrain à masquer les conséquences des suppressions de postes. L’augmentation des heures supplémentaires traduit selon la Cour « l’inadéquation croissante de l’offre de formation aux moyens humains alloués sur le terrain ». Et dire qu’à la place de toutes ces heures supp’, on aurait pu créer des postes d’enseignants… (Rappelons que les heures supplémentaires telles que proposées par le candidat Sarkozy auraient coûté autant que les 60 000 postes promis par Hollande…)
Par ailleurs, la Cour des Comptes confirme que le ministère Chatel n’hésitait pas à s’arranger avec les chiffres afin de présenter un meilleur bilan : « Ainsi les cibles de certains objectifs ont été baissés entre 2009 et 2011, l’écart avec les résultats constatés paraissant de ce fait moindre (proportion d’élèves maîtrisant en fin d’école primaire les compétences de base en français – de 95 % à 93,5 % - ; taux d’accès au brevet – de 84 à 81 % - ; taux d’accès à un bac général ou technologique des élèves de seconde GT). Il en va demême pour l’indicateur « nombre d’académies bénéficiant d’une dotation globale équilibrée » […] dont la cible a constamment diminué » (p.43). On comprend bien la manip’ : si les objectifs affichés sont moins élevés, le taux de réussite à ces objectifs sera supérieur à égalité de résultats…
Rien de bien surprenant, au fond, pour qui a suivi de près la politique menée par Luc Chatel. Une politique du chiffre, essentiellement attentive aux économies, peu soucieuse des conséquences sur le terrain, peu concernée par les questions d’éducation et la qualité de l’offre d’enseignement.
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