On ne l’a pas entendu, ou presque, sur le sujet depuis un an. Il faut dire que son ministre de l’Education nationale JM Blanquer est omniprésent sur la scène médiatique depuis son arrivée rue de Grenelle et que le Président bénéficie d’une paix royale sur les sujets de l’école grâce au travail de son ministre, habile communicant arrivé en terrain favorable.
Mais ça, c’était hier. Voici Emmanuel Macron obligé de descendre dans l’arène, car la situation se gâte un peu côté école, pour la première fois de son mandat. D’une part, les fermetures de classes et d’école en zone rurale, très relayées dans les médias, ont d’un coup terni le bilan supposé sans tache versant primaire. De l’autre, la Loi ORE et sa plateforme Parcoursup, nouvelle formule d’entrée dans le supérieur, que les spécialistes de l’éducation ont très tôt perçue comme une potentielle poudrière, a commencé de susciter le rejet dans les universités, avec une mobilisation étudiante croissante. Deux sujets qui ont largement dépassé le Landerneau pour s’installer au centre de la place publique.
Il fallait donc reprendre la main. Revenir, personnellement, dans le débat sur l’école. Une séquence médiatique en trois temps.
15 mars, déplacement en zone rurale en guise de contrefeu
Quand le Président et son ministre montent leur déplacement en Indre-et-Loire, cela fait quelques semaines que l’école gronde : la rentrée 2018 est en train de se jouer et du terrain remontent les premières annonces de fermetures de classes en zone rurale, des fermetures soupçonnées de se faire au bénéfice des classes à 12, la mesure emblématique du mandat Macron. Très vite le sujet fait la Une. Le ministre Blanquer ne parvient pas, une fois n’est pas coutume, à endiguer le flot médiatique. Le 15 mars, le Président et le ministre vont à la campagne pour communiquer sur le sujet : le Président vante « la première classe dédoublée en milieu rural » et assure « nous allons ouvrir 1000 classes » sur l’ensemble du territoire, en plus de celles dédoublées dans les zones prioritaires. Le ministre Blanquer affirme quant à lui que seules 207 classes seront fermées en zone rurale à la rentrée 2018.
Ce ne sont pas du tout les chiffres que présente le Snuipp, syndicat majoritaire dans le primaire, qui publie illico un communiqué de "désintox" et ses propres chiffres en se fondant sur les remontées du terrain, « dans 90 départements où les instances décisionnaires en matière de carte scolaire se sont déjà tenues. 1097 fermetures dans les écoles rurales pour seulement 289 ouvertures, soit un différentiel de 808 postes supprimés ». On est très loin des 207 fermetures annoncées par le ministre. Le syndicat en profite pour mettre le doigt là où ça fait mal : « Les 3880 postes créés pour la rentrée 2018 ne suffisent pas à financer la mesure phare du gouvernement : le dédoublement des CP et des CE1 en REP+ et des CP en REP « consommera » à la rentrée 5442 postes. Même en tenant compte de la baisse démographique, ce sont près de 1200 postes qui font défaut pour préparer la rentrée 2018. Recteurs et directeurs d’académie sont donc contraints à des redéploiements en ponctionnant les postes des secteurs ruraux pour les réaffecter dans les villes où se situe la majorité des réseaux d’éducation prioritaire, suscitant l'incompréhension ».
Une fois encore, on trouve au cœur du problème les fameuses classes à 12 du Président en éducation prioritaire, lesquelles nécessitent 12.000 postes d’enseignants qu’il faut bien trouver quelque part (nous avons déjà montré ici-même le prix à payer pour une telle mesure).
Quoiqu’il en soit, même avec 207 fermetures en zone rurale, le Président trahit une promesse faite devant la conférence des territoires en juillet 2017 : « Les territoires ruraux ne peuvent plus être la variable d'ajustement. Il n'y aura plus aucune fermeture de classes dans les zones rurales ». Christophe Castaner, secrétaire d’état et « chef » de LREM, a beau expliquer qu’il y a un malentendu, « nous étions en juillet, il parlait de la rentrée de septembre » et essayer de faire croire que « la promesse a été tenue », personne n’est dupe et l’opération Indre-et-Loire du Président n’est pas une réussite. Surtout que le Président, en expliquant au passage que « des collèges qui ont moins de 30 élèves par classe, ce n’est pas bon, même pour les élèves », a envoyé le message exactement inverse de celui qu’il était venu faire passer : le taux d’encadrement va baisser.
12 avril, chez Pernault, la ruralité encore
Le déplacement de la mi-mars n’a pas eu l’effet escompté, dans les semaines qui suivent la grogne dans les campagnes enfle, la couverture médiatique aussi. C’est toute la ruralité qui se sent désormais délaissée et qui a rejoint les retraités et les fonctionnaires dans le camp des « oubliés » de la macronie. Le Président doit déminer le terrain pour de bon. Il décide de donner une interview à TF1, à l’heure du déjeuner, dans une école rurale de l’Orne, une école modèle parfaitement castée, et il y parlera avec, en arrière-plan, les élèves jouant dans la cour et sur les murs, un affichage pédagogique de veille d’inspection.
Puisque le message n’avait pas été clair le 15 mars, il est cette fois surligné au marqueur fluo par le Président : « La base de notre pays, c’est l’école. C’est la première des batailles que j’avais définie, que j’ai menée. De la maternelle à l’université, on change beaucoup de choses, on change tout, comme ce n’était pas arrivé depuis Jules Ferry ». Mazette, depuis les débuts de l’école publique et gratuite, en toute modestie !
Le Président reprend ensuite son argumentaire du 15 mars, devant 6,4 millions de téléspectateurs ce coup-ci : « A la rentrée prochaine on aura 32 000 élèves en moins en CP. Pourtant on va ouvrir 5000 classes, 3000 par dédoublement dont certaines en zone rurale, et 1000 classes en zone rurale alors qu'il y aura 20 000 élèves en moins. On va augmenter le taux d'encadrement. Je vous le garantis ». Le problème c’est que le Président s’est, sciemment ou pas, trompé : les 1000 classes créées le seront sur tout le territoire, c’est lui-même qui l’avait dit le 15 mars, et non en zone rurale où le solde sera bien négatif, 207 suppressions selon le ministre lui-même et toujours 808 selon les syndicats. On veut bien croire que le Président s’est trompé, mais il reste que le grand public de Pernault a bel et bien entendu que 1000 classes allaient être créées en zone rurale… Bien joué.
Quant au taux d’encadrement supposé augmenter, il y a un biais : « La baisse démographique aurait pu permettre ici ou là des allègements d’effectifs, alors que plus de 100 000 classes dépassent 25 élèves (RERS 2017), la taille des classes va encore augmenter en dehors des CP et CE1 en éducation prioritaire », comme l'explique le Snuipp.
Le Président brandit à nouveau sa mesure phare, le dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire, qu’il présente comme le remède à tous les maux : « ça c’est la justice, ça c’est social, parce que ces petits enfants qui venaient de famille modeste et qui avaient beaucoup moins appris avant d’arriver au CP, qu’on retrouvait en CM2, ils savaient pas bien lire ou écrire ou compter. Avec cette réforme, moi je m’engage à ce que tous les enfants en CM2 sachent bien lire, écrire, compter et bien se comporter ». La recette miracle est donc trouvée, grâce à quoi Le Président Macron parviendra à faire ce que personne n’est arrivé à faire avant lui. On a hâte de voir, nous qui croyions bêtement que les difficultés scolaires des élèves étaient complexes, variées, multifactorielles. En attendant, on est heureux de découvrir qu’hors éducation prioritaire, tous les élèves savent déjà lire, écrire, compter (mais quand donc dira-t-on calculer plutôt que compter ?).
Enfin le Président, pour la première fois, s’exprime sur un autre sujet chaud : la contestation du nouveau mode de sélection à l’université par les étudiants. Il inaugure devant Pernault son argumentaire : « Dans beaucoup d’universités, ce n’est pas du débat, ce sont des agitateurs professionnels ». Ou comment décrédibiliser tout un mouvement de contestation en assimilant quasiment les étudiants à des zadistes (sujet abordé juste avant dans l’interview).
15 avril, en prime time sur BFMTV, la mobilisation étudiante résumée au désordre
«Deux émissions à trois jours d’intervalle, contre deux en un an de mandat, c’est qu’il y a urgence », estime Franck Louvrier, ancien conseiller communication de Nicolas Sarkozy dans l’Opinion. Après le JT de 13 h de Pernault, le Président fait le prime time de BFMTV et Mediapart, devant Bourdin et Plenel.
De lui-même, alors que la discussion porte sur la sécurité sociale, le Président digresse pour placer ses éléments de langage, déjà développés trois jours plus tôt : « J’ai décidé d’investir massivement pour que notre école soit plus juste parce que la première des injustices elle se fait à l’école. Quand on a un cinquième des gens qui ne savent pas lire ou écrire ou compter en CM2 on peut pas prétendre après aller loin. De la maternelle à l’université on le fait ». Pour mémoire, le Budget 2018, présenté par JM Blanquer comme le premier à dépasser les 50 milliards d’euros (50,6) n’avait augmenté que de 1,3 milliards par rapport à celui de 2017. Celui de 2017, lui, avait augmenté de plus de 3 milliards. Une augmentation du budget deux fois et demie inférieure à l’année précédente, cela relativise « l’investissement massif » vanté par le Président.
Mais le sujet qui a pris de l’ampleur ces derniers temps est la grogne des universités, sur lequel la ministre Vidal, assez transparente, peine. Pour ceux qui n’en auraient pas compris les enjeux, ce papier des Echos est très clair. En gros, disons que la nouvelle loi « ORE » (Orientation et réussite des étudiants) est décrite par des étudiants, enseignants, chercheurs, maitres de conférence, comme mettant en place « une sélection déguisée ».
Sur BFMTV comme sur TF1 trois jours plus tôt, la mobilisation étudiante est assimilée au mouvement zadiste, Bourdin lançant le sujet ainsi : « Passons aux universités et à Notre-Dame-des-Landes » ! D’abord le Président tente de déminer ses propos : « Je n’ai pas dit que les étudiants étaient des agitateurs. J’entends les débats qu’ils ont, je l’ai été, ils ont le droit d’avoir leur propre vie. Ce que je constate, c’est que dans toutes les universités aujourd’hui, où il y a des amphis paralysés, des violences parfois, au demeurant inadmissibles, les étudiants sont bien souvent minoritaires. Ce sont des groupes qui ne sont pas des groupes étudiants qui viennent, ce sont ceux dont j’ai dit « ce sont des professionnels du désordre ». Et pour clore le sujet : « Quand il y a des présidents d’université, comme cela a été le cas, qui disent « mon université est bloquée, nous ne pouvons plus faire cours », moi j’estime que ce blocage il est plus légitime, il est pas majoritairement fait par des étudiants, il consiste à une finalité de désordre, et qu’ils demandent les forces de l’ordre, j’assume totalement qu’elles interviennent ».
Voilà, ce sera tout sur le sujet. Les éléments de langage sont rodés, le débat, confisqué, reste exclusivement sur le versant choisi par le Président : l’illégitimité, le désordre, le blocage, l’intervention des forces de l’ordre. Plenel, supposé connaisseur du dossier, se fait balader par le Président, au lieu de l’amener à parler du fond du problème. Car fond il y a. Le Président tait les raisons de la contestation, les arguments réels et pertinents des opposants, qu’ils soient étudiants ou professeurs d’université. La mobilisation est menée par l’Unef, syndicat étudiant, le Snessup-FSU, syndicat enseignant, la Coordination nationale étudiante (CNE), des corps intermédiaires tout à fait légitimes, parfaitement ignorés voire méprisés par le Président. Côté professeurs, le débat de fond existe aussi, il n’est qu’à lire la tribune signée par 425 d’entre eux (à lire, vraiment), dans laquelle ils dénoncent une « sélection absurde » et la propagande ministérielle.
On comprend bien le mouvement tactique du Président, parfaitement exécuté, bravo à lui, mais résumer la mobilisation étudiante à des blocages de fauteurs de troubles constitue un profond manque de respect pour ces corps intermédiaires, un mépris du dialogue, de ses interloucteurs et du débat démocratique. Par ailleurs, les violences les plus manifestes ont souvent été faites à l’encontre des étudiants, à Montpellier bien sûr par des hommes cagoulés et armés de bâtons et de tasers, à Tolbiac par des jeunes casqués et armés de projectiles, à Lille II, etc. De tout ceci, pas un mot de la part du Président. Il ne faudrait pas faire passer les étudiants pour des victimes, même partiellement.
A l’issue de cette séquence, alors que le Président a dans l’ensemble peiné à convaincre côté rural, il a réussi son coup côté université : en effet, si globalement près de six Français sur dix (58%, sondage Elabe) estiment que les deux interviews télévisées d'Emmanuel Macron n'ont pas permis de mieux comprendre le sens de son action, 56% sont d’accord avec le Président sur le fait que les mobilisations dans les universités sont dues à « des professionnels du désordre ».
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