Boulevard Blanquer

AFP / Alain Jocard

Alors même qu’on nous vend un JM Blanquer toujours plus populaire, le ministre, plus soutenu que jamais par les médias, est en train de se faire une place de choix dans la macronie. Rarement un tel boulevard s’était ouvert devant un ministre de l’Education nationale.

Populaire auprès du grand public ?

Mi-février paraissait un sondage Odoxa sur la popularité de JM Blanquer. 62% des personnes interrogées ont une bonne opinion du ministre, soit 10 point de plus que le ministre de l’intérieur Gérard Collomb ou 7 de plus que le premier ministre Edouard Philippe. Surtout, il est nettement plus populaire que ses prédécesseurs : après neuf mois d’exercice, Najat Vallaud-Belkacem comptait 49% de bonnes opinions, Vincent Peillon 45%, Xavier Darcos 36% et Luc Ferry 41%.

Bien sûr les sympathisants d’En Marche le plébiscitent, à 95%, de même que les sympathisants de la droite parlementaire (72%) ; sa popularité tombe à 40% chez les sympathisants FN ; à gauche il recueille 53% de bonnes opinions, et même 73% chez les sympathisants PS, nous dit Odoxa ! Lui qui se vante souvent de n’être ni de droite ni de gauche a dû rosir de plaisir.

Le sondage indique que les données recueillies dressent « le portrait d’un homme pas spécialement surmédiatisé (ni même très visible), show-off ou particulièrement charismatique, mais bien parce qu’il apparait vraisemblablement comme quelqu’un de pragmatique et de compétent ». (Il faudra leur dire, à Odoxa, que leur phrase ne veut rien dire). De fait les sondés voient en JM Blanquer quelqu’un de « compétent » (58%), « courageux » (57%), pas spécialement « conservateur » (45%). Bref, résume le sondage, « les Français semblent dresser de lui le portrait d’un réformateur pragmatique ». Le ministre appréciera particulièrement ces deux termes, qu'il répète à l'envi.

Quelques jours plus tôt, JM Blanquer était l’invité de « L’émission politique », sur France 2. Une émission sans réelle contradiction à l’issue de laquelle Ipsos interrogeait les spectateurs sur sa prestation : 71% l’ont trouvé convaincant, dont 90% chez En Marche, 83% chez les Républicains, 72% au PS, 69% chez les Insoumis et 52% au FN. Carton plein, semble-t-il.

Populaire mais peu connu…

Sauf que. Ici ou là, quelques voix discordantes tentent de nuancer la popularité de JM Blanquer. Ainsi VousNousIls note que si 71% des spectateurs ont été convaincus par le ministre, celui-ci a fait la deuxième plus mauvaise audience depuis l’élection d’Emmanuel Macron : 1,54 millions de téléspectateurs selon Médiamétrie, soit 7,2%. Seul Laurent Wauquiez a fait pire avec 6,8%, JL Mélenchon avait fait 9,1% d’audience, le premier ministre 14,5%. Quand Marine Le Pen avait fait 7,7%, mieux que JM Blanquer, l’audience avait été qualifiée de « particulièrement médiocre ». « Très populaire… chez peu de téléspectateurs », résume VousNousIls. « Je suis très surpris, je pensais que JM Blanquer allait faire un gros score à L’émission politique, justement parce qu’il n’est pas un pro de la politique et qu’il n’est pas dans le circuit depuis 30 ans », s’étonne Karim Rissouli, qui anime C Politique sur France 5. Cela n’empêche pas L’Express de titrer sans vergogne : « Jean-Michel Blanquer fait mieux que Laurent Wauquiez sur France 2 ».

Quant au sondage Odoxa, on peut y lire qu’à l’époque des prédécesseurs de JM Blanquer, « les questions posées n’étaient pas exactement les mêmes, permettant à 15% à 30% des sondés de ne pas se prononcer », contre 1% à 3% dans le présent sondage… Un sérieux biais, qui relativise l’écart entre JM Blanquer et ses prédécesseurs. Par ailleurs, le taux d’opinion favorable de ce sondage interpelle. En effet, tout se passe chez Odoxa comme si toutes les personnes interrogées connaissaient JM Blanquer, ce qui parait très improbable. Odoxa a-t-il retenu seulement ceux qui connaissaient le ministre ?

Le Café Pédagogique renvoie à un autre sondage, mensuel celui-ci, d’Ifop, qui évalue la popularité des hommes politiques en faisant apparaitre leur degré de reconnaissance. Et là, le ministre Blanquer n’apparait qu’en 37ème position des personnalités politiques recueillant de bonnes opinions (avec 23%, -2 points par rapport à janvier), derrière la ministre Marlène Schiappa, et même Eric Woerth et François Fillon ! JM Blanquer recueille quasiment autant de suffrages négatifs, 20% de sondés ont une mauvaise opinion de lui, +4 points en un mois (en janvier, donc : 25% de bonnes opinions et 16% de mauvaises, contre 23 et 20 en février). Dans le détail, il apparait précisément que JM Blanquer reste encore peu connu du grand public : 51% des sondés indiquent ne pas le connaitre suffisamment pour exprimer une opinion, c’est à peine moins que Muriel Pénicaud, Agnès Buzyn, Florence Parly, Bruno Retailleau… Par ailleurs JM Blanquer est moins connu et moins populaire chez les catégories… populaires (12% de bonnes opinions chez les artisans, 15% chez les employés, 17% chez les ouvriers) que parmi les cadres sup (31%) et les retraités (30%). De même il est plus populaire chez les plus diplômés (35% chez les titulaires d’un diplôme du supérieur, 14% chez les non-diplômés). JM Blanquer doit se dire qu’il n’est pas si bien récompensé que ça par le grand public, lui qui ne ménage pas ses apparitions médiatiques. On est loin de pouvoir dire, en tout cas, que « 6 français sur 10 ont une bonne opinion de JM Blanquer »… puisque la moitié ne le connait pas !

Pour résumer, disons que le ministre reste encore largement méconnu malgré son omniprésence médiatique, mais qu’il a tendance à convaincre ceux qui le (re)connaissent, surtout s’ils sont diplômés et âgés : chez ceux-là, la popularité de JM Blanquer semble réelle, forte, partagée, même si elle est sans doute surestimée par les médias.

Les médias l’adorent, surtout ceux de droite

juin 2017C’est peu de dire que le ministre bénéficie d’une couverture très favorable sur le terrain médiatique . Sa conseillère presse et chargée de com', Perrine Dufoix, ancienne journaliste, fait du bon boulot. Le Point, Valeurs Actuelles, Le Figaro en pincent pour JM Blanquer et multiplient les couvertures énamourées. Ce n’est sans doute pas un hasard si JM Blanquer, homme-clé de l’éducation nationale durant le quinquennat Sarkozy, est dès son intronisation soutenu par les médias de droite, qui se retrouvent dans l’homme et dans sa vision de l’école. Ainsi Le Point fait sa couverture dès juin sur "l'homme qui veut arrêter les bêtises".

A la rentrée de septembre, moment-clé de la communication pour un ministre de l’EN, ce qui ressemble fort à une grande opération de soutien est lancé chez Valeurs Actuelles, Le Figaro, Causeur et même le Nouvel Obs.

Couvertures rentrée

En septembre toujours, Le Point n’hésite pas et fait mine de se demander « Macron et Philippe sauvés par Blanquer ? », en juxtaposant la côte de popularité du Président et du premier ministre et les mesures annoncées par Blanquer (mais Le Point s’étonne tout de même que seuls 33% des français déclarent avoir confiance en JM Blanquer…).

A l’automne, à contre-courant, le Monde monte au créneau pour dépeindre un autre JM Blanquer, conservateur et plus idéologue qu’il n’y parait. Le quotidien du soir se fait éreinter par le ministre, appuyé par quelque éditorialiste acquis.

Un nouveau stade vient donc d’être franchi, mi-février, où JM Blanquer acquiert un statut supérieur selon plusieurs médias, Le Point toujours, le Figaro encore, Valeurs Actuelles bien sûr, le Parisien…

Couvertures février

« La nouvelle star », « le vice-président », « l’homme-clé du macronisme », « l’atout réformateur de Macron », « le chouchou », « un ministre en état de grâce », JM Blanquer est décrit comme l’homme qui « a tout réussi », « a osé faire bouger les lignes », « on lui prédit une ascension qui pourrait le conduire jusqu’à Matignon », « rarement ministre de l’Education nationale n’aura bénéficié d’une telle aura »… Même Libération titre « Jean-Michel Blanquer, le macronisme avec mention ».

Comme par hasard, cette avalanche de courbettes a lieu précisément dans la foulée de la parution du fameux sondage Odoxa qui aura donc fait le plus grand bien à JM Blanquer dans les médias (à défaut de développer sa popularité réelle, comme le montre le sondage Ifop). On n’est pas loin de la construction médiatique, ce que confirme une dépêche de l’AFP datée du 15 février (le lendemain de la parution du sondage Odoxa…) reprise telle quelle par Le Point, Le Nouvel Obs, France24 et d’autres et qui commence par : « Inconnu il y a quelques mois du grand public, devenu l’un des meilleurs élèves et une « pièce maitresse » du gouvernement… ». AFP y reprend les Unes des médias dont on a parlé, reprend le sondage Odoxa plutôt que celui d’Ifop, reprend aussi le sondage Ipsos de l’Emission politique, et publie donc une dépêche que le Point, le Nouvel Obs, France 24 et consorts reprennent in extenso. Poupées russes médiatiques, un seul texte copié-collé dans les rédactions : voici comment les éléments de langage s’installent tranquillement dans le paysage… Les dépêches AFP, c’est pratique pour les rédactions, ça évite de faire bosser les journalistes, et c’est pratique pour JM Blanquer, ça inonde les pages web d’une même vision laudative.

Les mauvaises langues diront que cela tombe franchement bien, pile au moment où pour la première fois le terrain grogne, avec la révélation de la carte scolaire et les fermetures de classes un peu partout dans le pays...

Le monde politique séduit

Pour Alain Finkelkraut, le très politisé "philosophe", « Jean-Michel Blanquer est le miracle de du gouvernement ». Et le fait est que dans le petit monde politique, JM Blanquer séduit. Lui qui se dit homme de terrain et de dossiers, pas politique pour un sou, est contredit sur ce sujet par un ami d’enfance, François Baroin : « Il a toujours été plus passionné de politique que je ne l'ai été. […] Il a fait sa mue dans la lumière de façon spectaculaire. Il est avec Emmanuel Macron la révélation du paysage politique de 2017 ».

A Matignon, on est très content de JM Blanquer : « Il passe en Ligue des champions ». Dans l’entourage du premier ministre, nous raconte 20 Minutes, on ne tarit pas d’éloges sur lui : « Il dirige son ministère avec intelligence. Il a à la fois un haut degré d’expertise et un très grand sens politique, ce n’est pas un technocrate. Il a une voix qui porte, un leadership, une capacité à contredire l’opposition et un sens de la formule. Bref, il a un style ». « Blanquer, c’est une évidence ».

« Véritable coqueluche des élus LREM, Blanquer est aussi très apprécié dans les rangs de LR », note Libération. Annie Genevard, secrétaire générale des Républicains, assume la parenté : « L’homme est habile, il a une sensibilité proche de la nôtre, il avait travaillé sur le programme d’Alain Juppé. Nous n’allons pas rejeter ce que nous préconisions depuis des années ». Fabien Di Filippo, lui, estime qu’« il tient des positions conservatrices qui correspondent à nos valeurs ». Laurent Wauquiez, avare de compliments, surtout dans ce gouvernement, ne cache pas son admiration : « M. Blanquer est plutôt quelqu’un pour qui j’ai de l’estime ».

Ses prédécesseurs sont également séduits : Jack Lang parle d’un « homme de qualité », « Luc Chatel reconnait volontiers que Blanquer est nettement mieux préparé que lui pour faire le job. Xavier Darcos (…) se dit «heureux de la réussite de cet ami très proche». Quant à Luc Ferry, proche de Laurent Wauquiez, il reconnaît sans barguigner que Blanquer est «clairement le principal atout de Macron pour siphonner la droite». » D'après Le Point, « côté élus LR, beaucoup reconnaissent que le locataire de l'hôtel de Rochechouart met en place des réformes que la droite aurait dû faire lorsqu'elle était au pouvoir ».

A l’extrême-droite, on salue aussi le travail du ministre Blanquer, Marine Le Pen parle d’une victoire idéologique : « Beaucoup d’annonces de M. Blanquer étaient dans mon programme présidentiel ».

Et la gauche ? Soit elle opine, soit elle se tait. A l’Emission politique on a eu du mal, visiblement, à trouver un contradicteur à JM Blanquer : « Le problème, c'est que tout le monde le trouve formidable ! Comme il fait assez l'unanimité à droite comme à gauche, personne n'a vraiment intérêt à aller boxer contre Blanquer », confie un cadre du service politique de la chaine au Point.

JM Blanquer a également le Parlement a sa botte. On se souvient de l’accueil chaleureux réservé au ministre par le Sénat, qui lui avait déroulé le tapis rouge lors de son audition portant sur le projet de loi de finances. Quant à l’Assemblée nationale, on se reportera au papier de Libération titré « Blanquer : la coqueluche de l’Assemblée Nationale ».

Enfin JM Blanquer semble dans les petits papiers de l’Elysée, il faut dire qu’il y met du sien et multiplie les œillades, lui qui a qualifié Brigitte Macron de « prof idéale » et avec laquelle il a « des discussions passionnantes ». Un conseiller élyséen a même lâché au JDD : « Blanquer, c’est le ministre de Brigitte ». Ils ne se quittent plus, et seront d’ailleurs en déplacement ensemble ce lundi 5 mars.

Le silence enseignant

C’est sans doute le plus étonnant : le crédit que garde JM Blanquer chez les profs, ou du moins l’absence quasi-totale de réactions à sa politique. Il faut dire que le ministre a, contrairement à ses prédécesseurs, parfaitement compris qu’il fallait commencer par se mettre les enseignants dans la poche. Comment ? C’est simple, en revenant sur les principales mesures de ses prédécesseurs, très mal vécues chez la majorité des profs. 1er étape : le primaire. Dans les jours qui suivent son arrivée rue de Grenelle, JM Blanquer revient sur les rythmes scolaires, particulièrement impopulaires chez les instits, et autorise un retour aux 4 jours qui va vite devenir ultra-majoritaire (90% à la rentrée prochaine, d’après le Figaro, pour qui la réforme "semble enterrée"). 2ème étape : même si un cadre demeure, détricotage de la réforme du collège, à la grande joie des profs de secondaire.

En deux décisions, JM Blanquer s’est assuré une large sympathie de la majorité des enseignants, et la tranquillité pour un moment. Joli mouvement de stratège, qui lui donne les coudées franches. Nombreux sont les éditorialistes qui s’étonnent de voir le peu de réactions des enseignants, la faible opposition syndicale, aux mesures successives de JM Blanquer. Leur pouvoir d’achat baisse alors que monte celui des salariés ? Les accords de revalorisation sont repoussés aux calendes ? Les créations de postes sont gelées ? Le PDMQDC est décapité ? « Et pourtant, comme par miracle, l’école frémit mais ne se révolte pas » résume le Figaro. C’est que les professeurs sont encore repus de ce qu’a commencé par leur donner JM Blanquer, maitre tacticien.

Responsabilité

Ainsi donc, à la fois poussé par une partie des médias et des sondages, par son art de la stratégie, mais aussi par sa capacité à convaincre un auditoire non spécialiste des choses de l’éducation et à étouffer dans l’œuf toute opposition, JM Blanquer, animal politique porté aux nues par ses amis et craint par ses opposants rendus muets, soutenu en plus haut lieu, a le champ libre, les pleins pouvoirs.

Le chemin tracé par JM Blanquer ne connait pas la courbe, ce n’est pas une sente empruntée bâton de marche à la main, le regard porté sur l’espace parcouru, c’est un boulevard rectiligne creusé à la pelleteuse.

Le voici sans excuse. Une telle marge de manœuvre, inédite, le leste d’une lourde responsabilité : l’histoire le jugera sur ce qu’il aura accompli, à l’aune de ce super pouvoir. Après tout, c’est juste de l’école, et du futur de ce pays, dont il s’agit.

 

Nota : Pour sourire un peu, on pourra lire cette chronique du passage de JM Blanquer à l’Emission politique, sur Télérama.fr.

Suivez l’instit’humeurs sur Facebook et sur Twitter @LucienMarboeuf.