JM Blanquer a gagné. En quatre mois le voici principale réussite du gouvernement, plébiscité par le grand public. Les médias l'adorent, lui offrent Une sur Une et sont à fond derrière lui, surtout ceux qui ne connaissent rien à l'école. Dès qu'on se rapproche de la sphère éducative, ça se couvre, nombre de journalistes spécialisés ne cachent pas leur scepticisme. Mais quand Le Monde ose faire la moue et se demande « à quoi joue Blanquer ? », d’autres médias s’insurgent illico et montent au créneau pour défendre le ministre. Blanquer est devenu intouchable. Et il le sait. Dans le long panégyrique que constitue le dossier de L'Express publié il y a quelques semaines, il y a cette phrase, prononcée par le ministre : « Tous ceux qui font un tableau caricatural des mesures que j’ai prises prennent le risque d’être incompris d’une partie de la population ». Ce qui est caricatural ? C'est un peu Blanquer qui décide. Il sait qu'il a le grand public, la plupart des médias et le Président Macron avec lui. Il a les coudées franches.
On ne sait pas encore quel ministre de l'éducation nationale sera JM Blanquer. Pour cela il faudra bien plus que ce qu'il a fait jusqu'ici. Mais une chose est sûre, on a rarement vu, rue de Grenelle, un tel animal politique, une telle bête de communication.
De l’ombre à la lumière
Dès le début, lors de la présentation de la nouvelle équipe gouvernementale, JM Blanquer est décrit par l’ensemble des médias comme « issu de la société civile ». Dans le jargon politique et dans l’imaginaire collectif, cela signifie qu’il est vierge politiquement, qu’il débarque de la société des gens normaux, comme vous et moi, et qu’il s’apprête à découvrir les ors de la République et les lambris ministériels. Personne ne le connait, et dans le grand coup de balai dont procède l’avènement macronien, il correspond parfaitement au profil, au rajeunissement du personnel dirigeant, à ce courant d’air frais qu’imaginent et demandent les français.
POURTANT, ceux qui connaissent un peu le monde de l’éducation sourient à cette description. Si JM Blanquer n’est pas un homme politique professionnel, c’est tout sauf un lapin de six semaines. Il connait parfaitement les cabinets ministériels. Dès 2006, il est directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien, alors ministre de l'EN de Chirac. En 2009, il est nommé directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) de Luc Chatel et en œuvrant à un poste stratégique considéré comme le numéro 2 de l’école en France, devient un des hommes de base de l'éducation sarkozyenne. Pendant trois ans, il est de toutes les politiques menées, notamment la suppression de la formation initiale des enseignants et de 80 000 postes.
Homme de l’ombre de la sarkozie, JM Blanquer ne demande qu’à s’exposer et à prendre la lumière. Dès son intronisation rue de Grenelle, il multiplie les interviews radio, presse, TV. Il semble ne pas prendre de vacances durant l’été, où on le voit un peu partout et, chose normale pour un ministre de l’EN, est omniprésent à la rentrée des classes. Au total, plus d’une quarantaine d’interviews, une dizaine par mois, presque deux par semaine, sans compter les innombrables articles sur lui, personne ne fait mieux au gouvernement. Les médias ont vite flairé la bonne affaire, le bon client. Blanquer est d’apparence bonhomme, il est neuf, le grand public le découvre et surtout, surtout, il s’exprime impeccablement, son discours est clair. De fait, le nouveau ministre maitrise parfaitement sa communication et séduit.
Marquer son territoire
JM Blanquer veut aller vite, très vite. Dès les premiers jours de juin, il annonce des mesures rapides : il veut revenir sur les rythmes scolaires, sur la réforme du collège, dès la rentrée. Il sait que ces deux réformes emblématiques du quinquennat Hollande sont impopulaires, tant auprès du grand public que des enseignants chez qui elles sont majoritairement mal passées. Il sait qu’en les démantelant, il aura avec lui la majorité des français et marquera sa différence, ouvrira une nouvelle ère pour l’éducation tout en se montrant homme d’action déterminé. Aucun rapport d’étude, aucune expertise, aucune évaluation des réformes ne sont menés, peu importe, JM Blanquer sait qu’il ne prend aucun risque à revenir sur ces réformes puisqu’il s’appuie sur l’opinion majoritaire. Sa popularité augmente. Le ministre continue à s’afficher partout, il s’exprime sur tous les sujets, surtout ceux qui font consensus, fait bien attention d’aller toujours dans le sens de l’opinion majoritaire. Les dossiers clivants viendront plus tard.
POURTANT, quand il annonce à grand renfort de publicité qu’on ne peut pas laisser entrer au collège des élèves qui sont en difficulté et qu’il va créer des « stages de réussite » pour eux à la fin du mois d’aout, on tombe des nues : ces stages existent déjà, depuis des années… Quand il annonce la fin du redoublement, s’insurgeant contre son interdiction alors qu’il n’est pas interdit, on s’amuse de lire que le redoublement doit désormais être réservé à « des cas qui doivent rester rares », alors qu’il était auparavant autorisé dans « des cas exceptionnels ». Quand il annonce qu’il « envisage de créer une cellule laïcité », on voudrait lui dire qu’il existe une mission laïcité à la Dgesco depuis 2012, avec un réseau de correspondants académiques partout en France.
Quand il n’hésite pas à relancer la querelle des méthodes de lecture au détour d’une interview, on grince des dents : taper sur la méthode globale (ce monstre du Loch Ness), c’est toujours bien vu par le grand public, tant pis si dans les faits elle n’existe plus depuis des décennies. L’important est le message, ce qu’il véhicule, l’image qu’il renvoie, le territoire qu’il dessine, la pensée sous-jacente. L’homme qu’il décrit, en creux. Les éléments de langage et le discours huilé, répétés à l’envie, font le reste. Le public marche, adhère, adoube, Blanquer fait une intervention remarquée chez Ruquier, Moix murmure à la fin de la séquence « il est attachant cet homme ».
Objectif et au-dessus des débats ?...
On en a déjà parlé ici-même, une partie importante de la communication de JM Blanquer tourne autour de quelques idées force inlassablement et invariablement répétées : « il faut être pragmatique », « il faut regarder ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas », « il faut s’appuyer sur la recherche scientifique », « il faut être à l’écoute de ce qui se fait ailleurs », « il faut tirer des enseignements des comparaisons internationales »… Blanquer veut donner de lui l’image d’un sage, au-delà des postures, au-dessus des débats stériles qui empoisonnent l’école. Il entend s’appuyer sur une évaluation fiable car scientifique, nationale et internationale, en appelle aux modèles étrangers qui réussissent mieux que le notre. Assénés avec conviction, ces mantras font mouche, le grand public et les médias de masse apprécient cette position de grand sage que la formation de philosophe et de docteur agrégé en droit de Blanquer vient appuyer.
POURTANT, dans les faits, cette position ne résiste pas à l’examen. Chez Blanquer, les références à la recherche scientifique sont à géométrie variable. Quand ça l’arrange et sert son propos, il n’hésite pas à en appeler à la recherche – très souvent ce sont les neurosciences. Mais certaines mesures sont prises, certaines déclarations faites sans base scientifique, sans appui sur des rapports d’expertise ; Blanquer a beau affirmer que « les études prouvent une légère supériorité de la semaine de 4 jours » sur celle de 4,5 jours, on attend toujours les études en question (toute la chronobiologie dit le contraire). Quant aux comparaisons internationales, Blanquer se garde bien de dire que l’OCDE, qui mène la fameuse étude comparative PISA et publie régulièrement ses « Regards sur l’éducation » et qui avait salué la politique éducative menée lors du précédent quinquennat, se montre nettement plus critique sur son action.
Peu importe : peu au fait des détails et subtilités d'un débat éducatif grandement vampirisé par la personnalité omniprésente du ministre, le grand public adhère massivement au discours de Blanquer, d’autant que celui-ci se présente comme neutre, politiquement et idéologiquement.
Politiquement et idéologiquement neutre ?...
Chantre du macronisme, JM Blanquer voudrait ne pas être marqué, politiquement. Dans l’idéal son action est affranchie des courants politiques, idéologiques, (« l’éducation n’est ni de droite, ni de gauche » aime-t-il répéter), bien au contraire. C’est ainsi qu’il se conçoit officiellement, il n’est pas homme politique et veut se situer en dehors de toute chapelle partisane, dans le refus de tout dogmatisme. Blanquer surfe sur son image de petit nouveau, inconnu du grand public, pour paraitre politiquement vierge, idéologiquement neutre.
POURTANT, il est très marqué à droite. Il a occupé de hautes fonctions durant les années Sarkozy et son ancrage à droite lui aurait couté la direction de Sciences Po à laquelle il avait postulé en 2012. Durant la campagne Présidentielle, JM Blanquer offre très tôt ses services à Alain Juppé, qui l’aurait installé à la tête du ministère s’il avait été élu. Pour ne pas insulter l’avenir, en plus de son livre paru fin 2016, véritable acte de candidature au poste de ministre, Blanquer rencontre aussi François Fillon, Nicolas Sarkozy, Bruno Le Maire. Quelques jours après son arrivée rue de Grenelle, une interview de Blanquer donnée à SOS Education, une association de droite proche de Sens Commun (des cathos issus de la Manif pour tous) est mise en ligne, avant d’être rapidement et opportunément retirée. Il ne s’agit pas de s’afficher officiellement de droite, il faut rester dans un très pratique et très macronien nini, de ménager le fameux « et en même temps ». Une bonne partie de son image repose sur cette neutralité de façade.
Contradiction neutralisée et sentiment de puissance
L’une des conséquences de la communication du ministre Blanquer, de son positionnement médiatique officiel, est l’affaiblissement de l’opposition par décrédibilisation de la contradiction. Logique : puisqu’il occupe seul la place centrale du sage, puisqu’il personnalise le pragmatisme, la mesure, la réflexion non partisane, toute personne qui cherche à nuancer son action, à discuter ses propos, à ouvrir un espace de contradiction, est automatiquement placé dans une position délicate et se retrouve mécaniquement du côté de la démesure, de l’excès, du parti pris, de l’idéologie. Une tactique très macronienne, là aussi, qui pourrait toutefois se lézarder dans les mois à venir.
JM Blanquer semble en effet, depuis quelques temps, pris d’un sentiment de puissance. Insensiblement sa communication mute, la voici moins neutre, plus engagée, le ministre se dévoile. Le voilà qui n’hésite pas à mettre en garde tout opposant, illico taxé de faire un tableau caricatural de ses mesures si populaires, sondages à l’appui. Etre contre moi, c’est être contre les français, semble-t-il dire en creux. Le voici qui contient de moins en moins ses opinions, n’hésite plus à pourfendre un camp, celui des « pédagogistes », le voilà soupçonné de souffler sur la braise, de « relancer la guerre idéologique ». Au risque de fissurer la posture officielle de sage au-dessus de la mêlée qu’il a mis des mois à façonner. En réaction à un récent article du Monde, JM Blanquer n’a pas pu s’empêcher une sortie à la Mélenchon contre le « grand média du soir, qui n'est d'ailleurs plus tout à fait du soir et je sais pas s'il est encore grand », accusé de jouer les « pompiers pyromanes ». On jurerait qu'il y a quelques semaines, en pleine construction de son image publique, il aurait gardé cette saillie pour lui.
Pour l’instant, le grand public n’y voit que du feu, mais déjà le premier cercle commence à sourciller. D’après Le monde, « certains, au sein du gouvernement, mettent déjà en garde contre des positions « trop conservatrices » affichées Jean-Michel Blanquer ».
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