(Crédit Damien Meyer / AFP)
L’information est passée un peu vite à la trappe pour cause d’éclipse, mais l’évaluation en CE2 annoncée il y a une dizaine de jours par Najat Vallaud-Belkacem mérite qu’on s’y arrête un peu. Les évaluations nationales imposées par le ministère, on n’en a pas forcément bon souvenir, sur le terrain, alors forcément, on est un peu méfiant.
L’évaluation à la « Darcos » : plus jamais ça
Il faut se souvenir du mouvement de rébellion de la communauté éducative suscité par les évaluations nationales mises en place Xavier Darcos en 2008 : certains enseignants s’étaient déclarés « désobéisseurs » et étaient entrés en « résistance pédagogique » en criant haut et fort leur opposition aux évaluations de CE1 et de CM2 alors en cours ; certaines inspections avaient également fait fuiter les contenus des épreuves sur le web, manière rare à ce niveau de marquer un désaccord profond avec le ministère ; la FCPE (première fédération de parents d’élèves) avait tenu la même position et appelé à boycotter les évaluations et à ne pas envoyer les enfants à l'école durant la semaine de passation et à empêcher les résultats de sortir des classes !
L’évaluation Darcos était nationale, ses résultats remontaient des écoles vers les inspections, de celles-ci aux académies et des académies au ministère. Les résultats étaient publiés, avec pour effet pervers de mettre la pression à tous les étages, non pas une pression émulatrice et positive, mais nocive et contre-productive. Je me souviens d’une réunion de circonscription où l’inspecteur nous indiquait clairement le niveau de résultats attendus dans les écoles du quartier. Je me souviens que pour se faire bien voir certains instits faisaient du bachotage, changeaient les consignes de passation, bref, introduisaient un biais considérable dans les évaluations en apportant à leurs élèves un appui conséquent. Sous-jacente et omniprésente, l’idée de comparaison, de classe à classe, d’école à école, de quartier à quartier, d’académies entre elles, phagocytait l’évaluation, la vidait de son sens et, forcément, dévaluait voire invalidait les conclusions à en tirer. Pire, les élèves dont les enseignants jouaient vraiment le jeu et respectaient l’esprit et la lettre de l’épreuve, se retrouvaient nettement désavantagés par rapport aux autres. Un comble.
L’évaluation Darcos visait à « dresser un bilan des acquis des élèves par rapport aux programmes » à des fins de pilotage éducatif, or l’on sait que dans cette perspective la méthode de l’échantillonnage, pilotée par exemple par la DEPP (Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance) peut fournir des renseignements tout à fait fiables.
Bien évidemment, ces évaluations n’apprenaient pas grand-chose aux enseignants et ne les aidaient pas franchement à faire progresser leurs élèves.
Pour bien comprendre les nombreux problèmes soulevés par ces évaluations, on peut se reporter aux billets de l’époque, ou à cette vidéo caustique des désobéisseurs qui résume bien l’affaire.
L'évaluation Darcos a pour ainsi dire été abandonnée en 2013.
L’évaluation prévue : un diagnostic à destination les instits
La ministre a annoncé le 16 mars sur RTL la mise en place d’une évaluation en début de CE2 afin de vérifier le niveau des élèves en lecture et en écriture, « d’adapter dans chaque classe l’apprentissage et ne pas laisser le décrochage se faire. Ce sera un QCM très simple qui aura lieu deux semaines après la rentrée, classe par classe, sur la base d’un outil de diagnostic que nous sommes en train de préparer et que nous mettrons à la disposition des enseignants. L’idée n’est pas que les résultats de ces évaluations remontent au ministère, mais que dans chaque classe elles aident l’enseignant à adapter ses outils pour faire progresser les enfants. Nous travaillons sur cette version en français, et nous ferons probablement la même chose en maths ».
Dans un premier temps l’évaluation devait être mise en place en septembre 2015, mais le ministère a finalement préféré passer par une phase de test, l’année prochaine des écoles volontaires testeront les outils et l’évaluation sera étendue à tous les élèves de CE2 à la rentrée 2016.
On comprend tout de suite que cette évaluation n’est pas conçue dans la même logique que la précédente.
- il s’agit d’une évaluation classe par classe et plus d’une évaluation nationale ;
- il s’agit d’une évaluation diagnostique pour l’enseignant et non d’une évaluation du système éducatif, qui se fait autrement ;
- aucune remontée au ministère n’est prévue, on n’est donc plus dans une logique de comparaison et compétition des écoles entre elles, avec les effets pervers qu’on connaît ;
- l’évaluation est placée en début d’année, et plus en plein milieu comme la précédente, qui évaluait donc des élèves n’ayant pas forcément travaillé sur les mêmes notions ;
- l’évaluation semble moins rigide que la précédente, qui n’était pas toujours adaptée à ce qui se faisait en classe : les enseignants auront la possibilité, si on comprend bien, de composer l’évaluation en se servant dans une banque d’exercices fournis par le ministère (reste à espérer qu’ils seront pertinents) ; cet espace de liberté pour l’enseignant est à souligner, il n’est pas si fréquent ;
- l’évaluation sera moins chronophage que la précédente, qui prenait une semaine, et dont les corrections étaient longues et fastidieuses ; la forme QCM annoncée par la ministre n’a pas très bonne presse en France mais un QCM peut être très intéressant et riche d’enseignements, en plus d’être facile à corriger (on n’est pas dupe non plus, cela permettra sans doute au ministère de ne pas verser de prime de correction aux enseignants de CE2…)
- enfin, il semble que la banque d’outils du ministère sera régulièrement mise à jour afin de proposer après l’évaluation des pistes de remédiation et de différenciation pour aider précisément les élèves sur les lacunes repérés lors de l’évaluation ; là aussi, il faut se féliciter du suivi annoncé, une évaluation n’a de sens que pour ce qu’elle permet de mettre en place ensuite.
De l'annonce au terrain...
Bien sûr, on attend de voir ce qui adviendra dans les faits. Ce ne serait pas la première fois que de belles intentions débouchent sur un couac. Il a été reproché à la ministre de surtout communiquer en faisant cette annonce, à elle de montrer de la continuité entre les discours et le terrain.
Si c’est le cas, ce sera alors aux enseignants de jouer. Comme tout outil, cette évaluation ne sera que ce qu’en feront ses utilisateurs. Evidemment, s’il s’agit d’un outil vraiment intéressant pour eux, les instits s’en empareront. Il faudra toutefois qu’il apporte réellement quelque chose, on a déjà entendu ici ou là des enseignants dire que l’évaluation diagnostique en début d’année, merci bien, on la fait tous dans nos classes, et un syndicat déclarer que « s'il s'agissait de vérifier les acquisitions des élèves, la ministre devrait faire confiance à la compétence et à la professionnalité des enseignants ».
Il faudra aussi jouer le jeu dans chaque école. Si réellement on s’appuie sur les résultats des évaluations pour modifier ce qui peut l’être, cela devra se faire dans deux directions : en aval en mettant en place de quoi essayer de récupérer les décrocheurs repérés ; en amont, en travaillant en équipe sur les changements à apporter dans les classes antécédentes. Car une chose est sûre, CE2, c’est déjà tard pour agir : c’est vraiment en CP et CE1 que se joue l’essentiel des fondamentaux. On va donc se retrouver dans une situation où les enseignants de CP et de CE1 pourront éventuellement se sentir visés et mis sur la sellette, et il leur faudra accepter de se remettre en cause et de modifier leur enseignement en fonction de ce que l’évaluation aura mis en évidence. Deux choses pas toujours évidentes, qui demandent beaucoup de communication, des personnes qui s’entendent, une direction qui gère bien les egos, et surtout du travail en équipe. Je connais quelques écoles, quelques enseignants qui pourraient grincer…
Mais après tout, il faut toujours miser sur l’intelligence.
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