Pourquoi les évaluations nationales font-elles polémique ?

Cette semaine 800 000 élèves français de CE1 passent des évaluations en maths et en français. Auparavant situées durant l’année de CE2 ces évaluations ont pris leur forme actuelle en 2009, en même temps que les évaluations de CM2 (qui ont eu lieu en janvier dernier). Depuis deux ans, les critiques vont s’amplifiant pour les unes comme pour les autres. Aujourd’hui, de tous côtés, les acteurs de la communauté éducative se dressent contre ces tests.

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Le grand ramdam

Les enseignants, en premier lieu, qui sont les mieux placés pour voir en quoi ces évaluations sont contestables. Le collectif des enseignants désobéisseurs appelle pour sa part au boycott pur et simple des évaluations. Position simpliste et réfractaire par principe ? Pas tout à fait, il n’est qu’à lire la liste des reproches faits aux évaluations : pour chacun, une proposition alternative est faite. Démarche constructive.

Saluons aussi l’originalité de la communication de ce collectif d’enseignants et de comédiens, auteurs d’une mise en scène caustique pour expliquer les problèmes posés par les évaluations nationales (allez-y c'est un régal, et tout est vrai !).

Les syndicats contestent eux aussi la pertinence des évaluations. Certes ils sont dans leur rôle en relayant les enseignants. Mais fait rare, les voici tellement d’accord qu’ils se fendent d’une lettre commune au ministre de l’Education Nationale, dans laquelle ils pointent simplement et de manière convaincante la problématique des évaluations.

Du côté des parents d’élèves, la FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves) est à la pointe du combat. Sur RTL (document à écouter ici), elle appelle elle aussi au boycott des évaluations et conseille aux parents de ne pas envoyer leurs enfants cette semaine à l’école ! Par ailleurs, elle organise le vendredi 20 mai une nouvelle nuit des écoles, durant laquelle enseignants et parents sont invités à occuper les écoles joyeusement, sac de couchage et thermos de café à la main. But de la manifestation : réfléchir ensemble à l’avenir de l’école et sur les dangers de la politique actuelle en matière d’éducation.

Enfin, on peut se demander si même du côté des inspections (véritable plaque tournante des évaluations nationales), on ne commence pas à avoir quelques couleuvres en travers de la gorge à force d'en avaler. Le 9 mai dernier, une semaine avant le début des évaluations, on pouvait trouver sur le site de l'inspection de Wintzenheim la totalité des livrets d'évaluation ! De telles fuites avaient déjà eu lieu en janvier dernier lors des évaluations CM2, à la grande fureur du ministère. Le but avoué des fuiteurs était de protester contre les inégalités induites par les modalités de passation de ces évaluations. Y aurait-il eu quelqu'un à l'inspection de Wintzenheim qui voulait à son tour exprimer son mécontentement ?

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Les critiques

Pourtant, évaluer les élèves, a priori, tout le monde est d’accord. Avoir une vision nationale des réussites et des échecs, ça semble également intéressant. Alors, pourquoi une telle contestation ?

Les évaluations nationales sont compliquées à mettre en œuvre et prennent une semaine complète dans un emploi du temps déjà très chargé. Aussi nombreux sont ceux qui proposent un échantillonnage, à l'instar de ce qui se fait pour PISA ou la DEPP : « Les statistiques ont depuis longtemps prouvé qu’il suffit d’un échantillon « représentatif » pour comprendre comment évoluent les connaissances des élèves. Mieux, même, un protocole fait pour ça est plus efficace que les bidouillages annuels auxquels le ministère contraint les spécialistes pour « faire parler les chiffres » dans le sens attendu… » (Marcel Brun sur le site du Café Pédagogique).

Alors pourquoi faire des évaluations nationales, quand on pourrait faire mieux et plus fiable ? Il est tentant d’en déduire qu’elles ne servent qu’à fournir le ministère en statistiques internes, voire à établir des critères de comparaison et de mise en concurrence des écoles.

Dans leur lettre au ministre, les syndicats rappellent opportunément qu’une évaluation est utile si elle permet de « diagnostiquer les manques et servir de point de départ à une réflexion en vue de remédier aux difficultés des élèves ». Or les évaluations nationales ne permettent pas de déceler l’origine des erreurs et ne permettent logiquement pas d’y remédier. En revanche, une évaluation de type diagnostique placée en début d’année laisserait toute l’année pour agir.

Mais ce n’est pas la philosophie de ces évaluations auxquelles il est beaucoup reproché de n’être que des tests formatés et réducteurs, ne prenant pas en compte la diversité des élèves et des écoles et ne rendant que très partiellement compte des difficultés réelles des élèves. Ces tests valorisent l’idée de performance individuelle et l’esprit de compétition, au détriment de la solidarité et de l’entraide.

En témoigne l’utilisation qui est faite des résultats : derrière la pseudo rigueur scientifique se profile un pilotage de la politique éducative par les chiffres, où le culte du résultat règne en maître.

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Sur le terrain, que voit-on ?

Pour ce que j’en vois sur le terrain, dans mon école, dans ma circonscription et un peu au-delà, il y a de nombreuses choses à redire quant à la pertinence de ces évaluations, du fait du mode de passation et de correction de ces tests, d’une part, à cause de la pernicieuse pression du résultat qui joue à chaque niveau de la pyramide, d’autre part.

Cette pression du résultat, c’est l’enseignant qui le premier peut la sentir et orienter, consciemment ou non, les évaluations.

Avant les évaluations, certains enseignants préparent leurs élèves aux items qui vont être évalués. En reprenant les tests de l’année précédente, en faisant bachoter les élèves (comme l’inspectrice de notre circonscription nous encourage à le faire), voire en leur proposant les tests en changeant seulement quelques données. Quand ce n'est pas fait à l'école, ce peut être fait à la maison (un exemple donné par une collègue de l'école) : les parents voulant que leur enfant performe s'appuieront sur les livrets des années précédentes pour préparer leur enfant, le favorisant de fait.

Pendant les évaluations, la passation des consignes est une autre source d’inégalité. Pour certains exercices les consignes doivent être lues de manière monocorde, une seule fois, par le maître. Il suffit au maître soucieux d’obtenir de meilleurs résultats de relire la consigne, en insistant sur les mots-clés, pour donner à ses élèves un avantage certain sur les autres. Pour tel autre exercice à découvrir intégralement par les élèves, le maître peut facilement aider à leur compréhension s’il lit lui-même la consigne. Durant l’exercice, le maître ne doit pas aider les élèves, mais un petit froncement de sourcil ou un léger raclement de gorge savamment distillé alertera utilement l’élève s’il fait fausse route…

Il y a aussi la correction. La frontière est parfois très fine entre un exercice réussi et un exercice presque réussi (donc raté)… Tout est ensuite question d’interprétation ou de volonté de l’enseignant. Hier encore en salle des maîtres, deux collègues de CE1 étaient en grande discussion sur la manière de noter tel item : elles ne savaient pas vraiment dans quelle case ranger certaines réponses d'élèves et tentaient d’harmoniser leur notation (ce qui est loin d’être le cas partout). Pas mal pour des évaluations censées être objectives et scientifiques… (pour ceux qui y croiraient encore, allez donc voir ici cette correction de dictée...).

… J’ai aussi entendu une collègue dire que les passages étaient longs, et que ses élèves les plus fatigables (qui sont aussi ceux les plus en difficulté…) avaient tendance à décrocher avant la fin des sessions. J’ai alors repensé à certaines écoles en ZEP que je connais où les élèves sont TOUS en difficulté et je me suis dit que forcément ils avaient décrochés assez tôt… et que donc une bonne partie des items ne pouvaient être réellement évalués puisque passés dans des conditions ne le permettant pas. On évalue ici la capacité de concentration et d’endurance de l’élève. Seuls les bons élèves sont capables d’avoir une attention soutenue sur une longue durée. L’inégalité est donc réelle de ce point de vue. Quiconque a travaillé en ZEP sait que pour évaluer un élève il faut tenir compte à la base de la spécificité de ses difficultés ; si on renverse la perspective et qu’on se dit qu’en l’étalonnant à un taux de réussite moyen on parviendra à le situer, alors on a de bonnes chances de passer complètement à côté.

Et puis il y a une minorité d’autres écoles où les élèves sont encore plus en difficulté : pour ceux-là, qui ne maîtrisent pas la lecture en CE1, qui ont un niveau de maths faible, les évaluations n’ont purement et simplement aucun sens… Mais elles ont lieu, laissant à l’instit le choix de la complicité dans cette mascarade ou celui de la rébellion, à ses risques et périls.

Bien. Dans quelques jours les évaluations seront finies, certains instits auront joué le jeu (c’est le cas dans mon école), faisant passer les tests dans la neutralité requise, sans les préparer outre mesure, les corrigeant avec le plus d’impartialité possible. Comme chaque année, les voilà maintenant convoqués à l’inspection afin de faire en réunion le bilan des évaluations avec les autres écoles de la circonscription. A peine arrivés, voilà que la conseillère pédagogique chargée du dossier leur demande :

« Alors, pourcentages ?

- Heu, 73 % de réussite en maths, 70 % en français.

(Moue dédaigneuse de quelques collègues d’écoles voisines).

- Ah. C’est pas terrible, poursuit la conseillère.

- … »

L’inspectrice arrive, prend connaissance des chiffres et se tourne vers mes collègues.

« Vos collègues des écoles X et Y ont obtenu près de 90 %... C’est plus proche de ce qu’on est en droit d’attendre d’un quartier favorisé comme le notre.

- … »

Cette scène a eu lieu dans ma circonscription l’année dernière.

Officiellement, il n’y a pas de comparaisons ni de mise en concurrence des écoles.

Concrètement, les maîtres ont le souci du résultat de leur classe par rapport à celle du voisin, ce qui peut les amener à changer le cours des choses.

Les directeurs d’école ont le souci du résultat et, convoqués en réunion à l’inspection ou seul dans le cadre privé chez le coiffeur comme c’est arrivé dans ma ville, vont comparer les chiffres entre leurs écoles, celles des copains directeurs, etc.

Un degré au-dessus les inspecteurs ont aussi le souci du résultat, ontologiquement eux, et réunis à l’Académie jouent le même petit jeu quoique plus policé.

Et ainsi de suite, jusqu’en haut d’une pyramide entièrement gangrenée par cette logique du résultat et de la comparaison. En 2010, pour les évaluations CM2, devant les résultats en baisse de 8 % en mathématiques par rapport à 2009 (en raison d’exercices plus difficiles notamment, bravo les gars, bien pensé), le ministère a fait appel à son département statistique afin qu’il lui bricole un outil compensateur qui permette de comparer les résultats avec ceux de l’année précédente…

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