(Crédit AFP)
La semaine dernière, le ministre Peillon a installé son Conseil Supérieur des Programmes (CSP), sans un seul enseignant parmi les membres chargés de mettre en place les nouveaux programmes pour 2015 (« l’éducation n’est pas que l’affaire de spécialistes », je vous laisse méditer sur cette réponse du ministre). Comme ces sommités n’ont peut-être pas une conscience aiguë de ce qu’est qu’enseigner sur le terrain, on leur recommandera volontiers la lecture de ce précédent billet, qui explique en détail pourquoi il faut alléger les programmes, et aussi de cet autre qui rappelle que réforme des rythmes scolaire et refonte des programmes sont étroitement liées.
Actuellement, on a 24 heures de classe hebdomadaires et les programmes de l’école élémentaire sont conçus pour 26 heures d’enseignement par semaine, puisque fondés sur une semaine avec samedi matin travaillé – alors qu’ils datent de 2008, l’année même où on supprimait le samedi matin, cherchez l’erreur. Mais il n’y a pas que ça. Messieurs du CSP, ça ne sert à rien de prévoir 24 heures d’enseignement. On ne les a pas, ces 24 heures. Et des fois que vous ne compreniez pas qu’une journée de classe, ce n’est pas que du temps d’enseignement, voici la preuve, chiffrée.
Les récrés
La durée officielle d’une récréation est de quinze minutes. Il arrive fréquemment qu’elles durent un peu plus, mais comptons 15 minutes le matin, et 15 minutes l’après-midi. Ceci quatre fois dans la semaine, soit 2 heures de récré hebdomadaire, hors pause méridienne.
Les trajets
Il faut aussi prendre en compte les trajets entre la cour de récré et la classe. Cinq minutes minimum pour que le rang d’élèves, que l’on essaie de ramener au calme, fasse le chemin jusqu’à la classe, ceci quatre fois par jour : après les deux récrés et au début de chaque demi-journée. Soit 20 minutes quotidiennes, donc 1 h 20 chaque semaine de trajet cour / classe. Je ne compte pas ici le temps passé en sens inverse entre la classe et la cour de récré : je pars du principe que ces trajets se font sur le temps de récréation. Je ne compte pas non plus les trajets entre la classe et la porte de l’école à chaque fin de demi-journée : je pars du principe qu’ils se font à partir de 11 h 30 et de 16 h 30, soit hors du temps d’enseignement. Néanmoins certains considèrent que 11 h 30 et 16 h 30 sont les heures où l’élève sort de l’école, ce qui diminue d’autant le temps d’enseignement.
Les appels, les mots
Une fois en classe, le matin, il y a toute une série de rituels assez chronophages. Il faut faire l’appel, puis l’appel de la cantine, puis l’appel de l’étude. Il faut jeter un coup d’œil aux mots des parents dans le cahier de correspondance, car ils peuvent concerner les appels en questions, ou l’organisation de la journée. On n’y répond pas tout de suite : cela se fait généralement le midi, durant la pause. Cette entrée en matière, appels + correspondance, prend bien 5 à 10 minutes par jour, si on ne traîne pas. Il faut ajouter, une ou deux fois par semaine, la copie d’un mot dans le cahier de correspondance pour indiquer une sortie, la présence dans l’école du photographe, l’appel à souscription pour la coopérative, etc. (ici on me rétorquera qu’on peut considérer ça comme du travail de copie, ce qui n’est pas faux). Au total, on chiffrera à 45 minutes hebdomadaires cette partie administrative de la vie de la classe.
Les devoirs
Depuis un décret de 1956, et en attendant que le ministre actuel les inscrive sur le temps scolaire (ce qui réduira d’autant le temps d’enseignement), les devoirs sont officiellement interdits. Mais pas les leçons. Qu’on se contente de donner des leçons à apprendre à la maison où qu’on donne malgré tout quelques devoirs, il faut écrire tout ça sur le cahier de texte. Temps requis : une dizaine de minutes, soit 40 minutes hebdomadaires réservées à l’écriture des devoirs (ici on me rétorquera à nouveau qu’on peut considérer ça comme du travail de copie, mais bon faut pas exagérer non plus).
Total incompressible
Une petite addition nous met à 285 minutes de temps de classe hebdomadaire dévolu à autre chose que l’enseignement, soit 4 heures 45 minutes, ou 1 h 10 par jour environ.
Une petite soustraction établit donc que le temps effectif d’enseignement hebdomadaire est de 19 h 15 minutes (pour des programmes conçus sur 26 heures, on le rappelle).
Tout ceci est absolument incompressible. Je ne peux pas faire moins de récré, je ne peux pas faire courir mes élèves pour rejoindre la classe, je suis obligé de faire l’appel, tous les appels, je suis obligé de lire les cahiers de correspondance, etc. Toutes ces opérations font partie de mon travail, là n’est pas la question (je vois déjà les cuistres dire qu’un instit ne bosse que 19 heures par semaine…), cela fait partie du temps d’école, du temps de classe, mais ne saurait constituer un temps d’enseignement, cela tombe sous le sens.
A titre d’exemple, voici le volume horaire officiel d’enseignement hebdomadaire tel qu’indiqué sur le site du ministère.
... Mes 4 h 45 minutes en moins, je les enlève où, messieurs dames du Conseil Supérieur des Programmes ?... Sérieusement, si vous voulez avoir une chance d’être crédibles auprès des instits qui vont devoir appliquer votre œuvre, commencez par garder ça en tête : 19 h 15 minutes pour faire tout rentrer. Maximum.
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