Crédit Wikimédia Commons / Laurent N'Guyen
Cette semaine je suis tombé sur un papier très drôle intitulé « Education : Benoit Hamon frappe fort et interdit les épinards à la cantine ». J’ai bien rigolé à la lecture de ce billet parodique issu de « Bilboquet Magazine », un site dans la lignée du désormais célèbre Gorafi.
J’ai illico partagé le lien sur Facebook, pensant que cela ferait rire d’autres que moi. A ma grande surprise, un certain nombre de lecteur (une minorité, mais tout de même) a pris « l’information » au premier degré, laissant des commentaires du type : « Hallucinant, il a donc rien d’autre à faire !!! », « c’est pitoyable, il y a bien d’autres priorités », « pendant qu’il parle des épinards, il s’occupe pas des rythmes scolaires », « c’est n’importe quoi, mais ça ne m’étonne pas de lui », et même « pauvre France »…
Un morceau d’épinard coincé entre les dents
Pourtant, la lecture du papier ne laisse pas place au doute. On y parle d’une association de parents d’élèves nommée les « EpiAnars » qui œuvre depuis 1968 pour interdire les épinards à l’école, de son président traumatisé par un morceau d’épinard coincé entre les dents, on nous annonce que ce retrait des épinards « devrait aussi augmenter la concentration à l’école de 85% et diminuer l’absentéisme de 240% » et on conclut sur une déclaration du ministre qui dit hésiter à interdire d’autres légumes qui « poussent dans les chaussures, les caleçons, les cheveux des cantiniers ».
De deux choses l’une :
1. Certains ont lu l’article et ont cru à ce qu’ils ont lu. Difficile à croire, mais possible. Reste à espérer qu’ils ont lu en biais et compris de travers.
2. Ils n’ont pas lu l’article et dans ce cas on a du mal à comprendre qu’ils aient pu commenter en se contentant du titre. Ce d’autant que, même sans lire l’article, il suffisait de regarder le média, « Bilboquet Magazine », pour comprendre qu’on n’était pas dans un registre « sérieux ». En fait, le titre lui-même suffisait à situer le papier, non ?
Poisson d’avril, hoax ? Même pas
Certains lecteurs ont douté. Plusieurs ont invoqué le 1er avril, mais un simple clic leur aurait indiqué que le papier datait du 14 avril. D’autres ont cru percevoir une arnaque et accusé le papier de hoax, ce qu’il n’est pas : un hoax est une information fausse et virale mais crédible, il relève de la désinformation.
Que parmi ceux qui ont un peu hâtivement commenté au premier degré se trouvent des enseignants ne manque pas de me surprendre. Comment pouvons-nous contribuer à former le jugement critique de nos élèves si nous n’en faisons pas preuve nous-mêmes ? Mieux que d’autres nous devons savoir démêler le vrai du faux, et en matière d’information le minimum est d’interroger la source et de lire intégralement un article avant d’émettre un jugement. On ne s’étonnera plus que certains parents peu éclairés aient adhéré au discours absurde des JRE, si à leur niveau des enseignants sont prêts à donner du crédit à une information comme celle-ci.
Un ministre capable de statuer sur les épinards
On me rétorquera que de nos jours il devient difficile de démêler le vrai du faux, que bien des informations réelles sont plus absurdes encore que celles du Gorafi. C’est pas faux, mais ça ne change pas grand-chose à l’affaire. Que tout soit possible n’implique pas que tout l’est réellement, à chaque fois.
On voit aussi ce que cette histoire dit du peu de foi accordé au politique : non seulement de nombreuses personnes ne croient plus dans le discours ni dans l’action politique, mais elles n’y croient plus au point de penser possible qu’un ministre de l’Education Nationale statue sur les épinards !!! De la même manière, certains n’hésitent pas à condamner a priori Benoit Hamon : « ça ne m’étonnerait pas de lui, il serait bien capable de faire ça ». Voilà un ministre qui vient d’arriver, qui n’a jamais eu de responsabilités, qui n’a pas encore agi, pas même ouvert la bouche sauf pour dire les banalités d’usage quand on remplace quelqu’un, et qui pourtant se retrouve derechef soupçonné de médiocrité, au mieux. Les relations entre les enseignants et leur précédent ministre semblent avoir laissé des traces. On souhaite bon courage à Benoit Hamon : ce n'est parce que les profs n'attendent rien de lui qu'ils l'épargneront.
Info parodique et éducation aux médias
Ceux qui ont cru au coup des épinards pourront se consoler en se disant que d’autres avant eux se sont notoirement fourvoyés en prenant des lanternes pour des vessies. En Italie, le prestigieux Corriere della Sera et l’agence de presse ANSA ont repris un papier du Gorafi révélant que « 89% des hommes pensent que le clitoris est un modèle Toyota », plus récemment, Christine Boutin s’est ridiculisé en reprenant en direct sur BFMTV une brève du Gorafi sur le Parti Socialiste et Yahoo Québec affiche toujours très sérieusement un papier de 2012 sur « la chirurgie esthétique pour que les bassets soient moins tristes » issu du même Gorafi.
Les sites d’information parodique sont un merveilleux outil d’éducation aux médias : parce qu’ils reprennent leurs codes à la perfection, parce qu’ils jouent avec la réalité et avec l’actualité en les détournant, ils nous forcent à nous poser des questions importantes sur la crédibilité et la crédulité et à nous positionner dans le flux ininterrompu de données informatives. Je vais donc de ce pas préparer une séquence pour mes élèves sur le thème "info : vrai ou faux ?" à base de Gorafi et autres Bilboquet…
Pour se quitter, voici un formidable papier du Courrier des Echos, un autre site parodique : « EXCLUSIF : Au cœur du système d'affectation de l'Education Nationale ». C'est à hurler de rire, je ne m’en lasse pas.
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